Pourquoi les crèches illégales arrangent un peu tout le monde
Le procès d'une responsable de crèche illégale, le second du genre à Marseille, s'est ouvert lundi. Francetv info vous explique comment ces structures clandestines ont pu se développer.
SOCIETE - Elle encourt jusqu'à trois ans de prison pour "travail illégal par dissimulation d'activité". Le parquet a requis 18 mois de détention, dont six ferme, et 30 000 euros d'amende contre Hélène Atlan, la responsable d'une crèche illégale à Marseille (Bouches-du-Rhône), lundi 5 novembre. Le jugement, qui sera rendu le 26 novembre, sera-t-il aussi clément que celui rendu trois semaines plus tôt dans une autre affaire similaire dans la cité phocéenne ?
Comme le relève France Info, "ces deux procès pourraient être les premiers d'une longue série". Parce qu'au fond, ces structures illégales sur lesquelles les pouvoirs publics ont fermé les yeux n'arrangent-elles un peu pas tout le monde ? Francetv info vous explique pourquoi.
Parce que les parents préfèrent le mode de garde collectif
C'est un paradoxe, peut-être lié à la rareté de l'offre : la crèche reste le mode de garde préféré des parents, malgré le manque de place évident. Seuls 10% des bébés ont une place en "crèche", ce terme générique regroupant tous les établissements d'accueil de jeunes enfants (crèche collective, familiale, privée, multi-accueil, jardins d'éveil, jardins d'enfant, halte-garderie). Il est généralement admis qu'il manque autour de 350 000 places en France.
"La crèche a bonne réputation, pour son personnel diplômé, sa sécurité, et la sociabilisation de l'enfant", explique à francetv info Laurence Rameau, auteure de Le Lendemain des crèches (éditions Eres). A l'inverse, "les assistantes maternelles ont mauvaise presse, peut-être parce que les histoires de nourrices trop présentes ou maltraitantes restent dans l'inconscient collectif".
La présence de plusieurs encadrants dans une même structure rassure, comme c'était le cas dans les deux crèches illégales de Marseille. En outre, le mode de garde en crèche apparaît moins cher aux parents, même si Laurence Rameau soutient que l'emploi d'une assistante maternelle, avec l'aide de la Caisse d'allocations familiales (CAF) et la déduction des impôts revient au même. Reste qu'il faut avancer l'argent, autour de 700 à 800 euros par mois. Dans la crèche d'Hélène Atlan, les parents payaient 450 euros par mois (pour 4 jours par semaine).
Parce que les assistantes maternelles sont de plus en plus nombreuses
Selon France Info, le nombre d'assistantes maternelles a augmenté quatre fois plus vite que les places en structures collectives. Mais les conditions d'obtention d'un agrément sont très encadrées et ceux-ci peuvent parfois être retirés comme cela a été le cas pour Hélène Atlan, qui accueillait jusqu'à 14 enfants dans un appartement de 140 m2 sur la Canebière. Assistante maternelle depuis trente-trois ans, elle a perdu son agrément en 2001. "Je sais que ce n’était pas légal, affirme-t-elle, selon des propos rapportés par Libération. Mais on ne peut être agréé pour plus de trois enfants, et moi, j’élève les miens seule, j’ai un loyer, des dettes."
Cette femme de 64 ans, qui était jugée, lundi, a ainsi poursuivi son activité et ouvert à trois reprises en 2001, en 2006, puis en 2009 une crèche illégale, tout en déclarant travailler comme nounou au domicile des parents (une assistante maternelle agréée ne peut travailler que chez elle). Elle a embauché quatre personnes. Une activité lucrative puisqu'elle a reconnu gagner 3 500 euros par mois devant le tribunal, contestant les 4 000 à 5 000 euros évalués par l'Urssaf. Agée de 59 ans, Monique Monarcha, condamnée dans la première affaire à douze mois avec sursis et 12 000 euros d'amende, exerçait elle aussi sans agrément et embauchait deux personnes. "Est-ce que nos critères de sécurité ne sont pas trop drastiques ?", s'interroge Laurence Rameau.
Parce que financer une crèche collective coûte très cher à une mairie
Ces deux affaires ont mis en lumière le manque de places en crèche à Marseille, qui affirme toutefois "ne pas avoir à rougir" de son offre en matière de garde d'enfants de moins de trois ans. Pour 33 000 bambins, la ville compte, selon La Provence, 15 728 places - tous modes de garde confondus - dont 2 756 dans les 63 crèches municipales.
Reste que financer une crèche collective coûte très cher aux mairies. Autour de "1 million d'euros", calcule Laurence Rameau, entre l'ouverture et le budget de fonctionnement. Une place en crèche revient ainsi entre 3 000 et 5 000 euros par enfant par an. "En période de crise, certaines municipalités ne peuvent pas se le permettre", estime la spécialiste. Elles sont de plus en plus nombreuses à déléguer ce service aux entreprises privées, telles que Babilou. En 2012, une crèche sur deux créée était privée.
Cet état de fait explique-t-il l'attitude de la Protection maternelle infantile (PMI), qui dépend du département ? Selon l'avocat d'Hélène Atlan, Arié Goueta, la PMI a effectué plusieurs contrôles dans cette crèche. En 2008, elle aurait même rédigé un rapport élogieux, cité par Libération. L'avocat dénonce ainsi "l'hypocrisie de la PMI qui feint de découvrir chaque fois de nouvelles structures (...) Le système arrangeait tout le monde et il y avait moyen de découvrir les choses bien avant". Ce n'est qu'en juillet dernier que la PMI a fait un signalement à la justice. "Il y a eu un mouvement d'arrêt pour ces structures connues, estime de son côté dans 20 Minutes Christophe Pinel, l'avocat de Monique Monarcha. C'est un signal lancé pour tous ceux qui franchissent la ligne jaune. Mais les parents ont besoin de solutions, même illégales."
Parce que certains emplois nécessitent une souplesse en termes d'horaires
Travailleurs sociaux, enseignants, intermittents du spectacle, avocats, architecte... La structure d'Hélène Atlan était très prisée par des parents travaillant en libéral ou à temps partiel. La PMI avait d'ailleurs relevé leur statut, notant qu'il s'agissait souvent de personnes ayant été mutées et en recherche de solutions.
Les crèches collectives privilégient clairement les parents qui travaillent à temps plein, cinq jours sur cinq. Ce qui ne favorise pas non plus les enseignants, qui ont souvent le mercredi de libre. Les structures multi-accueil, un mélange de crèche collective et de halte garderie, avaient été créées pour permettre aux parents ne travaillant pas 35 heures par semaine d'y déposer leur enfant selon leurs besoins. Mais "leur gestion est très compliquée", relève Laurence Rameau.
Les femmes, plus souvent embauchées à temps partiel, sont les premières victimes de ce système. "Il faut développer les crèches car elles permettent de lutter contre les inégalités sociales et homme/femme", ces dernières optant souvent pour un congé parental si aucun moyen de garde n'est trouvé, explique Christophe Najdovski, adjoint à la Petite enfance à la mairie de Paris, cité par l'agence Sipa. Les chiffres de la Drees (le service statistiques du minstère des Affaires sociales) sont édifiants : en France, 60% des enfants de moins de trois ans restent gardés par l'un de leurs deux parents, les 40 % restants étant confiés à des assistantes maternelles (30%) et à des structures collectives (10%).
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