Au procès des attentats de janvier 2015, la cour d'assises perdue dans les contradictions d'Abdelaziz Abbad
Cet accusé de 36 ans est l'un des seuls présents dans le box à être relié aux frères Kouachi, mais ses différentes versions fragilisent l'accusation.
Abdelaziz Abbad est le neuvième accusé interrogé par la cour d'assises spéciale, dans le procès des attentats de janvier 2015. Il est surtout le premier à être relié aux frères Kouachi. Le président Régis de Jorna le précise d'emblée, mercredi 21 octobre : si la majorité des accusés sont poursuivis pour leur assistance à Amedy Coulibaly, Abdelaziz Abbad l'est aussi pour avoir cherché des armes pour les terroristes de Charlie Hebdo, plus particulièrement pour Saïd Kouachi. Comment ce lien a-t-il été fait ? Par Abdelaziz Abbad lui-même. Une "auto-incrimination", comme il le dit, qu'il tente de détricoter depuis plus de trois ans.
C'est par la téléphonie que cet homme de 36 ans arrive dans le dossier des attentats. Trafiquant notoire à Charleville-Mézières (Ardennes), il possède plusieurs lignes téléphoniques, qu'il ne garde jamais plus de "trois à quatre semaines". L'une d'entre elles, ouverte avec un nom d'emprunt en novembre 2014, intrigue les enquêteurs puisqu'elle est en contact régulier avec trois autres accusés : Metin Karasular et Michel Catino en Belgique et Ali Riza Polat en région parisienne. Abdelaziz Abbad, dont le casier judiciaire très fourni vient d'être alourdi par une affaire de complicité d'assassinat, est donc extrait de sa cellule au printemps 2017 pour être placé en garde à vue.
"Dès que j'ai sorti ce nom-là, ils ne m'ont plus lâché"
C'est au cours de cette première audition que surgit le nom de Saïd Kouachi, lui aussi originaire de Charleville-Mézières. Abdelaziz Abbad explique aux enquêteurs que fin 2014, un certain Marouan H., l'ex-petit ami de sa sœur, est venu le voir à Revin (Ardennes) avec un "type" qui recherchait des armes. En voyant les photos de Saïd Kouachi à la télé, il s'est dit : "Oh, on dirait celui est venu avec Marouan." "Dès que j'ai sorti ce nom-là, ils ne m'ont plus lâché", regrette à l'audience l'accusé, les bras croisés, un pull noir assorti à ses cheveux bruns. Depuis, ses versions n'ont cessé d'évoluer.
"Quelle est votre position aujourd'hui ?" demande le président. Les réponses alambiquées de l'intéressé n'aident pas à y voir beaucoup plus clair. Une assesseure vient au secours de la cour et résume "la thèse du malentendu" défendue par Abdelaziz Abbad : au départ, ce dealer reconverti en garagiste, qui continue à faire dans les stupéfiants mais aussi "occasionnellement" dans le trafic d'armes, reconnaît être descendu le 25 novembre chez Ali Riza Polat à Grigny (Essonne) sur les conseils de Metin Karasular. Version numéro 1 : pour des stupéfiants. Version numéro 2 : pour trouver les armes demandées par Marouan H. et le "type" qui ressemble à Saïd Kouachi. Lequel cherchait "deux kalachnikovs, des pistolets automatiques et un gilet par balle". Ali Riza Polat lui montre un sac d'armes, dont certaines sont rouillées. Abdelaziz Abbad n'en veut pas et repart bredouille.
Un "lot d'armes pourries"
Version numéro 3 : Abdelaziz Abbad inverse la chronologie. Il descend chez Ali Riza Polat pour trouver des armes à écouler, elles ne lui plaisent pas, mais il se laisse convaincre par Metin Karasular. Selon l'accusation, c'est Michel Catino qui fait le trajet pour remonter le sac, moyennant 500 euros. Abdelaziz Abbad rencontre alors le fameux duo à la recherche d'armes, leur présente le sac. Ils n'en veulent pas non plus. "Après, ça tourne en eau de boudin cette histoire. Marouan vous dit que finalement ils ont trouvé ce qu'ils voulaient à Paris. Vous vous retrouvez avec ce lot d'armes pourries, considérez que Metin Karasular a une dette envers vous et ça se règle en héroïne. Est-ce que c'est à peu près ça l'histoire ?" demande la magistrate. "Oui", répond l'accusé.
Voilà pour les versions données pendant l'enquête, puis à l'audience. Pour les faits, l'accusation retient qu'Abdelaziz Abbad borne le 3 janvier 2015 au garage de Metin Karasular, le jour où Ali Riza Polat et Amedy Coulibaly rencontrent le Belge pour un présumé échange d'armes. Il coupe sa ligne téléphonique le 7 janvier, premier jour des attentats. L'accusé, plus calme que pendant ses auditions, comme le souligne le premier assesseur, perd patience : le 3 janvier, il soutient être allé sur place récupérer l'héroïne. Et le 7, avoir coupé son téléphone pour échapper aux appels incessants de Metin Karasular qui voulait récupérer son argent.
Vu que je m'étais pris une carotte sur les armes, je voulais pas payer Karasular.
Abdelaziz Abbaddevant la cour d'assises spéciale
Surtout, Abdelaziz Abbad assure n'avoir jamais cherché des armes pour Saïd Kouachi, qui ne ressemblait finalement pas du tout à l'individu venu le voir avec Marouan H., soutient-il.
"Un béret, des lunettes et une moustache"
L'homme en question portait "un béret, des lunettes, une moustache et un bombardier", peut-être "un déguisement", suggère Abdelaziz Abbad. "Et il avait une baguette sous le bras ?" ironise Me Isabelle Coutant-Peyre, l'avocate d'Ali Riza Polat. Si l'accusé avait établi une ressemblance avec une photo de Saïd Kouachi sans barbe, présentée par les enquêteurs, et avec un cliché vu à la télé où il portait des lunettes, il change d'avis lorsque la photo d'autopsie du terroriste lui est montrée. "Il a une barbe, elle est comme ça", mime-t-il depuis le box, soulignant qu'elle ne peut avoir poussé à ce point entre la rencontre supposée et le 9 janvier.
Depuis trois ans, la juge est restée sur le fait que j’ai peut-être vu Saïd Kouachi. Faut arrêter, moi j'étais dans une histoire de droit commun, je leur ai expliqué mon trafic. L'histoire du terrorisme, c'est beaucoup trop pour moi.
Abdelaziz Abbaddevant la cour d'assises spéciale
"Quand vous évoquez cette ressemblance, vous savez bien que vous êtes en garde à vue pour cette affaire, s'étonne l'assesseure. Forcément, les policiers vont avoir les oreilles qui se dressent." Abdelaziz Abbad a-t-il vu Saïd Kouachi tout seul et impliqué Marouan H., "qui a manqué de respect à sa petite sœur" et qui lui devait 4 000 euros dans une affaire de stupéfiants ? "Je ne vais pas impliquer un mec dans une affaire de terrorisme pour une histoire de relation avec ma petite sœur", balaie-t-il d'un revers de main.
Mis hors de cause et entendu comme témoin, Marouan H. reconnaît être allé trouver l'accusé en décembre 2014 – le 11, selon les éléments de l'enquête – à Revin. Selon lui, l'homme au béret et à lunettes qui l'accompagnait n'était pas Saïd Kouachi, mais était un certain "Omar, de Châlons-en-Champagne" et il ne cherchait pas des armes mais "de la beuh".
Quant au sac d'armes, "un boulet au pied", "invendable", selon Abdelaziz Abbad, il aurait d'abord été entreposé dans une planque à Revin, avant d'être caché sous la baignoire de la compagne d'un proche des frères Abbad, entendue à la barre. Deux sont vendues à un collectionneur, d'autres seraient jetées dans la Meuse par la jeune femme, qui affirme avoir été menacée et violée par Mustapha Abbad. Terrorisée, elle se cache un certain temps dans les bois avec un ex-petit ami pour échapper aux Abbad, "une famille qui fait peur dans les Ardennes", selon ce dernier. Également entendu en visioconférence depuis la prison où il est détenu dans une autre affaire, ce témoin date cette période à février-mars 2015. Après les attentats de janvier."Ces armes, elles n'ont pas pu finir entre les mains des terroristes ?" demande Me David Apelbaum à son client. "Jamais de la vie !" répond Abdelaziz Abbad. La cour n'a plus que les interrogatoires de Miguel Martinez et Ali Riza Polat pour tenter de répondre à cette question centrale.
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