Vidéo Lancement de la campagne des Restos du cœur : "C'est extrêmement difficile pour nos bénévoles de dire non", déplore le président de l'association

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Article rédigé par franceinfo
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"Aujourd'hui, il faut dire que la précarité augmente, la faim progresse en France", déclare Patrice Doucet.

"C'est extrêmement difficile pour nos bénévoles de dire non à des personnes à qui on devait dire oui habituellement", déplore mardi 21 novembre en exclusivité sur franceinfo le président des Restos du cœur, Patrice Douret, à l'occasion du lancement de la campagne 2023-2024. L'association représente 35% de l'aide alimentaire en France, mais son président s'inquiète de son avenir, et dénonce la précarité grandissante dans le pays.

franceinfo : En septembre, vous aviez lancé un appel aux dons. Vous craigniez de refuser des bénéficiaires ? Où en est-on aujourd'hui ?

Patrice Douret : Ce que l'on craignait est aujourd'hui arrivé. Par rapport aux personnes qui étaient inscrites à l'aide alimentaire aux Restos du cœur, nous avions défini un chiffre de 150 000 personnes qui pourraient ne pas être acceptées. Et aujourd'hui, les inscriptions sont en cours, c'est encore un peu tôt pour faire un bilan définitif, mais c'est la tendance. Ce qu'il faut souligner, c'est que c'est extrêmement difficile pour nos bénévoles de dire non à des personnes à qui on devait dire oui habituellement. Mais cette inflation est aussi d'une violence inouïe pour les personnes en difficulté, et on a à cœur de les accueillir et de pouvoir garder quand même le lien avec toutes les personnes que l'on refuse. Il est trop tôt pour faire un bilan. On le fera dans les prochaines semaines.

Derrière ces chiffres, il y a des personnes. Sur quels critères se fait la sélection ?

Ce sont des critères d'éligibilité qui sont simples. Un reste à vivre, en fonction d'une différence entre principales ressources et principales dépenses. Mais ce qu'il faut ajouter, c'est qu'il est important pour nous de les recevoir dignement. C'est pour cela aussi qu'on a pris cette décision, qui n'est pas uniquement comptable, de freiner la machine. Parce que pour nous, c'est important de pouvoir les recevoir, les écouter, les orienter et répondre à leurs besoins.

Même si c'est pour leur dire non à la fin ?

Oui, parce qu'on ne leur dit non que sur l'aide alimentaire. Les personnes à qui nous devons dire non, pour ces raisons-là, il est important de pouvoir les garder avec nous, de continuer à les accueillir, à les écouter. On a d'autres activités que l'aide alimentaire et elles sont autant indispensables que l'alimentation.

Ces personnes qui viennent vous voir et à qui vous êtes contraints de dire non, quel est leur profil ?

On a tous les profils, malheureusement. Ce qu'on constate, c'est que l'augmentation de la précarité concerne tous les publics, à la fois les retraités, les familles monoparentales, les personnes seules et surtout beaucoup d'enfants, 39 % sont mineurs, et beaucoup de travailleurs pauvres.

"Sur la précédente campagne, ce sont 1 300 000 personnes accueillies, 171 millions de repas."

Patrice Douret, président des Restos du cœur

à franceinfo

Des personnes qui, du jour au lendemain, basculent, qui ont un logement, un emploi, qui pensaient être à l'abri de cette chute, cette précarité qui leur tombe dessus à cause de l'inflation et de la crise énergétique.

La précédente campagne, c'était déjà 30 millions de repas distribués plus sur un an. Vous êtes sur quel ordre de grandeur pour la campagne qui s'ouvre ?

Malheureusement, la vague ne faiblit pas. On constate que, même en ayant limité nos critères d'éligibilité, on a beaucoup de personnes qui se présentent et qui rentrent dans ce barème-là.

Cela veut dire qu'on va franchir un nouveau cap ?

Je le crains. Et en tout cas, on restera extrêmement attentif à cette évolution.

Comment est-ce que vos bénévoles réagissent face à un refus ou à une contrainte ?

D'abord, je tiens à souligner que c'est un travail exceptionnel que font nos 73 000 bénévoles tous les jours. C'est très difficile de dire non. Je le redis malgré tout, il y a une vraie bienveillance qui est là. On a face à nous des personnes qui comprennent, une forme de résignation des personnes à qui on dit non. D'abord, beaucoup disent 'on le savait très bien', puisque ça a été annoncé que ce serait peut-être difficile. Mais ils se battent. Nos bénévoles se battent pour pouvoir continuer à garder ce lien qui est indispensable. Ne pas lâcher une personne à qui on a dit non. Et pour les personnes que l'on accompagne, faire en sorte que rapidement, par nos aides à la personne et l'accompagnement que l'on fait, elles puissent rapidement sortir de nouveau de nos effectifs.

Cette réalité que vous décrivez là depuis quelques minutes, c'est le signe, selon vous, que la France s'appauvrit ?

Oui, c'est clair. Aujourd'hui, il faut dire que la précarité augmente, la faim progresse en France. On a des familles qui font le choix entre se nourrir et se chauffer, se loger, se déplacer. C'est extrêmement difficile de constater que, quand on n'avait pas du tout prévu que l'on pouvait sombrer un jour et basculer dans la précarité, on doit faire appel à une association de solidarité. Ce n'est pas simple, il y a toujours ce sentiment de honte. Mais il faut faire appel à une association pour essayer de s'en sortir. Et les Restos du cœur font en sorte que ce soit le plus rapidement possible.

Vous avez lancé un appel en septembre dernier, il vous manquait 35 millions d'euros. Vous en êtes vous aujourd'hui ?

Notre appel a été entendu, à la fois par l'État qui a augmenté les crédits qui étaient prévus d'un peu plus de 10 millions d'euros pour les Restos du cœur, mais également par les entreprises et les particuliers. Encore une fois, c'est l'addition de tout ça qui fait qu'on pourra et on l'espère, passer au moins l'hiver qui arrive.

Vous disiez que vous étiez inquiet sur la survie des Restos à trois ans. Qu'en est-il de cette inquiétude ?

On reste attentif, il reste quelques incertitudes. La première, c'est le nombre de personnes qui seront inscrites sur cette campagne. Et puis 60% des dons que l'on reçoit, c'est novembre et décembre. Donc on ne pourra être assuré que lorsqu'on aura passé cette période-là de novembre et décembre, parce qu'il faut absolument qu'on puisse obtenir au moins l'équivalent des dons que nous avons eu l'an dernier pour pouvoir faire des projections un peu plus rassurantes. Et puis on reste très attentif à l'évolution de la précarité. On n'aurait jamais pu prévoir une telle évolution en quelques mois.

Pour ce qui est de l'aide publique, vous disiez qu'elle était insuffisante. Vous avez 150 millions d'euros. Aujourd'hui, vous en demandez 200 millions [pour toutes les associations de banques alimentaires]. Vous avez été entendu ?

C'est ce qu'il nous semble nécessaire pour que les associations de solidarité qui font de l'aide alimentaire puisse fonctionner normalement et aider toutes les personnes qui vont se présenter à nous.

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