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Les portables bientôt autorisés en prison ? "L'administration n'a pas le choix : on en a déjà tous !"

Francetv info s'est entretenu – au téléphone – avec Youv, incarcéré depuis 12 ans, sur la possible autorisation des portables en milieu carcéral.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un surveillant patrouille dans un couloir de la prison de Bois-d'Arcy (Yvelines), le 8 juillet 2014. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Youv est en prison depuis douze ans. Condamné à une lourde peine pour multiples braquages, ce trentenaire est passé par une demi-douzaine de maisons d'arrêt. Aujourd'hui incarcéré dans "une prison de région parisienne", il tient, depuis sa cellule, des chroniques sur Facebook au sein d'un groupe privé, dans lesquelles il raconte son quotidien de prisonnier, ses coups de gueule et ses états d'âme. Le tout, depuis son portable (obtenu illégalement). Francetvinfo s'est entretenu avec lui – au téléphone – après la prise de position d'Adeline Hazan, la nouvelle contrôleuse des lieux de privations de liberté, en faveur d'une autorisation du téléphone pour les prisonniers.

Francetv info : Y a-t-il beaucoup de téléphones portables qui circulent en prison ?

Youv : Soyons clair : tout le monde a un téléphone en prison ! Au début de ma peine, il y a plus de dix ans, j'étais l'un des seuls à avoir un portable. Aujourd'hui, dans le quartier des grosses peines où je suis incarcéré, 90% des détenus en ont un. Depuis le début de ma vie de prisonnier, j'ai eu des dizaines de téléphones. Une bonne partie a été confisquée par les matons. En douze ans de taule, j'ai fait plus de deux ans de mitard [quartier d'isolement pour raisons disciplinaires] et neuf fois sur dix, c'était à cause du téléphone. Mais c'est le jeu : tu prends dix heures de mitard, mais tu as pu profiter de ton téléphone pendant un mois. Ça vaut le coup.

Aujourd'hui, ce n'est plus pareil. Les matons en ont marre, ils ne fouillent même plus les cellules. Certains m'ont vu téléphoner et ne m'ont même pas confisqué mon portable. Plus besoin d'élaborer des stratégies dingues pour planquer son téléphone [dans ses chroniques, Youv décrit un système de cordelettes qui lui permettait, en cas de contrôle des surveillants, de larguer son téléphone par la fenêtre]. Même au mitard, j'ai mon téléphone maintenant.

A quoi vous sert votre téléphone portable ?

A appeler ma famille. Je leur téléphone au moins cent fois par semaine. Je passe plus de temps au bout du fil qu'avec les gens dans la prison. Après dix ou vingt ans de taule, si les gars ont toujours toute leur tête, ce n'est pas grâce aux promenades mais grâce aux contacts qu'ils ont avec leurs familles. Et sans téléphone, c'est impossible. Pour obtenir une visite au parloir, les délais sont hallucinants ! Mes proches ont déjà fait une demande. Elle a mis six mois à être acceptée. Pour être refusée au dernier moment ! L'argument ? "Vous êtes dangereux pour lui", voilà ce qu'ils ont dit à ma famille. Du coup, tout passe par le téléphone.

Je l'utilise aussi pour aller sur internet. C'est depuis mon téléphone que j'écris toutes mes chroniques, depuis des années, sur Facebook. Je fais même des vidéos que je publie sur internet.

Que pensez-vous de la récente prise de position d'Adeline Hazan en faveur de l'autorisation du téléphone portable pour les prisonniers ?

C'est une bonne chose, mais tout dépend des conditions. Ça ne me pose pas de souci de n'avoir qu'un petit nombre de numéros à pouvoir appeler [Adeline Hazan suggère de limiter les appels aux membres de la famille]. Ne plus avoir internet, ce n'est pas si grave. L'essentiel pour moi, c'est de pouvoir appeler ma famille.

Le problème, c'est si ces téléphones sont mis sur écoute par les gardiens et c'est ce qui risque d'arriver. Moi ce que je veux, c'est la confidentialité, et de l'intimité. Ici, on a des cabines téléphoniques, mais personne n'y va. Elles sont désertées ! On sait tous très bien que nos conversations sont écoutées et censurées. Une fois, un prisonnier a insulté le directeur de la prison au téléphone, auprès de sa famille. La conversation a été coupée et les surveillants l'ont jeté au mitard.

L'administration pénitentiaire n'a pas le choix. Ils seront obligés d'autoriser les téléphones portables, d'ici cinq ans maximum. On en a déjà tous ! C'est incontrôlable pour eux ! Maintenant, si en autorisant les téléphones, ils espèrent que je vais leur donner mon portable obtenu illégalement contre un téléphone qui sera mis sur écoute, ce n'est même pas la peine. Et je ne serai pas le seul à refuser...

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