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Une photo de la manifestation anti-PMA à Paris a-t-elle été retouchée pour gonfler la mobilisation ?

Contrairement à ce que certains internautes suspectent, la photo de l'avenue de l'Opéra pleine de manifestants partagée par La Manif pour tous sur Twitter dimanche semble authentique.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les opposants à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes manifestent sur l'avenue de l'Opéra à Paris, le 19 janvier 2020. (JULIEN MATTIA / ANADOLU AGENCY / AFP)

"Des centaines de milliers" de manifestants, selon les organisateurs. Seulement 41 000, d'après la préfecture de police de Paris. Voire à peine 26 000, d'après le cabinet Occurrence. Le débat fait rage sur le nombre réel de personnes rassemblées dimanche 19 janvier à Paris pour protester contre l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, alors que le projet de loi de bioéthique arrive au Sénat. Sur Twitter, la polémique se focalise entre autres sur une photo abondamment partagée, censée prouver l'importance de la mobilisation. D'après certains internautes, le cliché a été retouché. Pour d'autres, il est authentique. Mais qui dit vrai et qui dit "fake" ?

La photo en question a été tweetée par La Manif pour tous, qui se félicite de cette "démonstration de force" des opposants au projet de loi. Le cliché montre la foule des manifestants massée sur l'avenue de l'Opéra à la fin de la marche. Le cortège semble occuper la totalité de l'artère, d'un bout à l'autre : de l'angle de la Comédie-Française jusqu'à la place de l'Opéra.

Un internaute, Mr TenKe, affirme avoir découvert la preuve d'un "photomontage" en passant le cliché au révélateur d'un logiciel d'analyse d'image. Il semble avoir utilisé FotoForensics. Ce logiciel en ligne détecte les différences de compression d'un fichier image et délivre une représentation graphique en noir et blanc, dans laquelle les zones ayant été altérées – et donc potentiellement retouchées – apparaissent plus claires que les autres, comme l'explique FotoForensics (en anglais).

Un "quadrillage peu naturel et régulier"… 

L'analyse via FotoForensics de la photo publiée sur le compte Twitter de La Manif pour tous révèle un étrange quadrillage, que Mr TenKe a souligné en rouge dans ses tweets. En analysant l'image avec ce logiciel en ligne, franceinfo est arrivé au même résultat. D'après Mr Tenke, "ce quadrillage peu naturel et régulier" est "le résultat d'un script Photoshop". La photo aurait donc, d'après lui, été retravaillée à l'aide d'un logiciel de retouche d'image, dans le but d'"augmenter le nombre de personnes" y figurant. L'internaute a depuis protégé l'accès à ses tweets, qui ne sont donc plus consultables.

Capture d'écran d'un tweet suspectant une retouche dans une photo des anti-PMA, le 19 janvier 2020 à Paris (TWITTER)

… mais qui ne prouve rien

FotoForensics, comme les autres logiciels d'analyse d'image, n'est cependant pas infaillible. Si l'image est de mauvaise qualité – par exemple si le fichier image a été compressé, enregistré et partagé à plusieurs reprises –, la détection des erreurs est moins efficace. C'est justement le cas de la photo qui nous intéresse. Le fameux quadrillage, supposé prouver la retouche, n'est pas mis au jour par InVid par exemple, un autre outil de vérification d'image, dont les analyses tendent simplement à confirmer que le fichier image a été compressé et s'avère de piètre qualité. 

La photo de la manifestation contre la PMA avenue de l'Opéra à Paris le 19 janvier 2020, analysée par le logiciel en ligne InVID. (INVID)

Franceinfo a demandé à l'infographiste, consultant et formateur Jean-François Beaudart d'examiner l'image sujette à caution. Son verdict est sans appel. "Je ne pense pas que la photo soit retouchée", juge-t-il. 

Dans ce genre de cas, on recherche des éléments dupliqués et des défauts de duplication. Soit côte à côte, soit de manière aléatoire dans l'image. Ici, je n'en vois pas.

Jean-François Beaudart, infographiste, consultant et formateur

à franceinfo

En matière de retouche d'image, "on peut dupliquer des éléments de deux manières différentes, détaille le spécialiste. Soit avec l'outil "tampon" du logiciel, de taille variable et circulaire, qui permet de copier une zone de l'image ailleurs. Soit  avec l'outil "contenu pris en compte", avec lequel on peut sélectionner un élément précis – une silhouette ou un groupe de manifestants par exemple – et recopier la forme ainsi sélectionnée à un autre endroit dans l'image. 

Mais le sujet même de cette photo rend la retouche délicate voire impossible, souligne l'infographiste. "Quand vous avez deux éléments proches l'un de l'autre, cela pose problème à l'outil de duplication, qui va chercher des informations très loin autour de la zone de sélection. Ici, vous avez une foule très dense et des bâtiments très proches des manifestants."

Pas de doublons détectés

"Si on veut faire rapidement, on va prendre un élément dans le premier tiers inférieur de l'image et le copier dans le premier tiers supérieur, mais ça se verra tout de suite", assure Jean-François Beaudart, notamment parce que les éléments au premier plan, les plus près de l'objectif du photographe, sont plus nets que ceux les plus éloignés, plus flous. Une analyse partagée par les "motion designers" de franceinfo. Quant à Forensically, un autre logiciel d'analyse d'image, il ne détecte aucun "clone" suspect dans l'image.

La photo de la manifestation contre la PMA avenue de l'Opéra à Paris le 19 janvier 2020, analysée par le logiciel en ligne Forensically. Les zones suspectes apparaissent en surbrillance mauve. (FORENSICALLY)

Trois photoreporters ont pris des clichés similaires

Un dernier élément – et non des moindres – permet de dire que la foule photographiée sur l'avenue de l'Opéra était bien réelle. Dimanche, trois photoreporters ont pris des clichés de la manifestation depuis un poste d'observation en hauteur : une plateforme élévatrice mobile, installée sur la place de l'Opéra et visible dans cette vidéo, à droite de la scène. Les images des photojournalistes sont très similaires à celle partagée par La Manif pour tous. Toutes montrent une avenue de l'Opéra pleine de manifestants.

Les opposants à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes manifestent sur l'avenue de l'Opéra à Paris, le 19 janvier 2020. (JULIEN MATTIA / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les opposants à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes manifestent sur l'avenue de l'Opéra à Paris, le 19 janvier 2020. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"Il y avait deux plateformes élévatrices sur la place de l'Opéra qui dominaient la perspective sur l'avenue de l'Opéra, raconte à franceinfo le photoreporter du Parisien Olivier Corsan, qui a couvert la manifestation. L'une des nacelles était dans l'axe, elle était réservée aux organisateurs. L'autre était plus sur le côté. Elle était pour les journalistes." 

Il y avait un peu moins de monde avant, un peu moins de monde après, mais au moment où j'ai pris la photo, le cortège était quand même relativement dense.

Olivier Corsan, photoreporter au "Parisien"

à franceinfo

La foule s'étirait sur toute l'avenue, assure le photojournaliste. "Quand on est au sol, on ne peut pas se rendre compte, mais quand on est sur la plateforme, c'est très net. Est-ce qu'il y avait autant de monde au bout ? C'est plus difficile à dire. Quand on est sur la plateforme, on voit distinctement le premier plan, très dense, mais on ne voit pas aussi nettement le bout du cortège, qui était sans doute moins dense."

Un autre de ces photographes, Julien Mattia, fait le même récit des faits à franceinfo. "La nacelle pour la presse accueillait cinq journalistes par montée. La photo soi-disant truquée a été prise par la com de La Manif pour tous, depuis l'autre nacelle." Le reporter confirme lui aussi avoir vu et photographié une avenue de l'Opéra pleine de manifestants, d'un bout à l'autre. Cet extrait des images tournées par l'équipe de France Télévisions le corrobore.

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