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GPA, PMA : la décision de la CEDH va-t-elle changer le sort des "bébés Thalys" ?

La Cour européenne des droits de l'homme estime que la France doit reconnaître les enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Dans l'Hexagone, la situation des familles concernées reste pour l'instant floue.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Dans un arrêt rendu jeudi 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l'homme estime que la France doit reconnaître les enfants nés de mère porteuse à l'étranger. (FREDRIK VON ERICHSEN / DPA / AFP)

Tout au long des débats sur le mariage pour tous, le gouvernement l'avait martelé : pas question d'autoriser la gestation pour autrui (GPA) en France, une méthode de procréation fermement contestée par les opposants à la loi Taubira. Malgré cette fin de non-recevoir de l'exécutif, le débat revient dans l'Hexagone, via la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), saisie par deux couples hétérosexuels.

Oui, la France a le droit d'interdire la GPA sur son territoire. Non, elle ne peut pas refuser de reconnaître les enfants nés de mères porteuses à l'étranger, car c'est une atteinte à leur "identité". C'est en substance la conclusion de la CEDH, dans un arrêt rendu jeudi 26 juin, qui fera jurisprudence si la France ne demande pas un renvoi de l'affaire dans les trois mois.

Des enfants face à un flou juridique

L'Hexagone condamne la gestation pour autrui sur son sol. Mais dans les faits, ils seraient déjà des centaines à être nés de mères porteuses à l'étranger. Surnommés "les enfants fantômes de la République", ils vivent pour certains sur le territoire avec le passeport du pays dans lequel ils sont nés, rappelle Le Monde, sans carte d'identité française, ni livret de famille.

Le sujet, épineux, en rappelle un autre : celui des enfants nés via la procréation médicalement assistée (PMA). Dans l'Hexagone, seuls les couples hétérosexuels peuvent y avoir recours, sous conditions. Pas les couples homosexuels. Ce qui n'est pas le cas chez certains de nos voisins, comme en Belgique, où les lesbiennes y ont accès. Des Françaises font donc le voyage en Belgique pour concevoir ces "bébés Thalys".

Si l'interdiction n'est pas explicite, le devenir des enfants issus de ce mode de procréation divise la justice : le tribunal de Niort (Deux-Sèvres) a récemment validé les demandes d'adoption plénière formulées par trois couples de femmes mariées, estimant ne pas avoir à s'interroger sur le mode de conception de l'enfant. A l'inverse, à Versailles (Yvelines), le tribunal a refusé une demande similaire, au motif que l'enfant avait été conçu par PMA, "une fraude à la loi".

La CEDH invoque l'intérêt de l'enfant

Pour la GPA, l'arrêt de la CEDH pourrait changer la situation des enfants nés via cette méthode de procréation. Déjà, début 2013, Christiane Taubira avait tenté de s'attaquer au problème avec une circulaire très contestée, visant à faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Une "légalisation de fait" de la GPA dans l'Hexagone, avait tonné l'opposition à l'époque, en plein débat sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.

"Cet arrêt de la CEDH sécurise la circulaire Taubira, qui était attaquée devant le Conseil d'Etat, se félicite, auprès de francetv info, Patrice Spinosi, avocat d'un des couples requérants. Et puis cette circulaire ne réglait pas la question de la filiation : elle ne donnait pas à l'enfant le droit d'hériter de ses parents, le droit à la Sécurité sociale de ses parents..."

Une réaction à l'opposée de la "consternation" de l'association Les juristes pour l'enfance, hostile aux mères porteuses. "La Cour européenne empêche la Cour de cassation de rendre efficace l'interdiction de la GPA en France, dénonce Aude Mirkovic, universitaire et porte-parole de l'association. Désormais, chacun sait qu'on peut aller à l'étranger s'acheter un enfant."

Du côté du gouvernement, on temporise. La secrétaire d'Etat à la Famille a "pris acte" de la décision de la CEDH, mais a promis de "tenir" sur le principe "fort" de non-commercialisation du corps humain. Laurence Rossignol évoque "un sujet compliqué" et demande du temps pour trouver une solution : "Ce que je peux vous dire, c'est qu'on va tenir sur la non-marchandisation du corps."

Vers une nouvelle jurisprudence ?

Après la décision de la cour de Versailles sur la PMA, l'entourage de Laurence Rossignol avait assuré – sans plus de précisions – que la secrétaire d'Etat était "attachée à ce que l'esprit de la loi" sur le mariage homosexuel "soit appliqué". Une manière de sous-entendre que le projet de loi sur le mariage pour tous répondait déjà à la question des enfants nés d'une PMA à l'étranger.

Pourtant, "la loi n'est pas claire", estime Virginie Ricaud-Murat, avocate spécialisée en droit de la famille, dans une interview à Atlantico. "Il faut que le gouvernement statue sur la PMA car cette situation crée des injustices", réclame Caroline Elkouby Salomon, autre avocate spécialisée, dans L'ExpressPour trancher sur l'interprétation du texte, le tribunal de grande instance de Poitiers (Vienne) a saisi la Cour de cassation sur la question.

La décision de la CEDH sur la GPA pourrait-elle influer sur le processus ? "Cet arrêt n'est pas totalement transposable à la question de la PMA, prévient Patrice Spinosi. Mais la méthode, oui : il faut s'assurer que l'intérêt de l'enfant soit garanti." Selon Le Figaro, la réponse de la Cour de cassation est attendue d'ici l'automne.

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