Marche des fiertés à Paris : huit questions pas si bêtes sur les "prides" LGBT+

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Le mot d'ordre retenu pour la marche des fiertés annuelle à Paris, organisée le 29 juin 2024, sera la défense "des personnes LGBT+, et en particulier les personnes transgenres", selon l'Inter-LGBT. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Pourquoi ces événements ont-ils lieu en juin à travers le monde ? De quand date la première marche de ce type en France ? Les personnes qui ne sont pas LGBT+ y sont-elles les bienvenues ? Réponses avec des chercheurs et des associations à l'occasion du grand rendez-vous parisien, samedi après-midi.

"Contre la transphobie : transolidarités". L'Inter-LGBT appelle les Franciliens à défiler pour défendre les personnes transgenres lors de la marche des fiertés parisienne, samedi 29 juin à 13h30. Un mot d'ordre décidé en raison de l'actualité politique, alors qu'Emmanuel Macron juge "ubuesque" la proposition du Nouveau Front populaire de faire modifier son état civil en mairie, et qu'un projet de loi des Républicains au Sénat veut très fortement limiter les transitions de genre des mineurs.

Comme chaque année à cette période, plusieurs défilés ont lieu, en France et dans le monde, pour défendre les droits des personnes LGBT+. Mais savez-vous pourquoi ? Franceinfo répond aux questions que vous vous posez peut-être sur les "prides".

1 Qu'est-ce qu'une marche des fiertés ?

"Il s'agit d'un savant mélange de militantisme et de fête", explique Anne-Lise Ceran, coprésidente de l'association Nosig, qui organise depuis 2001 la marche des fiertés nantaise. "C'est avant tout quelque chose de militant, puisque c'est un moment pour (...) mettre en avant les discriminations que notre communauté peut ressentir au quotidien et exposer nos revendications", détaille-t-elle. Les marches sont aussi l'occasion "de se rappeler que, dans certains pays, être une personne LGBT+ est encore passible de mort ou de prison, qu'à certains endroits on ne peut s'unir ou adopter des enfants", ajoute James Leperlier, président de l'Inter-LGBT, la fédération d'associations qui organise la marche à Paris.

Mais cette manifestation "doit aussi rester un temps de fête", pour "célébrer qui on est, dans notre diversité", avance Anne-Lise Ceran. "C'est un événement qui permet de montrer, en premier lieu aux personnes LGBT+, mais aussi à la société, qu'on est heureux et fiers de qui l'on est, et qu'on ne se cachera pas", abonde James Leperlier.

Témoin du mélange entre aspect militant et festif, les marches ont des mots d'ordre relatifs aux enjeux politiques du moment (le droit au mariage et à l'adoption, la procréation médicalement assistée...). Mais les cortèges sont ponctués de DJ, de chorales ou de chars, et on y vient souvent à plusieurs pour s'y retrouver. A Paris, un concert gratuit est organisé à l'arrivée de la manifestation. Dans d'autres villes, des événements culturels comme des festivals de cinéma ou des expositions s'ajoutent aux manifestations.

2 D'où vient cette tradition ?

Les marches des fiertés à travers le monde, communément organisées au mois de juin, commémorent les émeutes de Stonewall, survenues à New York en juin 1969. Et ce, même si elles n'en sont pas nécessairement les "héritières directes", détaille Guillaume Marche, professeur de civilisation américaine à l'université Paris-Est Créteil et spécialiste des mouvements LGBT+ aux Etats-Unis.

Le 28 juin 1969, dans un bar new-yorkais nommé Stonewall Inn, fréquenté par de nombreuses personnes homosexuelles, transgenres, drag queens et prostituées, une descente de police vire à l'affrontement. A l'époque, ces opérations des forces de l'ordre sont "assez courantes, dans un contexte de répression policière envers les personnes LGBT+", rappelle Guillaume Marche. Celles-ci sont régulièrement arrêtées dans les bars, notamment pour ''attentat à la pudeur" en cas de baiser.

Ce soir-là, les policiers qui pénètrent dans l'établissement trouvent face à eux une foule qui ne se laisse pas faire. "Ceux qui avaient été arrêtés ont commencé à protester ; nous, on s'est mis à jeter des objets, des pièces, tout ce qui nous passait sous la main, sur les voitures de police. On ne s'était pas du tout concertés, mais cette fois-ci, on s'est dit : 'Ça suffit'", a raconté un participant en 2019 à Libération. Résultat : le face-à-face se transforme en émeute, qui se poursuivra durant cinq jours. Après ces affrontements, de nombreuses organisations de défense des droits LGBT+ naissent outre-Atlantique.

"Les premières gay prides se sont ensuite organisées à partir de l'année suivante aux Etats-Unis, puis dans le monde, pour commémorer les événements de juin 1969."

Guillaume Marche, historien spécialiste des mouvements LGBT+ aux Etats-Unis

à franceinfo

Pourtant, "il existait déjà des rassemblements d'homosexuels qui se présentaient dans l'espace public à visage découvert pour dire : 'on existe'", note l'historien. Les émeutes de Stonewall jouent néanmoins un rôle de consolidation des mouvements et des marches qui commencent à voir le jour.

3 Et en France, ça existe depuis quand ?

En France, "la première apparition dans l'espace public d'homosexuels et de lesbiennes se revendiquant comme tels remonte au 1er mai 1971", souligne Mathias Quéré, chercheur à l'université Paris-Cité. Des militants du Front homosexuel d'action révolutionnaire (Fhar), un collectif de gauche radicale né dans la lignée des mouvements protestataires de mai 1968, font irruption dans le défilé du 1er-Mai organisé par les syndicats.

Durant les années 1970, le militantisme LGBT+ se développe et "des groupes de libération homosexuels (GLH) font leur apparition dans une trentaine de villes en France", note l'historien. Finalement, le 25 juin 1977, la première marche autonome d'homosexuels et de lesbiennes est organisée dans la capitale, en soutien au mouvement LGBT+ américain qui, derrière le député Harvey Milk, dénonce des lois discriminatoires. L'ancêtre de la marche des fiertés parisienne ne rassemble alors que quelques centaines de personnes.

Compte tenu de la proximité de l'élection présidentielle, avec la perspective de l'arrivée de la gauche au pouvoir, le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle (Cuarh) organise une nouvelle marche, le 4 avril 1981 à Paris, pour demander la fin des discriminations légales visant les personnes LGBT+. Le succès du rassemblement – plus de 10 000 personnes y participent – marque le début de l'organisation annuelle des marches des fiertés en France.

4 Mais ça s'appelait pas la "gay pride", avant ?

Les noms des marches des fiertés ont évolué avec le temps. L'expression "gay pride" ("fierté homosexuelle" en anglais) est, à partir des années 1980, la plus utilisée aux Etats-Unis et dans le monde pour désigner les marches annuelles. Mais cette dénomination a évolué avec le temps, notamment pour être plus représentative de la diversité des personnes LGBT+, alors que l'acronyme regroupe une grande diversité d'identités : des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, mais aussi intersexes ou asexuelles...

Le terme "fiertés", très utilisé pour désigner les marches françaises ces dernières années, "est plus inclusif", justifie donc la militante Anne-Lise Ceran. Le terme "pride" est désormais également utilisé seul, dans la même volonté d'inclusivité.

5 Pourquoi défiler pour les personnes LGBT+ et pas pour les autres ?

"En réaction aux droits obtenus par les personnes LGBT+ depuis une vingtaine d'années, notamment en Amérique du Nord ou en Europe, on voit l'émergence d'un discours qui estime que l'égalité est acquise, et qu'il n'y a donc plus besoin de revendiquer une 'fierté LGBT+'", avance le chercheur Guillaume Marche. Des partisans de l'ex-président américain Donald Trump ont par exemple organisé, en septembre 2019 à Boston, un "défilé de la fierté hétéro", en réaction à la tenue d'une marche LGBT+ en juin dans la même ville, rapporte la chaîne locale NBC Boston. Ces discours de contestation vont parfois jusqu'à "la remise en cause des droits acquis par la minorité LGBT+", note aussi Guillaume Marche.

Pourtant, les personnes LGBT+ continuent de subir différentes formes de discriminations, n'ont pas encore acquis l'intégralité des droits qu'elles revendiquent partout dans le monde et voient même certains acquis remis en question, rappellent les associations. "Le fait d'être hétéro ne pose pas de problème pour obtenir un logement ou un emploi et n'est pas susceptible d'entraîner une agression dans la rue", égrène Anne-Lise Ceran, de l'association Nosig, qui assure que "tant qu'il n'y aura pas d'égalité complète, on continuera à défiler".

6 Par qui ces manifestations sont-elles organisées, et avec quels financements ?

Les marches des fiertés sont organisées par une ou plusieurs associations LGBT+, souvent regroupées au sein d'un même territoire. Pour financer ces défilés, elles piochent dans leurs fonds propres (dons, adhésions...), mais peuvent aussi bénéficier de subventions de collectivités territoriales. Certains organisateurs recourent à des partenariats privés avec des entreprises, qui fournissent des ressources matérielles pour la tenue des marches en échange de l'affichage de leur soutien lors de l'événement.

Enfin, les associations peuvent exiger des organisations souhaitant participer au cortège (autres associations LGBT+, organisations professionnelles, partis politiques...) de payer des frais d'inscription pour défiler. Le jour-même, les organisateurs récoltent parfois des fonds (dons, buvette...) pour renflouer la trésorerie qui servira à organiser la marche l'année suivante.

7 N'y a-t-il des marches que dans les grandes villes ?

Si ces manifestations ont d'abord éclos dans les grandes villes américaines, puis occidentales, elles ont aussi gagné certaines capitales du reste du monde et, parfois, des territoires plus ruraux. En France, on compte quelque 80 marches des fiertés organisées en 2024, selon un recensement de la fédération LGBTI+. Elles se tiennent majoritairement dans des grandes villes, mais se déroulent aussi dans des communes de moins de 10 000 habitants comme Ancenis (Loire-Atlantique), Saint-Martin-d'en-Haut (Rhône) ou Tignes (Savoie). Ces dernières années, des rassemblements ont même eu lieu dans certains villages, comme à Molines-en-Queyras (Hautes-Alpes), Saint-Laurent (Lot-et-Garonne) ou Chenevelles (Vienne), qui accueille depuis 2022 une marche des fiertés rurales

Outre ces marches dans de nouveaux lieux, des rassemblements thématiques ont fait leur apparition dans des villes où existaient parfois déjà des manifestations : des prides de nuit, des marches lesbiennes, la marche des fiertés des banlieues ou la pride radicale... Ces "contre-marches" sont "plus politisées et radicales" que leurs aînées, note l'historien Guillaume Marche. Leur multiplication traduit notamment "la volonté de certains, au sein des mouvements LGBT+, d'échapper à l'emprise des sponsors [présents depuis les années 1980] et au sentiment de commercialisation des identités et des mobilisations LGBT+", ajoute-t-il. L'émergence de ces nouvelles marches témoigne aussi de "la volonté d'accentuer, ou de revendiquer, la visibilité de segments de la communauté LGBT+" qui bénéficient d'une acceptation sociale moindre et qui portent des revendications propres (personnes trans, personnes LGBT+ et racisées...). 

8 Les personnes qui ne sont pas LGBT+ y sont-elles les bienvenues ?

L'immense majorité des marches des fiertés accueillent toutes les personnes qui souhaitent y participer, qu'elles soient ou non LGBT+. "Plus il y a de monde, mieux c'est, car ça montre qu'il n'y a pas que les personnes LGBT+ qui soutiennent leurs droits et qui partagent leurs fiertés", avance James Leperlier, président de l'Inter-LGBT. Estimant elle aussi la présence de ces "alliés" – terme qui désigne les personnes non directement concernées par une cause militante, mais qui la soutiennent – "hyper importante", Anne-Lise Ceran précise que "c'est aussi important de laisser ceux qui sont directement concernés s'exprimer en priorité" lors de ces événements.

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