PMA post-mortem, maternité partagée... Quelles sont les dispositions qui ne figurent pas (encore) dans la loi de bioéthique débattue à l'Assemblée ?
La commission a validé vendredi soir le projet du gouvernement. La plupart de ces amendements refusés pourraient être proposés à nouveau lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
La bataille promet d'être longue pour définir la forme finale de la loi de bioéthique. Le projet de loi, débattu en commission par les parlementaires chargés de son examen, arrive, mardi 24 septembre, en discussion générale à l'Assemblée nationale. Avant même l'ouverture des débats, le texte suscite déjà des critiques, malgré près de 2 000 amendements présentés en commission – sur lesquels seuls 198 ont été acceptés. Alors qu'une partie de la droite conteste certaines dispositions proposées, comme l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, d'autres critiquent plutôt les lacunes du texte. Franceinfo liste les principales dispositions que le projet de loi ne contient pas encore, mais qui pourraient revenir au cœur des débats dans l'hémicyle.
La PMA post-mortem
C'est un sujet qui a beaucoup divisé la commission d'examen du projet de loi. Le terme de PMA post-mortem désigne le fait de poursuivre un processus de procréation médicalement assistée alors que le conjoint d'une femme prête à recevoir un embryon meurt. Cette pratique est interdite en France. Le rapporteur du texte, Jean-Louis Touraine, a défendu une série d'amendements visant à l'autoriser. La commission a voté contre, à une voix près. Pourtant, "ouvrir [la PMA] aux femmes seules et pas aux femmes devenues veuves n'a aucun sens", défend le député LREM, interrogé par franceinfo.
"Lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, on compte bien proposer à nouveau cet amendement, assure le rapporteur. Certes, les avis sont partagés. La ministre de la Santé Agnès Buzyn disait notamment que c'était une situation trop rare pour mériter notre attention. Mais non : même si ça concerne une personne par an, c'est trop important."
C'est une question de respect de la liberté des femmes et de la confiance qu'on doit leur témoigner. Chaque femme doit être totalement libre de décider pour elle-même.
Jean-Louis Touraine, rapporteur LREM du projet de loi de bioéthiqueà franceinfo
L'opinion des députés était partagée sur la question de l'intérêt de l'enfant, certains se demandant s'il était souhaitable de faire naître un bébé dans un contexte de deuil. "Les députés s'imaginent à la place de l'enfant, mais au lieu de raisonner comme un enfant, ils raisonnent comme des adultes. Ils n'aimeraient pas grandir dans une famille sans père et croient que les enfants vont souffrir de cela. L'expérience montre que les enfants ne souffrent pas. Ils sont d'ailleurs très aimés de la mère en général", soutient Jean-Louis Touraine.
Pour le docteur Joëlle Belaisch-Allart, cheffe du service de gynécologie obstétrique et de la médecine de la reproduction au Centre hospitalier des quatre villes à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et professeure associée du collège de médecine des Hôpitaux de Paris, "il faut faire une distinction entre prélèvement des gamètes post-mortem et implantation de l'embryon après la mort du conjoint. On ne demande pas du tout que les gamètes [ovocytes ou spermatozoïdes] soient prélevés après la mort du conjoint. Ce que nous demandons, c'est que l'on puisse quand même procéder à l'implantation de l'embryon chez la mère lorsque la fécondation in vitro a été faite, que l'embryon est conçu et congelé et que le conjoint décède."
Ouvrir la PMA aux femmes seules et pas aux femmes qui ont perdu leur conjoint pendant le processus de PMA est absolument injuste, ce n'est absolument pas éthique.
Dr Joëlle Belaisch-Allartà franceinfo
A l'heure actuelle, les femmes qui perdent leur conjoint pendant le processus de PMA ont pour seule alternative de détruire l'embryon, d'en faire don à un autre couple ou à la recherche. Si les parlementaires rejettent la légalisation de la PMA post-mortem, elles pourront faire appel à un donneur anonyme après la destruction ou le don de l'embryon conçu avec leur conjoint décédé. Une situation "surréaliste" pour le député Jean-Louis Touraine.
Le consentement des enfants intersexes
Grande déception pour les associations réunissant les personnes nées intersexes, qui "ne correspondent pas aux caractéristiques typiques du masculin ni du féminin", selon la définition de l'ONU. Ces enfants sont pris en charge très jeunes par des médecins qui vont procéder à leur "assignation", c'est-à-dire à la suppression des organes du sexe auquel ils semblent le moins correspondre. "Dès leur plus jeune âge et sans leur demander quelque accord que ce soit, leurs corps sont purement et simplement 'féminisés' ou 'masculinisés' par ces praticiens. Ces transformations procèdent concrètement d'actes invasifs et définitifs entraînant de graves souffrances physiques et psychologiques", déplore un collectif d'associations dans une tribune envoyée à la presse. Sur décision du corps médical et de la famille, l'enfant est donc assigné homme ou femme, à un âge auquel il lui est impossible d'émettre un avis éclairé.
Le collectif a bataillé pour sensibiliser et alerter les députés de la commission sur ces "mutilations" subies par les enfants, sur lesquels on pratique des opérations chirurgicales sans leur consentement. "On a voulu leur expliquer la nécessité du consentement de l'enfant lorsqu'il y a des actes qui viendraient altérer ses caractéristiques sexuelles, sauf urgence vitale bien sûr. Il y a des cas très rares où il y a besoin d'une intervention, évidemment dans ces cas-là on ne s'y oppose pas", explique Gabrielle*, du collectif Intersexes et allié.e.s, interrogée par franceinfo. Mais le collectif n'a pas eu gain de cause, les amendements portés par des députés de la majorité ayant essuyé rejet sur rejet.
On demande que le consentement de l'enfant soit recueilli et on se retrouve avec une ministre [Agnès Buzyn] qui nous dit qu'il faut systématiser davantage la prise en charge...
Gabrielle, du collectif Intersexes et allié.e.sà franceinfo
"En France, on n'est pas sorti du diagnostic pathologisant, alors que ces enfants ne présentent généralement pas de problèmes de santé directement liés et ont un développement satisfaisant et sain, regrette Gabrielle. Les médecins veulent intervenir le plus tôt possible, en faisant des opérations chirurgicales ou hormonales sur le corps des enfants. Ce sont des interventions non vitales, généralement esthétiques. Ça fait une dizaine d'années qu'on a mis en place des centres de référence pour systématiser cette pratique-là."
D'abord opposée à l'ajout à la loi de bioétique d'une disposition pour encadrer les opérations pratiquées sur les enfants intersexes, Agnès Buzyn a finalement proposé de travailler sur un amendement qui pourrait être présenté à l'Assemblée. Une annonce qui ne rassure pas le collectif Intersexes et allié.e.s, inquiet de voir le pouvoir des centres de référence renforcé. "Cet amendement veut systématiser encore plus la prise en charge dans les centres de référence qui sont justement au cœur du problème. La ministre ne nous entend pas. Les mutilations sont réelles et la systématisation de la prise en charge renforce le pouvoir des professionnels de santé, dont une majorité soutient ces opérations", regrette Gabrielle, qui insiste sur "l'absolue nécessité de légiférer".
Jean-Louis Touraine "et plusieurs autres députés" projettent de proposer à nouveau une série d'amendements sur ce sujet lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, confirme le rapporteur à franceinfo.
La méthode ROPA, ou la maternité partagée
La fécondation in vitro dite ROPA (pour "Réception d'ovocytes de la partenaire") est une méthode d'assistance médicale à la procréation qui consiste à féconder l'ovocyte d'une des femmes d'un couple lesbien puis de faire porter l'enfant à l'autre femme. Ainsi, les deux mères jouent un rôle dans la conception de leur enfant. C'est une méthode réclamée par bon nombre d'associations LGBT+, qui ont signé avec des professionnels de santé une tribune dans le Huffington Post pour réclamer sa légalisation.
Lors de l'audition en commission de la ministre de la Santé, Jean-Louis Touraine avait interrogé Agnès Buzyn sur cette question. "Seriez-vous favorables à ce qu'on autorise le cas où, dans un couple de femmes, l'une d'elles donne les ovocytes et l'autre porte l'enfant ?", avait demandé le député. "Nous n'y sommes pas favorables. Il s'agit pour nous d’un don dirigé d’ovocytes et cela contrevient donc à la loi qui nécessite le strict anonymat entre donneurs et receveurs", avait balayé la ministre de la Santé.
Une analyse récusée par Alexandre Urwicz, président de l'association des familles homoparentales (ADFH), qui estime que la méthode ROPA n'est ni une gestation pour autrui, ni un don dirigé. "C'est ce qu'on appelle une maternité partagée, défend-il. On comprend bien que, dans ce dispositif, les deux mères partagent la maternité. C'est en cela que le regard porté par les ministres est erroné. La femme qui va transmettre son ovocyte à sa partenaire n'est pas une donneuse : c'est sa conjointe."
L'ADFH défend la légalisation de cette méthode particulière d'insémination artificielle. "Elle permet de vivre une grossesse encore plus partagée entre les deux mères. C'est un acte d'amour et de partage, de solidarité et d'égalité entre les conjointes. C'est un mode de maternité de plus en plus plébiscité par les femmes, explique Alexandre Urwicz à franceinfo. Je suis à peu près sûr qu'un amendement proposant son autorisation devrait revenir en discussion générale à l'Assemblée nationale", pronostique-t-il.
L'ouverture de la PMA aux personnes transgenres
Concernant l'accès des hommes transgenres, intersexes et non-binaires à la procréation médicalement assistée, le gouvernement répond par la négative. "Dans la vie civile, seule l'identité déclarée compte. Une personne née femme déclarée homme à l'état civil, même en ayant gardé son appareil reproducteur féminin, sera considérée comme un homme. Il n'aura donc pas accès à la procréation médicalement assistée", déclarait Agnès Buzyn lors de son audition par la commission. Une décision fustigée par l'Inter-LGBT, qui estime que "ce n'est pas au législateur de décider d'une interdiction générale mais que cela relève de la compétence des équipes pluridisciplinaires des centres de PMA".
Des amendements ont été proposés pour ouvrir la PMA aux personnes transgenres et ainsi "prévenir une discrimination", assure Jean-Louis Touraine. Un argument déjà défendu par Raphaël Gérard, député LREM, en commission. Ce dernier avait interrogé Jacques Toubon, le défenseur des droits, sur "la discrimination fondée sur le sexe, puisque deux personnes qui sont placées dans la même situation au regard de la procréation n'y ont pas accès en fonction de la mention de leur sexe à l'état civil".
#PJLBioéthique J'ai appelé l'attention de @Defenseurdroits sur l'introduction d'une discrimination fondée sur le sexe dans l'accès à l'#AMP: aujourd'hui un homme trans et une femme cis placés dans une situation identique au regard de la procréation n'ont pas le même accès à l'AMP pic.twitter.com/DTKiE7fjAZ
— Raphaël Gérard (@RaphaelGerard17) September 5, 2019
La ministre de la Santé, insistant sur la prévalence de l'état civil, a estimé que l'ouverture de la PMA aux personnes transgenres "aboutirait à ce qu'un homme à l'état civil devienne mère, ce qui est compliqué". Une déception pour les associations de défense des droits des personnes transgenres, intersexes et non-binaires, qui ont manifesté devant le ministère de la Santé, vendredi 20 septembre. Le lendemain, elles défilaient lors de la 23e Existrans, journée dédiée à la visibilité des personnes transgenres.
L'élargissement du diagnostic pré-implantatoire
Le diagnostic pré-implantatoire est une technique consistant à rechercher une anomalie génétique sur un embryon avant de procéder à son implantation dans l'utérus d'une femme passée par une PMA. Aujourd'hui, en France, ce diagnostic pré-implantatoire n'est autorisé que dans les cas où une maladie génétique grave et identifiée est déjà présente dans la famille. Lors de l'étude du projet de loi en commission, certains députés, soutenus par une partie des médecins auditionnés, ont demandé à ce que ce diagnostic soit ouvert à toutes les femmes ayant recours à la PMA.
Car pour les défenseurs de cet élargissement, il est d'abord question de protéger et de mieux accompagner les femmes recourant à une PMA. En effet, actuellement, 80% des premières fécondations in vitro se soldent par un échec. Même après plusieurs essais, 60% de ces tentatives échouent encore. "La moitié de ces échecs est due à un nombre anormal de chromosomes. Ce taux d'échec pourrait diminuer de moitié si on implantait uniquement les embryons qui présentent un nombre normal de chromosomes", explique le rapporteur du projet de loi, Jean-Louis Touraine.
Irrecevable pour le gouvernement, qui craint une "dérive eugéniste". Agnès Buzyn s'est prononcée contre cet élargissement qui pourrait aboutir à "une société qui triera les embryons". Au cœur du problème : la question du choix des "maladies qu'on ne souhaite plus voir vivre. Si on autorise cela, tous les couples qui font des enfants par voie naturelle se diront 'moi aussi j'ai droit à un enfant sain' et s'engageront dans une démarche de PMA de façon à disposer de tests génétiques à la recherche d'anomalies".
L'amendement qu'on va proposer à nouveau est le suivant : pour les couples qui ont eu des échecs antérieurs de fécondation in vitro, pour ceux-là seulement, que soit autorisé le recours au diagnostic pré-implantatoire.
Jean-Louis Touraineà franceinfo
Cet élargissement du diagnostic pré-implantatoire fera donc aussi partie des amendements proposés par la majorité LREM lors de l'examen du texte à l'Assemblée. "Il nous faut réussir à convaincre ! C'est de l'écoute de la souffrance des femmes soumises à une pénibilité inutile dont il est question. Toutes les sociétés savantes ont écrit des tribunes en faveur de ça", argue Jean-Louis Touraine.
La fin de vie et le suicide assisté
Malgré des amendements déposés en commission pour joindre à la loi de bioéthique des dispositions sur la fin de vie et, plus particulièrement, sur l'euthanasie, la majorité LREM a fait savoir qu'elle ne dérogerait pas à la règle : la loi de bioéthique et les dispositions sur la fin de vie sont traitées séparément. Pour la ministre de la Santé, "la fin de vie n'est pas une question de bioéthique puisque les façons dont on peut soulager les personnes ne relèvent pas de l'évolution des techniques".
C'est donc l'un des rares points sur lesquels la majorité n'a pas prévu de pousser le texte. "C'est un sujet qui a toujours été traité de façon distincte, souigne Jean-Louis Touraine. Il fera l'objet d'un prochain projet de loi, qui sera probablement présenté l'année prochaine." Malgré le calendrier politique chargé, avec les élections municipales en début d'année 2020, suivies des régionales début 2021, le député veut croire à l'engagement du gouvernement sur cette question.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée
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