Près de 70 ans après le massacre d'Oradour-sur-Glane, les plaies restent à vif
François Hollande et Joachim Gauck, le président allemand, visitent mercredi le village limousin victime de la barbarie nazie. Une cérémonie historique qui permet de constater que la douleur ne s'efface pas à Oradour-sur-Glane.
C'est une visite ô combien symbolique et historique. Près de 70 ans ans après le massacre d'Oradour-sur-Glane par les armées allemandes, le village martyr de Haute-Vienne accueille, mercredi 4 septembre, les présidents François Hollande et Joachim Gauck. Historique, le mot n'est pas excessif puisque ce sera la première fois qu'un dirigeant allemand se rend sur le site. Ce moment de recueillement et d'émotion s'inscrira aussi dans le sillon des gestes forts marquants des décennies de réconciliation franco-allemande (de la signature du traité de l'Elysée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en 1963, à l'émotion de François Mitterrand et d'Helmut Kohl, main dans la main près de Verdun en 1984).
Les deux chefs d'Etat vont parcourir à pied le village fantôme d'Oradour-sur-Glane où le 10 juin 1944, 642 personnes, dont 205 enfants, furent tuées par une unité de la Division SS "Das Reich", qui remontait vers le front de Normandie. Ils arpenteront les ruines du bourg : le champ de foire, où la population fut rassemblée avant les exécutions méthodiques ; l'église, où femmes et enfants furent regroupés et brûlés, les hommes étant abattus en divers endroits du village. Au-delà de la "mémoire réconciliée" pour les Français et les Allemands, selon l'expression de Joachim Gauck, cette cérémonie est l'occasion de constater que la douleur est toujours présente à Oradour-sur-Glane.
Le Limousin et l'Alsace, jamais réconciliés
Les deux régions ont vécu deux drames, deux douleurs. Le Limousin a été le théâtre du massacre d'Oradour-sur-Glane, quand l'Alsace (et la Moselle) ont compté leurs "Malgré-nous", des Alsaciens et des Mosellans incorporés de force dans l'armée nazie en 1940-45. Comme Le Monde (article payant) le souligne, la présence de Français parmi l'unité qui extermina les villageois donne au massacre un caractère à la fois franco-allemand, mais aussi franco-français.
Treize "Malgré-nous" (ainsi qu'un Alsacien volontaire) se sont retrouvés sur le banc des accusés en 1953 à Bordeaux, aux côtés d'Allemands, accusés d'avoir perpétré le massacre des 642 habitants. Un traumatisme majeur pour l'Alsace-Moselle. Le tribunal prononce alors de lourdes peines : "La mort pour l'un, les travaux forcés pour neuf d'entre eux, la prison pour les autres", rapporte Le Monde. Mais une loi d'amnistie, votée une semaine après les condamnations et destinée à apaiser les Alsaciens, provoque la colère en Limousin. "La commune d’Oradour entre alors en résistance contre l'Etat central", indiquait Rue89 en 2012. "A Oradour, encore aujourd'hui, les Alsaciens restent des bourreaux", ajoute le site. Et les plaies sont toujours béantes.
Pour preuve : la Cour de cassation doit prochainement se prononcer sur le litige opposant Robert Hébras, l'un des trois survivants du massacre (sur six à l'époque), aux associations de "Malgré-nous". En 2012, il a été condamné en appel à un euro symbolique de dommages et intérêts pour avoir mis en doute le caractère contraint de l'incorporation des "Malgré-nous" dans Oradour-sur-Glane, le drame heure par heure, son livre sur la tragédie publié en 1992. "Je porterais à croire que ces enrôlés de force fussent tout simplement des volontaires", écrit le survivant. Depuis, la bataille judiciaire fait rage. Mercredi, l'Association des évadés et incorporés de force, qui défend les "Malgré-nous", attend du président Joachim Gauck qu'il profite de son déplacement à Oradour pour reconnaître le caractère criminel de leur incorporation dans l'armée nazie.
Une épreuve délicate pour les présidents français
Conséquence de la colère des habitants du Limousin, s'estimant trahis par l'amnistie des "Malgré-nous" : les relations entre Oradour et les présidents de la République sont tendues. Le général De Gaulle "laisse les habitants sur leur faim" en 1962, explique Le Monde. Ils attendaient une réponse ferme sur l'extradition d'un ancien commandant de la division Das Reich, ils auront une réponse évasive. Pompidou et Giscard ne se risqueront pas à aller à Oradour-sur-Glane. En 1982, François Mitterrand passera dans le village martyr, sans y faire de déclaration. Une façon de faire profil bas, comme le note le quotidien. Car l'ancien président socialiste a voté en 1953, lorsqu'il était député, la loi amnistiant les "Malgré-nous".
En 1999, la visite de Jacques Chirac sera perçue comme un signe d'apaisement. Accompagné de Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture et ancienne maire de Strasbourg, Chirac inaugure le Centre de la mémoire d'Oradour. "Un geste marque les esprits ce jour-là : la main tendue de Catherine Trautmann au maire d'Oradour, signe de réconciliation entre l'Alsace et le Limousin mais aussi entre l'Etat et Oradour", écrit Le Monde. Nicolas Sarkozy ne se rend pas à Oradour. Le 8 mai 2010, il reconnaît à Colmar le statut de "victimes de crime de guerre" des "Malgré-nous". Une déclaration diversement appréciée, que l'on soit en Alsace ou dans le Limousin.
L'enquête allemande est toujours en cours
Seuls des exécutants du massacre d'Oradour-sur-Glane ont été jugés, à l'exception d'un responsable. A ce titre, la justice allemande a ouvert, en octobre 2010, une nouvelle procédure judiciaire sur cette tuerie, visant six octogénaires. "Actuellement, des investigations sont encore menées contre six personnes mais il n'est pas certain qu'elles soient toutes en état d'être jugées", a expliqué à l'AFP Ulrich Schepers, du parquet de Dortmund. La procédure "sera vraisemblablement close en 2014", selon Ulrich Schepers. Heinz Barth, décédé à 86 ans il y a six ans, était le dernier survivant des responsables directs du massacre, le seul à avoir été condamné et emprisonné.
Si des suspects ont été entendus par le parquet de Dortmund, "il n'y a pas encore assez de preuves pour un nouveau procès", expliquait en février 2013 le procureur de Dortmund, interrogé par L'Express. Il ajoutait : "Il y a encore des témoins en France, ou des proches des victimes. Et nous devons encore examiner en détail les archives du procès de Bordeaux."
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