Pédophilie dans un établissement jésuite parisien : une victime dénonce
Depuis 2010, Jean-Pierre Martin-Vallas tente de révéler des agissements pédophiles dont il a été la victime dans l’établissement jésuite prestigieux de la rue Franklin, dans le 16e arrondissement de Paris, le lycée Saint-Louis de Gonzague. Des faits anciens, qui remontent aux années soixante, qu’il n’a osé révéler qu’après la disparition de ses propres parents qui étaient des proches du père jésuite auteur des attouchements. Mais, depuis six ans, la hiérarchie jésuite refuse d’enquêter et lui oppose un silence embarrassé.
Il pourrait y avoir une dizaine de victimes
Les faits sont anciens. Ils remontent aux années 60. Il pourrait y avoir plusieurs dizaines de victimes.
*"Il s'est mis dans mon lit, il a commencé à me caresser le torse en passant ses mains sous ma veste de pyjama"
En 1953, Jean-Pierre Martin-Vallas est à l'école jésuite Saint-Louis-Gonzague à Paris. Lors d'une colonie organisée par l'établissement, le père L. - l'un des responsables jésuites - se livre à des attouchements sur lui. Il raconte : "Quand il est passé devant moi, il s'est mis dans mon lit, il a commencé à me caresser le torse en passant ses mains sous ma veste de pyjama et, à un moment, il a passé sa main à l'intérieur de ma culotte de pyjama, sur les fesses. J'ai réagi, il est sorti du lit et je n'en ai plus entendu parler. " Jean-Pierre Martin-Vallas a alors 8 ans. Ce n'est qu'à 65 ans qu'il décide de sortir du silence.
Afin d'étayer ses propres souvenirs, Jean-Pierre Martin-Vallas contacte 1 000 anciens élèves et reçoit 10 témoignages dont certains sont édifiants. Pierre Guy est un ancien camarade de classe de Jean-Pierre Martin-Vallas, aujourd'hui âgé de 72 ans. Lui-même n'a pas été victime du père jésuite, mais il se souvient très précisément de ce grand train qui trônait dans le bureau du père L.
Du tabou à la rumeur
Il témoigne à son tour : "Le père en question était un ancien cheminot, et dans son bureau il avait un très grand espace où il avait un train électrique, y avait des gares, des souterrains, des ponts, un territoire plus ou moins vallonné avec des rails qui passaient au milieu. Moi je n'ai jamais vu, je n'ai jamais eu le droit parce que, pour pénétrer dans les lieux il fallait être initié et c'était donné à un tout petit groupe, une élite. Et ils étaient les rares à pouvoir participer au jeu du train électrique. Entre nous on se disait mais qu'est-ce qui s'y passe ? Y'avait un grand mystère, un grand tabou et puis une rumeur. Et ce n'est des années plus tard que j'ai compris que le père en question aimait bien les petits garçons et qu'il se passait sûrement des relations beaucoup plus intimes ".
Le Provincial oppose une fin de non-recevoir
Tous ces témoignages, Jean-Pierre Martin-Vallasse les a transmis à l'école jésuite du XVIè arrondissement dès 2010 et il a réclamé à la direction des Jésuites que soit diligentée au minimum une enquête en interne : refus catégorique. L'affaire remonte jusqu'au Provincial, c'est-à-dire le responsable des Jésuites de France, qui adresse à Jean-Pierre Martin-Vallas une fin de non-recevoir. Il raconte : "Le Provincial a répondu : "J'estime que quarante ans après ces faits, ces enfants doivent avoir trouvé un équilibre de vie satisfaisant, qu'il n'y a pas lieu de les perturber. De plus, ce prêtre étant mort, il n'y a aucun intérêt à faire une enquête ."
Les Jésuites frileux à l'époque de la demande d'enquête
Commencent alors quatre années de bras de fer : il faut attendre que Jean-Pierre Martin-Vallas saisisse le Vatican pour qu'un groupe d'accueil et d'écoute soit créé en 2014, mais qui n'a jamais vraiment fonctionné. Selon Jean-Pierre Martin-Vallas cette structure ne servait qu'à enterrer les choses : "C'est un groupe qui est chargé d'inviter les victimes qui se sont plaintes à prendre du thé avec les jésuites, à écouter des paroles mielleuses et onctueuses, puis à repartir ayant refermé la boîte de Pandore, avec destination de ne plus jamais en parler ."
L'un des membres de ce groupe d'accueil, le père de Kergaradec reconnaît une certaine frilosité des Jésuites à l'époque face à la demande d'enquête : "Ça avait fait peur au début quand Jean-Pierre avait parlé d'une commission d'enquête. On s'était dit on n'est pas des enquêteurs professionnels, on ne sait pas comment s'y prendre. Mais il faut étudier ça de près ".
"Aujourd'hui une chose est sûre, j'envisage de dire aux personnes qui ont été victimes que nous sommes disponibles pour les entendre. Est-ce que je dois faire une enquête ? Honnêtement je ne peux pas vous répondre aujourd'hui"
Mais aujourd'hui, avec le contexte qu'offre depuis quelques semaines l'affaire Barbarin, les Jésuites semblent prendre un peu plus la mesure du problème et leur responsable, le père Grenet, qui s'était opposé à l'ouverture d'une enquête interne en 2010, semble avoir un peu évolué, puisque lui-même concède : "Aujourd'hui une chose est sûre, j'envisage de dire aux personnes qui ont été victimes que nous sommes disponibles pour les entendre. Est-ce que je dois faire une enquête ? Honnêtement je ne peux pas vous répondre aujourd'hui ".
Ces propos montrent toutefois qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, avant que la lumière ne soit faite sur ces affaires, comme l’a demandé la conférence des évêques de France.
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