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Le gouvernement divisé sur l'interdiction du voile à l'université

"Qu'on n'invente pas des problèmes là où il n'y en a pas" : c'est ce qu'a répondu Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur, en réaction à la proposition du HCI d'interdire le port du voile à l'Université. Une déclaration sans doute aussi dirigée vers son collègue de l'Intérieur, Manuel Valls, qui avait indiqué ce matin que le rapport du HCI était "digne d'intérêt". Comme en 2004, le débat sur le port du voile divise à l'intérieur même du Parti Socialiste.  
Article rédigé par Lucas Roxo
Radio France
Publié Mis à jour
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  (Maxppp)

C'est lundi qu'a été révélé un rapport du Haut commissariat à l'intégration, dans lequel figurait la proposition d'interdire le port du voile dans les universités. Depuis, différentes réactions sont venues relancer un débat qui n'a toujours pas cicatrisé depuis 2004, et la loi interdisant le port du voile à l'école. 

La réaction de Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et donc directement concernée par la question, était attendue. Elle a appelé, sur France Inter, à ne pas faire "une polémique d'un sujet qui n'en est pas un ". "Aucune université n'a saisi le ministère à ce sujet, c'est donc que ça ne pose pas de problème ", a-t-elle rappelé. 

Elle a également indiqué que "l'université ce n'est pas comme l'école ou le lycée, il s'agit de jeunes majeurs ", rappelant que la priorité était que les jeunes filles fassent des études, en particulier les filles qui portent le voile, car "les études sont un facteur d'émancipation ". 

Valls : des propositions "dignes d'intérêt"

Difficile de ne pas y voir une réponse aux déclarations de Manuel Valls dans le journal Le Figaro, ce vendredi matin. Le ministre de l'Intérieur, qui avait fait partie en 2010 de la vingtaine de députés ayant voté en faveur de la loi sur le voile intégral, a expliqué que l'ensemble des propositions du HCI étaient pour lui "dignes d'intérêt ".

Il a ajouté qu'il fallait laisser, à ce stade, "l'Observatoire de la laïcité travailler et formuler des propositions ", tout en soulignant qu'il ne sous-estimait pas "l'analyse du HCI, et ses douze propositions sont dignes d'intérêt. A tout le moins, il faudrait mettre de la cohérence (université, IUT...). Il faut le faire avec méthode et en cherchant le consensus si possible ."

Le monde de l'université contre l'interdiction

Justement, un consensus paraît compliqué à trouver. Pour Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d'universités (CPU), la proposition du HCI est à écarter. Interrogé par Le Monde, il ne cache pas son agacement : " Lors de notre audition, en mars dernier, nous avons fait part de notre opposition à une nouvelle loi et l'avons d'ailleurs écrit, ensuite, à deux reprises.", explique celui qui est aussi président de Paris 13.

"Nous sommes attachés à la laïcité mais le dialogue, conforme à la tradition de liberté et de pluralisme de l'université, me paraît plus utile. Par ailleurs, nos campus accueillent beaucoup d'étudiants étrangers", conclut-il. 

"L'Unef n'accepte pas que le nécessaire débat sur la laïcité se résume à désigner une religion, à savoir l'Islam, comme principale cible"

L'UNEF est du même avis. Si le principal syndicat étudiant, qui a réagi dans un communiqué, s'est montré plus nuancé, il affirme tout de même ne pas accepter "que le nécessaire débat sur la laïcité se résume à désigner une religion, à savoir l'Islam, comme principale cible ". Avant d'ajouter qu'une "telle atittude renforce les réflexes communautaires plutôt que de les combattre efficacement ". 

78% des Français seraient contre le port du voile à l'université

Et qu'en pense la société française ? C'est ce qu'a tenté de savoir le journal Le Figaro, qui a commandé un sondage Ifop sur le sujet. D'après le sondage, une grande majorité de Français (78%) seraient opposés au port du voile à l'université. Certains médias, comme Mediapart, ont critiqué la méthodologie du sondage

Toujours est-il que ces différentes réactions viennent souligner une tendance déjà remarquée lors des précédents débats autour du port du voile : la question divise, et surtout traverse les clivages politiques.

Si au gouvernement, ils semblent déjà divisés sur la question, dans le principal parti d'opposition, c'est la même chose. Hervé Mariton, député UMP qui avait travaillé en 2004 à l'élaboration de la loi contre le port du voile à l'école, s'est cette fois-ci déclaré contre son interdiction à l'université.

Un débat vieux de plus de 20 ans

Pour rappel, le débat autour du port du voile dans l'espace public est arrivé en 1989, après "l'affaire de Creil ". En juin 1989, deux jeunes écolières avaient dû cesser de fréquenter leur collège après que le principal leur eut demandé de retirer leur voile.

L'emballement médiatique qui en avait découlé avait forcé le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de l'Education nationale d'alors, Lionel Jospin, à statuer sur la question. Il avait affirmé que le port du voile était compatible avec la laïcité, et qu'une exclusion du collège n'était pas justifiée. 

Mais le débat continue, et en 1994, une nouvelle circulaire, la "circulaire Bayrou " établit la distinction entre les symboles religieux "discrets " et les symboles "ostentatoires " devant être interdits. De 1994 à 2003, une centaine de filles sont exclues de collèges et lycées publics. Près de la moitié sont annulées devant les tribunaux. 

La loi de 2004

Ce qui pousse Jacques Chirac, en 2004, à demander la rédaction d'une loi sur la question. Ce sera la loi du 15 mars 2004, qui interdit le port de tout signe religieux visible, incluant le voile islamique, la kippa, mais aussi le port de grandes croix.

La loi avait à l'époque entraîné un débat de société important, et soulevé des divisions à l'intérieur de la gauche, comme de la droite. Si la question du port du voile à l'université n'a pas atteint ce niveau de polémique, les divisions sont visiblement toujours là. 

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