Un frère et une sœur reconnus comme parents de leur enfant : quatre questions sur la décision de la cour d'appel de Caen
La Cour d'appel de Caen (Calvados) estime que la double filiation d'Océane, dont les deux parents ont la même mère, peut être maintenue en raison de l'intérêt de l'enfant. Franceinfo revient sur cette affaire.
C'est une décision rare. Dans un arrêt rendu le 8 juin 2017, et que franceinfo a pu consulter, la cour d'appel de Caen (Calvados) a reconnu la double filiation d'une enfant née d'un inceste. Océane est le fruit d'une liaison entre une femme et son demi-frère. La fillette est aujourd'hui âgée de 8 ans. Franceinfo revient sur cette affaire.
Que s'est-il passé ?
Hervé, aujourd'hui âgé de 53 ans, et Rose-Marie, âgée de 46 ans, sont nés de la même mère dans l'Aube, rapporte Le Point. Mais après leur naissance, tous deux sont rapidement placés dans des familles d'accueil. Ils ignoraient donc leur lien de parenté. Dans des circonstances inconnues, leurs chemins se croisent en 2006. De cette liaison va naître Océane, le 5 mai 2009.
Comme c'est parfois l'usage, Hervé avait fait une reconnaissance en paternité, le 18 avril 2009, soit quelques semaines avant la naissance. C'est la première filiation établie. Le deuxième lien de filiation, entre la mère et l'enfant, est lui établi le 6 mai 2009, soit le lendemain de la naissance.
Que prévoit le Code civil ?
En théorie, un tel cas n'aurait pas dû être possible : l'article 310-2 du Code civil, sur lequel se basent les agents d'état civil pour les actes de naissance, interdit toute double filiation en cas de naissance incestueuse. Et pour cela, plusieurs cas de figure sont prévus par le législateur.
La filiation avec la mère est établie automatiquement au moment de la naissance. Le nom de la mère est apposé sur l'acte de naissance. Donc, en cas de relation incestueuse, le père ne peut pas reconnaître l'enfant après la naissance. Une seule filiation est alors reconnue : celle de la mère. Mais la loi prévoit aussi le cas où le père va faire une reconnaissance de l'enfant avant la naissance.
"En cas de reconnaissance paternelle prénatale, l’officier de l’état civil doit, s’il en a connaissance lors de la déclaration de naissance, refuser d’inscrire le nom de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant", précise une circulaire du ministère de la Justice de 2006. Si, malgré tout, une double filiation issue d'une relation incestueuse est constatée plus tard, l'officier de l'état civil doit alors saisir le procureur de la République "afin d’engager l’action en annulation de la filiation maternelle." "Le lien incestueux" ne doit pas apparaître sur un acte de naissance, ajoute le texte.
Que dit la justice dans cette affaire ?
Justement, quatre ans après la naissance d'Océane, en 2013, le procureur de Cherbourg (Manche) est saisi, précise Le Point, sans donner davantage de détails sur cette découverte tardive. L'un des deux parents vit alors dans la région. Suivant l'article 310-2 du Code civil, le procureur demande l'annulation de la seconde filiation, établie entre la mère et l'enfant, puisque dans ce genre de cas, c'est toujours la première filiation qui est conservée.
Le 10 mars 2006, le juge des affaires familiales annule l'acte de naissance et ne reconnaît que la première filiation, soit celle entre le père et sa fille. Mais la mère fait appel. Dans l'arrêt rendu le 8 juin 2017, la cour d'appel de Caen annule ce jugement et maintient le double lien de filiation, au nom de l'intérêt de l'enfant.
"La fillette vit avec sa mère depuis sa naissance. La maternité de la mère est certaine. Son engagement dans la parentalité n'est pas contesté, notamment par le père. Celui-ci ne démontre pas avoir entretenu, ni entretenir actuellement avec sa fille des liens particulièrement étroits", note ainsi l'arrêt. Les juges estiment donc que "l'annulation du lien de filiation maternel sur lequel la place de l'enfant dans l'histoire familiale s'est construite jusqu'à présent aurait des conséquences dommageables dans la construction de son identité."
Quelles peuvent être les suites ?
"C'est une décision heureuse pour Océane. Hervé, son père, était le premier à dire que si un lien de filiation devait disparaître, ce devait être le sien. Il n'a pas élevé cette enfant ", réagit auprès du Parisien Catherine Besson, l'avocate du père. Le problème est que cette décision va à l'encontre des dispositions prévues par le Code civil. "Le texte est très clair : un double lien de filiation incestueuse ne peut être établi par quelque moyen que ce soit", explique Elodie Mulon, avocate spécialisée en droit de la famille, contactée par franceinfo.
Le parquet peut donc décider de saisir la Cour de cassation. Et lors de précédents cas, la Cour de cassation a toujours annulé la double filiation. Pour l'instant, rien n'a été tranché du côté du parquet de Caen, qui s'est exprimé dans Le Parisien : "On est face à deux intérêts contradictoires : celui de l'enfant et l'ordre public."
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