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Procès des attentats de janvier 2015 : Amar Ramdani, accusé et ami d'Amedy Coulibaly, face au "mythe" de "la secte de la buanderie"

Soupçonné d'avoir aidé l'auteur des attentats de Montrouge et de l'Hyper Cacher à acheter des armes, Amar Ramdani a nié, mercredi et jeudi, tout lien avec les faits de janvier 2015. Il s'est également défendu de toute pratique radicale de l'islam, notamment en prison, où il a rencontré le terroriste.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Amar Ramdani (à gauche) dans le box des accusés, répond à la question d'une avocate de parties civiles, le 7 octobre 2020 au procès des attentats de janvier 2015. (ELISABETH DE POURQUERY)

"Dolly... euh, Amedy Coulibaly." A plusieurs reprises, Amar Ramdani se corrige. L'accusé, interrogé mercredi 7 et jeudi 8 octobre, au procès des attentats de janvier 2015, ne connaissait le tueur de Montrouge et de l'Hyper Cacher que sous son surnom carcéral. "Je ne connaissais pas Amedy Coulibaly, je connaissais Dolly. Quand j'ai dit ça, monsieur le président, ce n'était pas pour jouer avec les mots. C'est parce que c'était une personne complètement différente", expose Amar Ramdani à l'audience. "C'est un ami, mais ce n'est pas mon meilleur ami", précise depuis le box cet homme musclé de 39 ans, cheveux bruns coupés courts, torse moulé dans un fin pull noir, jugé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.

Quand il apprend qu'Amedy Coulibaly est l'un des auteurs des attentats, Amar Ramdani prend un coup de massue, assure-t-il aujourd'hui : "C'était comme si quelqu'un était venu et m'avait donné un grand coup derrière la tête. Ça fait bientôt six ans, je ne comprends pas et j'ai toujours du mal à assimiler." Lui qui dit ressentir de la "répulsion" pour les attentats, après avoir souffert des "années noires" du terrorisme pendant son enfance en Algérie, martèle ne pas avoir eu connaissance des projets terroristes de Coulibaly.

Les deux hommes se sont connus à la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), où Amar Ramdani était incarcéré depuis février 2010. En mai de la même année, Amedy Coulibaly est placé en détention provisoire.

C'est quelqu'un qui savait rester à sa place, ne se mêlait pas aux embrouilles. Je le qualifierais d'intelligent.

Amar Ramdani, accusé

à propos d'Amedy Coulibaly

Avec un autre accusé, Nezar Pastor Alwatik, ils travaillent ensemble à la buanderie de la prison, surnommée "la secte". Pour Amar Ramdani, Amedy Coulibaly "ne se cachait pas d'être musulman", il pratiquait sa religion mais "dans le sens positif de la chose". Il n'essayait pas de convaincre, n'enseignait pas le Coran. Il s'indignait de voir les Rohingyas massacrés, mais ne versait pas dans l'antisémitisme. "Il s'habillait en Dolce & Gabbana le mec. Il m'avait juste dit que sa femme était voilée, enfin qu'elle portait le voile intégral", ajoute Amar Ramdani.

"Je ne lui ai jamais remis d'argent pour une entreprise terroriste"

Amar Ramdani sort de prison en juillet 2013. Il continue d'entretenir des liens avec Amedy Coulibaly, qui y reste jusqu'au printemps suivant. "Je vais pas vous mentir : en prison, on avait tous des téléphones. J'ai gardé contact avec lui, ça s'est fait automatiquement", explique l'accusé. Amar Ramdani passe une tête au procès de son ex-codétenu, fin 2013. Dans cette procédure, surnommée ATWH, on soupçonne Amedy Coulibaly d'avoir participé au projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, artificier des attentats du RER C en 1995, condamné à la réclusion à perpétuité. "J'avais 50 euros à donner à son avocat pour qu'il puisse acheter à manger. Et puis je voulais le voir, c'était un signe d'amitié", justifie Amar Ramdani. "Est-ce que cela signifie que vous épousez sa cause, les thèses abordées ?" interroge Christian Saint-Palais, son avocat. "Jamais de la vie." 

Amedy Coulibaly est condamné, mais le caractère terroriste de l'association de malfaiteurs n'est pas reconnu. Il sort de prison le 4 mars 2014 sous bracelet électronique. Une surveillance levée deux mois plus tard. Parmi les personnes avec lesquelles il reprend contact, il y a Amar Ramdani. Les deux hommes échangent des centaines de SMS, se voient à l'extérieur, mais jamais à leurs domiciles, et ne se présentent pas leurs compagnes. Que font-ils alors ? En novembre 2014, Amar Ramdani accompagne Amedy Coulibaly lors de la vente d'une Mercedes. Une escroquerie à laquelle l'accusé assure ne pas avoir participé, lui qui a pourtant l'habitude de commettre de telles arnaques. "La seule chose que j'avais à gagner, c'est le contact", explique-t-il.

Jusqu'à la veille de la fusillade mortelle à Charlie Hebdo, Amar Ramdani voit "Dolly". Il s'acquitte notamment d'une dette de 200 euros. Son empreinte digitale a été retrouvée sur un billet de la liasse découverte dans l'appartement conspiratif d'Amedy Coulibaly. "Je ne lui ai jamais remis d'argent pour une entreprise terroriste, je lui ai rendu les 200 euros que je lui devais", se justifie Amar Ramdani. Il est aussi accusé d'avoir aidé Amedy Coulibaly à acquérir des armes en se rendant, à six reprises, entre octobre et décembre 2014, dans la région lilloise avec Saïd Makhlouf, un cousin éloigné, également jugé devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Un rôle logistique contesté par l'accusé, qui a réponse à tout, s'exprime avec aplomb et éloquence, mais multiplie les versions au gré des auditions. Il parle d'abord "d'accompagner Saïd Makhlouf voir des prostituées", avant de concéder que "c'était secondaire". Il évoque finalement un "trafic d'herbe" avec Mohamed-Amine Fares, lui aussi dans le box. Un alibi jugé peu convaincant.

"Ces armes, les avez-vous vues ?" "Jamais"

Comme le lui font remarquer des avocats des parties civiles, Amar Ramdani est intelligent. Séducteur, charmeur, il habille aussi ses déclarations de politesse. Donne volontiers du "monsieur le président". Cette courtoisie laisse place par moments à de l'arrogance. Amar Ramdani est un brin provocateur, un sourire narquois se devine parfois sur ses lèvres, cachées par un masque chirurgical. Une attitude qui peine à dissiper le doute sur son implication. Mais l'accusé a un atout dans sa manche : ses avocats. Il y a la pugnace Daphné Pugliesi et le ténor du barreau Christian Saint-Palais. "On cherche, on cherche ce que vous avez pu faire pour répondre de cette association de malfaiteurs à caractère terroriste", lance le pénaliste à l'accent chantant.

"On vous reproche d'avoir apporté un soutien logistique à Coulibaly dans la recherche et la fourniture d'armes. Ces armes, les avez-vous vues ?

– Jamais.

– On sait que ces armes appartenaient à Claude Hermant et qu'elles se sont retrouvées dans les mains d'Amedy Coulibaly. Alors j'ai une question simple : avez-vous fait l'intermédiaire entre les deux ?

– Jamais de la vie.

– Est-ce que vous avez rencontré celui qui les a eues au début ?

– Non.

– Sur les armes, car l'enjeu est plus sérieux que le ton que j'ai adopté, avez-vous passé avec Coulibaly un quelconque accord ou quelque assistance ?

– Non."

Christian Saint-Palais n'évoque pas la place de la religion dans la vie de son client, de confession musulmane. Ce sont ses anciennes compagnes qui en parlent à la barre. La première était gendarme, et a été radiée pour avoir consulté illégalement des fichiers concernant Amar Ramdani peu après les attentats de janvier 2015. Elle s'était convertie à l'islam deux ans avant de le rencontrer. Elle le dit haut et fort : il n'est pas radicalisé. Sa seconde compagne, elle, affirme le contraire. Pas "vraiment pratiquant" avant son séjour à la prison de Villepinte, il se tourne davantage vers la religion à sa sortie. "J'avais l'impression que ça le rendait plus sage, donc je trouvais ça bien." Jusqu'à ce que cela pose problème, selon elle : "Il avait des réactions différentes par rapport à moi. Ça nous arrivait de boire un verre d'alcool avant. Mais là, ce n'était plus possible. Des choses radicales, quoi."

La "secte de la buanderie", "des histoires inventées"

"Dans sa bouche à elle, le mot 'radical' n'a pas le même sens, je pense, que pour des magistrats, elle ne voulait pas dire 'radicalisé'", se défend Amar Ramdani. "Je comprends qu'elle dise que j'étais assagi. Mais j'étais assagi par les années, je ne pense pas par la religion. J'ai pris de l'âge et j'ai mûri", explique-t-il. "En détention, il n'y avait rien à faire, donc j'ai pratiqué ma religion", justifie-t-il encore. Qu'en disent les détenus qu'il a connus à l'époque ? L'un d'eux a constaté qu'Amedy Coulibaly ne lui avait pas serré la main car il était chrétien. Le même l'avait traité de "kouffar". Des comportements qu'il n'a pas observés chez Amar Ramdani et Nezar Pastor Alwatik. "J'ai été étonné qu'[ils] soient mêlés à ça", affirme-t-il, invité à témoigner jeudi.

Pourtant, c'est ce témoin qui a utilisé, lors de son audition en garde à vue, la fameuse expression de "secte de la buanderie". "Vous êtes dans le dossier le père d'une formule devenue célèbre", lui fait remarquer l'assesseur, qui lui demande de développer. "J'ai dit ça en rigolant, en blaguant au téléphone. Je parlais avec un ami. C'est comme ça qu'on les appelait", détaille-t-il. "Mais c'était un peu fort", estime-t-il aujourd'hui. Pressé de questions sur cette expression, il perd rapidement son calme. Et explose même : "J'ai divorcé à cause de cette histoire parce que ma femme croyait que j'étais mêlé à ça. Alors rien que d'être là, ça me gonfle !" Et de décrire l'arrestation spectaculaire dont il a été l'objet en janvier 2016, en Slovénie, alors qu'il se rendait aux obsèques de son père.

"Vous pouvez nous en vouloir car c'est nous qui avons souhaité que vous veniez. Mais c'est très important que vous soyez venu car on a appris des choses. D'abord, on a appris que vous étiez sur écoute", intervient Christian Saint-Palais. Problème : les écoutes auxquelles le témoin fait référence n'existent pas dans la procédure. Il affirme pourtant qu'en garde à vue, les policiers ont attiré son attention sur cette expression, qu'ils ont, selon lui, entendue de sa bouche. Difficile alors d'établir la vérité. Le témoin s'agite, Amar Ramdani et d'autres accusés se marrent.

Le calme revenu dans la salle, c'est Delphine Malapert, avocate de Nezar Pastor Alwatik, qui prend la parole. "Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui que le mythe de la 'secte de la buanderie' s'est effondré ?" Murmures dans la salle. "Euh, oui", répond plus doucement le témoin. "Je vais vous dire une chose : si ce terme existait avant les attentats, ce secteur serait dissous depuis longtemps, renchérit un autre témoin. C'est des histoires inventées."

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