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Colère des policiers : l'épineuse question des millions d'heures supplémentaires ni payées, ni récupérées

Fin 2017, près de 22 millions d'heures supplémentaires n'avaient été ni indemnisées, ni récupérées dans les rangs de la police nationale, selon un rapport du Sénat remis en juin 2018. Le problème est au cœur de la mobilisation des forces de l'ordre. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des policiers devant le Café de la Paix, place de l'Opéra, à Paris, lors d'une journée de mobilisation des "gilets jaunes", le 15 décembre 2018.  (MICHEL STOUPAK / NURPHOTO / AFP)

C'est l'une des revendications phares des syndicats de policiers, à l'heure où ils appellent les forces de l'ordre à une mobilisation nationale pour exprimer leur ras-le-bol. Le gouvernement a tenté d'apaiser la colère mardi 18 décembre en proposant une prime de 300 euros pour les policiers et militaires mobilisés lors du mouvement des "gilets jaunes". Mais au-delà du manque de moyens, de la surcharge de travail, de la rémunération insuffisante et du budget en baisse que dénoncent les syndicats, la question des heures supplémentairesen nette augmentation depuis plusieurs années, reste le nœud du problème. 

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"Cela fait des années que ça dure", explique à franceinfo Pierre Tholly, secrétaire général du syndicat Alliance en Auvergne-Rhône-Alpes. "Il va falloir que l'on règle ce problème. Les collègues attendent un geste financier", poursuit le syndicaliste, dont l'organisation appelle à fermer les commissariats mercredi 19 décembre. "Le policier n'est pas un robot", abonde auprès de franceinfo Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa Police. "Nous attendons des propositions sur la mise en paiement et la défiscalisation de ces heures supplémentaires. C'est du pouvoir d'achat pour les policiers." 

Combien d'heures supplémentaires n'ont-elles été ni payées, ni récupérées par les policiers français ? Pourquoi ne peuvent-elles pas l'être à ce stade ? Eléments de réponse. 

Un niveau record d'heures supplémentaires

Le chiffre est impressionnant. Il y a un an, fin 2017, 21,82 millions d'heures supplémentaires n'avaient été ni récupérées, ni indemnisées dans les rangs de la police nationale, selon un rapport du Sénat sur l'état des forces de sécurité intérieure, remis en juin 2018. D'après la chambre haute, il s'agit d'un "niveau jamais atteint à ce jour".

Après une baisse observée entre 2011 et 2014, d'après la Cour des comptes, le nombre d'heures supplémentaires des policiers a de nouveau repris sa croissance. Il a augmenté de 3,1% entre 2016 et 2017, a reconnu en juillet devant le Sénat Christophe Castaner, alors secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement. "Le gouvernement, en particulier le ministre de l'Intérieur, a parfaitement conscience de cette problématique qui représente un enjeu majeur en termes de disponibilité des personnels, de préservation des capacités opérationnelles des services, de santé pour celles et ceux qui s'engagent, mais aussi de finances publiques", a-t-il déclaré. 

Le député LR Eric Ciotti a écrit lundi 10 décembre une lettre à Emmanuel Macron à ce sujet, dans laquelle il assure que "le nombre d'heures théoriques moyen par agent concerné s'élève à près de 158 heures", rapporte Nice Matin. Cela représente, selon l'élu, "un coût moyen par agent proche de 2 000 euros"

Une indemnisation impossible pour l'instant

Pour quelles raisons ces heures supplémentaires s'accumulent-elles sans être payées aux policiers ? Comme l'explique Philippe Capon, seuls les CRS bénéficient d'une indemnisation, à hauteur de 12,47 euros brut par heure. Les autres services de police ne peuvent pas, pour l'instant, être rémunérés pour ces heures. "Et le policier n'a pas le choix de faire ou non ces heures supplémentaires", rappelle Philippe Capon. "Il est contraint de rester sur le terrain." 

Selon le rapport du Sénat, le coût total de ces quelque 22 millions d'heures supplémentaires ni indemnisées ni récupérées est estimé à 272,10 millions d'euros. "Aujourd'hui, à l'instant présent", payer ces heures dues "n'est pas compatible avec le contexte budgétaire que connaît notre pays", a déclaré Christophe Castaner face aux sénateurs cet été. Ce dernier a ajouté que la rémunération des heures supplémentaires des CRS représentait déjà, pour l'Etat, "un coût annuel d'à peu près 23 millions d'euros".

D'après le rapport sénatorial remis en juin, "à court terme, des négociations ont été engagées en vue de l'indemnisation non de l'ensemble du stock d'heures, mais des flux de l'année". En clair, que les heures dues pour une année soient a minima payées à la fin de cette même année. "La direction des ressources et des compétences de la police nationale a toutefois indiqué (...) qu'à ce jour les projections budgétaires pour l'exercice 2019 n'intégraient pas le paiement de ces heures supplémentaires", précise le document.

Mais le ministre de l'Intérieur a assuré mardi que "nous n'avons pas le droit d'avoir une dette de cet ordre-là". Le paiement de ces quelque 272 millions d'euros, dus "depuis des dizaines d'années", "est un chantier que je veux ouvrir", a-t-il déclaré. "Je ne peux pas dire d'un claquement de doigts que je vais trouver 275 millions d'euros. (...) Ça nous prendra un peu de temps, on ne trouve pas comme ça en quelques semaines un tel montant."

Le problème de la récupération des heures

Non rémunérées, ces heures supplémentaires peuvent néanmoins être récupérées en temps par les policiers. "Il est notamment envisagé d'obliger chaque agent, au-delà d'un certain seuil, à récupérer ses heures supplémentaires, en conférant la possibilité aux chefs de service d'imposer la prise des repos compensateurs pour services supplémentaires", explique ainsi le rapport sénatorial sur le sujet. "Une enveloppe d'heures supplémentaires maximale à ne pas dépasser pourrait, chaque année, être donnée aux directions métier", précise-t-il. 

Selon Le Figaro, le Premier ministre, Edouard Philippe, a expliqué dans un courrier en réponse à un référé de la Cour des comptes qu'un projet d'arrêté "modifiera les règles sur les modes de récupération des heures supplémentaires" des policiers, et ce dès son entrée en vigueur, "au plus tard en janvier 2019". "Les chefs de service pourront obliger les personnels, en fonction des nécessités du service, à récupérer leurs heures supplémentaires au-delà d'un seuil de 100 heures générées à compter d'une date en cours de détermination", explique ce courrier. 

Pour Philippe Capon, "il est impossible de récupérer ces heures supplémentaires", étant donné la charge de travail des policiers. Celle-ci a été particulièrement élevée ces dernières années, en raison de la menace terroriste et, plus récemment, du mouvement des "gilets jaunes". 

Dans l'incapacité de récupérer ces heures à court terme, certains le font "par anticipation, juste avant de partir en retraite", ce qui peut créer des problèmes de personnel à ce moment-là, ajoute Pierre Tholly. "J'ai des collègues qui ont l'équivalent de deux ans d'heures supplémentaires à récupérer" et qui risquent de le faire deux années avant de prendre leur retraite, assure-t-il. "Ils ne peuvent pas les prendre avant."

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