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Vidéo "C'est un combat de tous les jours" : en Tunisie, la communauté LGBT espère obtenir la dépénalisation de l'homosexualité

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LGBT TUNISIE
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Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions

L'article 230 du Code pénal tunisien punit l'homosexualité féminine et masculine de trois ans de prison. Encouragés par la récente décision en Inde, les militants LGBT se battent pour faire changer la loi et faire cesser les violences dont ils sont victimes.

Les militants LGBT+ tunisiens se verraient bien suivre l'exemple de l'Inde. Jeudi 6 septembre, la Cour suprême indienne a décidé de dépénaliser l'homosexualité. En Tunisie, le chemin pour la dépénalisation s'annonce encore long. Un rapport de la commission des libertés individuelles et de l'égalité, remis en juin dernier au président Béji Caïd Essebsi, préconise cette dépénalisation. Mais les résistances sont encore fortes dans la société tunisienne.  

"On ne nous considère pas comme des citoyens à part entière", témoigne ainsi Bouhdid Belhadi, directeur exécutif de l'association Shams. "On nous voit comme des criminels en état de liberté, en attendant de prouver notre homosexualité et de trouver une preuve pour nous emprisonner." Depuis 1913, l'article 230 du Code pénal, héritage de la colonisation française, punit l'homosexualité féminine et masculine d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à 3 ans ferme.

"Ils utilisent toutes les méthodes"

Pour arrêter les homosexuels, la police tunisienne n'hésite pas à fouiller dans la vie privée des personnes suspectées. "Ils utilisent toutes les méthodes. Parmi les dernières condamnations pour homosexualité, la police avait confisqué le téléphone d'un homme et ils ont retrouvé des échanges de messages sur Facebook entre lui et son copain. Sur la base de ces messages, il a été condamné à quatre mois de prison", raconte Mounir Baatour, président de l'association Shams.

Cela peut même être une plainte des voisins qui voient deux mecs vivre ensemble.

Mounir Baatour

à franceinfo

"Un autre s'est fait piéger par un policier sur l'application Grindr. Le policier était un sadique. Il l'a torturé, il l'a sodomisé avec une matraque et après quand il est allé se plaindre, la police a voulu lui faire un test anal pour vérifier s'il est habitué à la sodomie passive", poursuit Mounir Baatour. Les associations dénoncent avec vigueur l'utilisation du test anal, méthode utilisée par la police tunisienne pour confondre les personnes suspectées d'homosexualité. "C'est de la torture physique et psychologique, ça consiste à introduire un tube dans l'anus de l'accusé pour vérifier s'il y a du sperme, et ça consiste à introduire le doigt du médecin pour vérifier la marge anale", dénonce Mounir Baatour. "C'est du n'importe quoi, ça n'a aucune valeur scientifique."

"J'ai été arrêté le jour même"

Selon les estimations récentes fournies par les associations, il y a actuellement près de 200 personnes dans les geôles tunisiennes pour des faits d'homosexualité.  Bel arbi Nidhal raconte ainsi à franceinfo les conditions de son arrestation : "J'ai été arrêté et condamné pour 3 mois et 19 jours (...). Un jour, j'étais à la plage, mon copain est venu me voir et il a été arrêté et interrogé. Il a nié au début, mais, après avoir été frappé et menacé, il a avoué. Le soir, je suis revenu de la plage, les policiers m’attendaient, et j'ai été arrêté le jour même."

"Ils m'ont mis dans une cellule de 150 personnes. Et là, il y avait des tentatives de viol. Heureusement, j'ai été fort. J'ai résisté", raconte encore Bel arbi Nidhal. "L’homosexuel en prison, on lui coupe les cheveux, il n'a pas le droit d'aller au médecin, de manger en groupe. Il est frappé partout, insulté partout."

Des coups de barre de fer sur la tête

L'homophobie d'Etat, symbolisée par l'article 230 du Code pénal, se retrouve aussi dans tous les aspects de la vie quotidienne des personnes LGBT+. Les militants qui s'affichent pour obtenir une avancée de leurs droits craignent régulièrement pour leur vie, comme le confie Badr Baabou, président de l'association Damj. "Les pressions vont du harcèlement sur les réseaux sociaux, sur internet, et peuvent aller jusqu'à l'agression physique et verbale et  à des atteintes graves à l'intégrité physique", raconte ce dernier. Il a été ainsi victime d'une agression physique, un soir de mars 2016, alors qu'il sortait du bureau : "Ils ont commencé à me frapper sur la tête, sur les bras et sur les mains."

Ils m'ont dit : 'Voilà, ces mains et ces doigts, que vous utilisez pour parler des tapettes, des pédales, pour les défendre, on va vous les briser.'

Badr Baabou

à franceinfo

Les militants sont nombreux à décrire les vexations, les insultes et les coups reçus. Parfois même au sein du cadre familial. "J'ai été agressé par mon père, mon cousin et mon oncle parce que j'étais la honte pour eux", lâche ainsi Bel arbi Nidhal. De son côté, Bouhdid Belhadi a même été victime de menaces de mort prononcées par des imams. Et il a parfois eu très peur en marchant dans la rue : "Des gens ont couru derrière moi en appelant : 'voilà le PD de Shams, il faut le tuer, il faut appliquer les règles de la charia.'" 

Selon l'association Damj, pas moins de 24 personnes LGBT ont été tuées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité sexuelle. Les associations dénoncent l'inaction des autorités face à ces violences. "Il n'y a eu aucune suite bien entendu à ma plainte", raconte ainsi Badr Baabou. "Le chef du commissariat de police a dit aux autres agents : 'mais on a d'autres chats à fouetter.'"

"Un combat de tous les jours"

La récente décision en Inde de dépénaliser l'homosexualité est un motif d'espoir en Tunisie. "C'est un grand espoir, un grand exemple que l'Inde donne au monde et nous espérons que la Tunisie osera franchir le pas", confirme Mounir Baatour. Mais il reste encore beaucoup de chemin. "C'est un combat de tous les jours. Etre différent, être gay, être lesbienne, être une personne transgenre... C'est vraiment un combat qu'on mène tous les jours, à la maison, dans les lieux de travail, dans les écoles, dans les universités, dans la rue", constate Badr Baabou.

De son côté, Bouhdid Belhadi reste optimiste pour l'avenir et refuse de céder aux pressions en quittant son pays : "J'aime mon pays, et mon espoir est de voir mon pays en terre de paix pour la communauté LGBT. Et je suis convaincu qu'il viendra le jour où on aura nos droits."

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