L'anonymat des donneurs de sperme, l'autre tabou de la PMA
La règle de l'anonymat en vigueur pour le don de gamètes en France est régulièrement contestée. La question se fait plus prégnante avec l'irruption du débat sur l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes.
Son irruption est venue perturber les sages débats tenus, ce jeudi 12 septembre, dans l'annexe de l'Assemblée nationale, à deux pas du Palais Bourbon. Raphaël Molenat, 37 ans, a réclamé, courtois mais ferme, le micro pour raconter son histoire.
Né d'une procédure d'insémination artificielle avec donneur (IAD) en 1976, il n'a appris qu'à l'âge de 26 ans le secret de sa conception. Lui qui dit avoir toujours senti le poids d'un secret familial a confronté ses parents à l'issue d'une psychanalyse. "J'ai été soulagé", raconte Raphaël Molenat. Le jeune homme imaginait jusque-là les scénarios les plus terribles, de l'adultère honteux à l'inceste.
Mais aujourd'hui, il voudrait plus : pouvoir connaître son donneur. Son association, Procréation médicalement anonyme (association PMA), qui milite pour la levée de l'anonymat aux 18 ans de l'enfant, a profité des deux journées de conférence et de débat organisées à l'occasion des 40 ans des Cecos (Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains) pour faire entendre sa voix.
Un principe historique remis en cause
La question de l'anonymat du don, règle absolue dans les Cecos, a toujours eu ses défenseurs et ses détracteurs. Elle revient sur le devant de la scène à la faveur d'un autre débat : celui portant sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes homosexuelles.
"En ouvrant l'accès de la PMA aux couples de femmes, on ne fera pas l'économie d'une interrogation sur l'anonymat du don", avançait en décembre 2012 le professeur René Frydman, spécialiste des questions de procréation médicalement assistée, dans une tribune publiée par Le Monde. "L'enfant d'un couple hétérosexuel ayant recours à un don de sperme anonyme a un père et une mère. Dans le cas d'un don (...), un couple de femmes, ne serait-il pas souhaitable que l'enfant puisse avoir accès à ses origines (...) puisqu'il n'aura pas d'autres référents masculins tout en sachant qu'il est issu de la rencontre d'un spermatozoïde et d'un ovule ?"
La demande concernant la levée de l'anonymat serait plus forte chez les couples de femmes. "Pour certaines d’entre elles, la personnification du géniteur est garante du bon équilibre de l’enfant", expliquait en mai 2012 Virginie Rozée, chercheuse à l'Institut national d'études démographiques, dans un article publié sur Raison-publique.
"On ne comprend pas"
Pour Raphaël Molenat, ce besoin de connaître ses origines biologiques est universel. "Il y a cette tierce personne qui est là, on ne peut pas l'enlever", argumente le vice-président de l'association PMA. Avant même de connaître la vérité sur sa conception, il avait choisi de s'orienter vers le droit de la santé - un drôle de hasard, estime aujourd'hui l'avocat dans un sourire. "On ne comprend pas pourquoi les Cecos s'opposent à cette idée. On nous parle beaucoup [des dérives] du tout génétique, mais aujourd'hui des juges ordonnent des tests de paternité qui font foi dans des conflits."
Le jeune homme et ses compagnons de lutte ne se font pas d'illusion. Si l'anonymat est un jour levé, il y a peu de chances que la mesure soit rétroactive. Il aimerait à tout le moins ébranler les certitudes du camp d'en face.
Les défenseurs de l'anonymat mettent en garde
A côté de lui sur l'estrade, Charlotte Dudkiewicz-Sibony, qui préside la commission des psychologues des Cecos, réprime un mouvement de tête. Elle défend âprement la politique du don anonyme. "Tous les couples que je vois veulent l'anonymat", assure la psychanalyste. Pour elle, lever l'anonymat fait courir un risque psychique fort à l'enfant : celui du secret total.
En Suède, où les enfants peuvent réclamer des informations sur l'identité de leur géniteur, plusieurs études publiées dans la revue Human Reproduction (en anglais) ont ainsi montré que la levée de l'anonymat avait poussé les parents, sinon à occulter, du moins à retarder significativement la révélation du recours à l'IAD, de peur que le lien avec leur enfant ne soit affecté.
D'autres cadres des Cecos craignent que la levée de l'anonymat ne fasse fuir les donneurs. Mais certains pays européens, à l'instar du Royaume-Uni, ont opéré cette transition sans que le nombre de donneurs ne soit affecté.
"Je me suis dit que j'allais donner moi aussi"
Reste le vécu de ces enfants nés grâce à des inconnus. Il y a Adeline, une jolie brune à l'allure sage, venue jeudi au séminaire des Cecos pour "comprendre". Agée d'une trentaine d'années, elle vient d'apprendre qu'elle a été conçue par IAD. Aux Cecos, "j'ai appris que mon dossier avait été détruit", explique-t-elle en étouffant un sanglot. Adeline sait qu'elle ne saura jamais.
Les ravages de ce que la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval appelle dans Libération "un mensonge d'Etat". "La situation n’est guère plus enviable pour ceux qui acceptent de donner leurs gamètes", souligne à ce sujet la psychanalyste, spécialiste de ces questions. "Ils vont, encore une fois, disparaître en tant que personne." Or, ce "ne sont ni des étalons ni des poules pondeuses, mais des sujets humains qui ont eux-mêmes des enfants qui seront, à leur tour, un jour concernés par la question de leurs 'frères et sœurs génétiques' anonymes".
Et pourtant, une origine génétique restée mystérieuse n'est pas toujours un traumatisme, loin de là. Charlotte Dudkiewicz-Sibony aime raconter l'histoire de ce patient conçu par IAD. A 30 ans, père d'un garçon de 5 ans, il a poussé les portes d'un Cecos. "Je suis né grâce à un don de sperme. Je me suis dit que j'allais donner moi aussi", lui a-t-il expliqué.
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