Le regroupement d'islamistes radicaux présumés en test à Fresnes
A la prison de Fresnes, derrière les hauts murs de pierre couverts de barbelés, les détenus considérés comme des islamistes radicaux sont désormais dans les mêmes cellules, ou des cellules voisines les unes des autres, toutes au même étage d'un même bâtiment, aux côtés d'autres détenus qui étaient déjà un peu à l'écart, les détenus dits médiatiques, journalistes, douaniers, ou policiers.
Ce regroupement de prisonniers identifiés islamistes radicaux est une première dans l'univers carcéral. Une idée expérimentale, à l'initiative du directeur de la prison, Stéphane Scotto. L'initiative est surveillée de près par la direction de l'administration pénitentiaire, et par la Chancellerie. Christiane Taubira, la garde des Sceaux, qui était ce matin l'invitée de France Info, a déclaré qu'elle était pour l'instant "très réservée sur cette idée de regrouper" de tels prisonniers. "Ce que j'ai déjà dit devant le Parlement " a poursuivi la ministre de la Justice, au micro France Info de Jean-François Achilli.
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Si ce test est en cours, "c'est pour une raison de sécurité envers les autres détenus", et "pour voir si on peut se protéger du prosélytisme", expliquait il y a quelques jours le porte-parole de la Chancellerie, Pierre Rancé. A Fresnes, seuls 19 détenus sont donc dans ce cas. Ce qui est infime, sur les 2500 détenus. "Mais regrouper 19 détenus, c'est leur donner du pouvoir, créer un noyau dur", s'inquiète Joan Karar, surveillant à Fresnes depuis une dizaine d'années, et qui fait partie du Syndicat National Pénitentiaire Force Ouvrière. Depuis ce regroupement, assure-t-il, "l'appel au djihad est apparu à Fresnes, avec dans des prières collectives".
Dans d'autres prisons de France, de tels appels à la prière collective ont déjà eu lieu. La radicalisation de l'islam en prison est un phénomène ultra-minoritaire, mais qui n'est pas nouveau, témoigne Karim Mokhtari, porte-parole de Carcéropolis, un portail multimédia destiné à donner un autre regard sur la prison. Dans les années 90, Karim Mokhtari, était un jeune détenu en errance, condamné pour un braquage, après une enfance difficile. "A l'époque, quand je suis arrivé en prison à Amiens, j'ai pu constater que certains affichaient leurs pratiques religieuses, notamment des "Musulmans", entre guillemets, qui faisaient la prière, dans la promenade, sur des serviettes mêmes de la pénitentiaire. Ce groupe m'a attiré. J'étais en quête identitaire. L'imam improvisé parmi les détenus est venu me rencontrer. Je leur ai dit que j'étais pas encore musulman. En trois à cinq semaines, on m'a appris en phonétique les sourates du Coran ". Puis on lui a proposé des actions violentes, qu'il a refusées.
Une centaine d'islamistes radicaux présumés... sur 67.000 détenus
Karim Mokhtari tient à préciser qu’en sept années de prison, il n’a rencontré qu’un seul imam improvisé, qui était un islamiste radical violent, et qui à l'époque, avait été rapidement transféré vers une autre prison. Cela reste la règle, sauf à Fresnes, où il y a donc cette expérience qui est menée et pour laquelle la garde des Sceaux fera un premier bilan à la fin de l'année.Selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, il y aurait actuellement une centaine de détenus considérés comme radicaux islamistes, sur 67.000 détenus. C'est très peu. Mais l'administration pénitentiaire semble finalement toujours avoir eu du mal à les prendre en charge.
Identification compliquée
Les surveillants pénitentiaires se plaignent d'être trop peu nombreux pour faire correctement leur travail de renseignement pénitentiaire. Au Syndicat National Pénitentiaire FO, James Vergnaud, secrétaire général adjoint, avoue que depuis les années 90, l'identification de détenus islamistes radicaux est compliquée. "Au début, on était en difficulté pour faire le distinguo entre l'islam et l'islam radical ". Et ce distinguo pose toujours problème, aux yeux de Samia Ben Achouba, aumônier régional dans cinq prisons du Nord de la France. "En détention, les gens sont observés tout le temps. Si nous regardons quelqu'un prier beaucoup, faut-il le définir comme étant un radical ? Nous devons poser une véritable définition du radical, il ne faut plus qu'elle soit subjective selon la perception du surveillant, donc l'idée c'est de discuter avec l'aumônier ".
"On n'a pas de télécommande pour le cerveau des gens "
Les aumôniers musulmans, qui sont moins de 200 aimeraient être plus nombreux et davantage consultés, pour mieux prévenir la radicalisation islamiste en prison, et ne pas stigmatiser l'islam modéré, ultra-majoritaire. Quand la radicalisation s'est installée, c'est difficile ensuite, de déradicaliser. "On n'a pas de télécommande pour le cerveau des gens ", remarque Samia Ben Achouba, sous un voile coloré. La chancellerie devrait présenter avant la fin de l'année, ou au début de l'année prochaine, un projet concret de déradicalisation, qui pourrait passer par des groupes de parole en prison.
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