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"L'antisémitisme des jihadistes français rappelle celui des années 30"

Selon Samir Amghar, spécialiste du salafisme, l'antisémitisme des filières jihadistes françaises est bien spécifique.

Article rédigé par Camille Caldini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Le chef présumé de la cellule de terroristes, Jérémie Louis-Sidney. (FRANCE 2)

ANTITERRORISME - Un attentat dans une épicerie casher, une liste d'institutions et d'associations juives de banlieue parisienne : le groupe salafiste démantelé samedi 6 octobre semblait vouloir s'en prendre à la communauté juive. Il y a six mois, Mohamed Merah abattait de sang froid des juifs dans un collège confessionnel de Toulouse, au nom du jihad (une guerre au nom de la religion).

Samir Amghar, spécialiste de l'islam radical et auteur de Le salafisme d'aujourd'hui (éd. Michalon) a expliqué à FTVi les liens entre jihad et antisémitisme. 

FTVi : Le jihad est-il forcément antisémite ?

Samir Amghar : Non. Il y a une forme de jihad, dont l'objectif est de libérer un peuple, qui n'a rien d'antisémite. En Tchétchénie où en Bosnie par exemple, où des musulmans ont pris les armes pour repousser des forces d'oppression. Les filières jihadistes françaises sont très différentes, qu'il s'agisse de Mohamed Merah ou du groupe démantelé il y a quelques jours.

Comment expliquer l'antisémitisme des jihadistes français ?

C'est d'abord lié à l'histoire du pays. Cet antisémitisme là rappelle celui des années 30. Les juifs ne sont pas visés pour des motifs religieux, mais à cause d'idées reçues comme "le juif est riche et avare" ou bien "il pilote en secret le gouvernement français". Ces idées, totalement étrangères à la tradition islamique, circulent beaucoup sur les sites internet salafistes. Elles ont conduit par exemple le Gang des barbares à torturer Ilan Halimi, qui en tant que juif était perçu comme riche. Dans les cas de Merah et du groupe de Cannes, cet antisémitisme n'est pas à la racine du jihadisme, mais il est aussi présent.

Cet antisémitisme aurait-il une origine politique ? 

Oui et non. Les musulmans de France sont largement dépolitisés. Les institutions et associations peinent par exemple à les mobiliser pour la Palestine, alors que les juifs de France portent un attachement profond à Israël. Chez les jihadistes, l'antisionisme n'est pas déterminant. Il est en revanche aggravant, comme lorsque Mohamed Merah disait qu'il voulait venger les enfants palestiniens. Mais on n'a jamais démantelé en France de filières destinées à envoyer des armes ou des hommes en territoires occupés, ni même dans les pays limitrophes. Alors qu'on sait qu'il y a des Français en Afghanistan, au Mali et même en Irak.

A l'échelle nationale, on constate que les musulmans sont frustrés par une France "deux poids, deux mesures", qui différencie l'antisémitisme des autres formes de racisme. Ils ont le sentiment que le gouvernement se préoccupe plus des juifs que d'eux. Que les juifs ont plus de poids politique. Avec comme exemple, la mobilisation autour de Gilad Shalit (un Franco-Israélien détenu à Gaza pendant 5 ans, libéré en 2011) comparée au cas de Salah Hamouri (un Franco-Palestinien détenu en Israël pendant 6 ans, libéré en 2011).

Le retrouve-t-on ailleurs, aux Etats-Unis par exemple ?

Il n'y a pas un antisémitisme universel. Chaque forme est liée au pays où elle se développe. Aux Etats-Unis aussi, l'antisémitisme existe chez des musulmans en raison du poids politique des juifs, implantés depuis longtemps en Amérique du Nord. Mais les lobbys communautaires sont autorisés et reconnus. Donc plutôt que de jalouser une population, les musulmans, arrivés plus récemment sur le continent, s'organisent pour devenir aussi un puissant lobby. Cette possibilité apaise en partie l'antisémitisme.

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