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Mariage des homos : Peillon ravive-t-il vraiment la "guerre scolaire" ?

Le ministre de l'Education a été accusé par la droite de "ressusciter la guerre scolaire" après l'envoi d'une lettre à tous les recteurs de France. Francetv info revient sur ce conflit éducatif.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des enfants défilent lors d'une manifestation contre le projet de loi ouvrant le mariage aux homosexuels, le 17 novembre 2012 à Paris. (PIERRE VERDY / AFP)

En affichant son opposition à la tenue de débats sur l'ouverture du mariage aux couples homosexuels à l'école, notamment privée, Vincent Peillon s'attendait-il à une telle levée de boucliers ? Samedi 5 et dimanche 6 janvier, Christine Boutin puis Luc Chatel ont accusé le ministre de l'Education nationale de vouloir "ressusciter la guerre scolaire". Vincent Peillon a dû s'en défendre, lundi 7 janvier au micro de RTL.

Peillon : "Il n'y aura pas de guerre scolaire" (Francetv info)

Francetv info s'est penché sur la signification de cette expression et sur la pertinence de son emploi au sujet des débats sur le mariage et l'homoparentalité. 

Qu'est-ce que la "guerre scolaire" ?

"L'expression date du début du XXe siècle", époque de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, explique Bruno Poucet, professeur à l'université de Picardie Jules-Verne et auteur de L'Enseignement privé en France (PUF). "On l'a aussi évoquée dans les années 1920, mais dans l'histoire récente, cela recouvre d'abord la période 1982-1984." Lors de la campagne présidentielle de 1981, François Mitterrand propose en effet de rapprocher l'enseignement public et l'école privée "au sein d'un grand service public, unifié et laïque de l’éducation nationale".

Cette proposition prend la forme, en 1982, d'un projet de loi présenté par le ministre de l'Education nationale du gouvernement de Pierre Mauroy, Alain Savary. Le texte prévoit la création "d'établissements d'intérêt public" qui regrouperaient les écoles publiques, les écoles privées et les collectivités territoriales, ainsi que l'intégration d'un important nombre de maîtres du privé dans la fonction publique. "Il ne s'agissait pas d'une disparition du privé comme on a pu l'entendre alors, mais d'un partenariat renforcé avec le public", indique Bruno Poucet.

Reste que pour les opposants à ce projet, cette ébauche de loi et ses divers amendements portent atteinte à la "liberté des enseignements". Leur mobilisation atteint un sommet le 24 juin 1984, lors d'une gigantesque manifestation parisienne à laquelle prennent part de nombreuses personnalités de droite. Le journal télévisé d'Antenne 2 indique ce soir-là que les organisateurs revendiquent 2 millions de participants au défilé.

Lors de son interview du 14-Juillet suivant, François Mitterrand annonce l'abandon du projet de loi. Alain Savary démissionne trois jours plus tard, suivi dans la foulée de Pierre Mauroy.

Bruno Poucet estime que depuis cette date, l'expression "guerre scolaire" est devenue une formule fourre-tout qui revient dès qu'une polémique concerne l'enseignement privé. Ainsi, lorsque le ministre de l'Education François Bayrou souhaite favoriser l'investissement public dans les écoles privées sous contrat, en 1994, le site internet de l'Assemblée nationale indique qu'il "rallume la guerre scolaire". Interrogé à ce sujet sur Le Monde.fr le 4 janvier, Bernard Toulemonde, juriste chargé de l'enseignement privé au ministère de l'Education entre 1982 et 1987, juge que "de temps en temps se ravive une petite braise, mais ça ne va pas plus loin".

Qu'a dit Peillon pour être accusé de raviver la guerre scolaire ?

Dans la fameuse lettre envoyée aux recteurs, que publie Le Figaro.fr, le ministre appelle "à la retenue et à la neutralité au sein de tous les établissements afin que l'école ne fasse l'objet d'aucune instrumentalisation" au sujet du mariage ouvert aux couples homosexuels. Une allusion faite à une autre lettre, envoyée peu avant les fêtes par le secrétaire général de l'enseignement catholique, Eric de Labarre, aux chefs d'établissement concernés, suggérant d'y organiser des débats.

Pour Vincent Peillon, les principes de retenue et de neutralité doivent s'appliquer "notamment dans les établissements privés sous contrat d'association", car leur "caractère propre (...) ne saurait leur permettre de déroger au strict respect de tous les individus et de leurs convictions".

Pour Luc Chatel, c'est justement le "caractère propre" des établissements privés qui est attaqué par Vincent Peillon. L'ancien ministre de l'Education développe son point de vue dans un entretien au Journal du Dimanche"A la transmission du savoir scolaire s'ajoute la transmission de valeurs qui sont propres aux établissements privés, en l'occurrence, les valeurs de la religion chrétienne pour ce qui concerne l'enseignement catholique, lance-t-il. Le ministre ne peut pas mettre en cause le caractère propre de ces établissements. Sinon, il remet en cause leur existence même !"

Les propos de Peillon remettent-ils en cause les fondements du privé ?

La notion de "caractère propre" des écoles privées est en fait présente dans le premier article de la loi Debré de 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés. Le texte indique que lorsque l'une de ces structures passe un contrat avec l'Etat, celui-ci contrôle l'enseignement qui y est dispensé. "L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyances, y ont accès", indique la loi.

"L'idée de ce fameux caractère propre, c'est de laisser une latitude dans certains domaines au privé : il peut s'agir d'organiser des activités de catéchèse, ou encore d'adopter d'autres formes de pédagogie, comme la méthode Montessori ou Freinet. Mais scolairement parlant, ces établissements ont les mêmes devoirs que le public", explique Bruno Poucet.

En demandant aux recteurs d'écarter le débat sur l'ouverture du mariage aux homosexuels des salles de classe, Vincent Peillon n'a donc pas remis en cause le "caractère propre" du privé, juge le professeur. "La discussion peut avoir lieu, mais dans un cadre non contraint, par exemple lors d'une catéchèse", indique l'universitaire.

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