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"Ça va être démentiel" : on a rencontré le prêtre qui célébrera la messe d'anniversaire en hommage à Johnny Hallyday

Article rédigé par Raphaël Godet, franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le père Bruno Horaist, dans la sacristie de l'église de la Madeleine à Paris, le 6 juin 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Vendredi midi, le père Bruno Horaist ouvre de nouveau les portes de l'église de la Madeleine aux fans du chanteur disparu, qui aurait célébré ses 75 ans.

Il a d’abord proposé de s’installer sur la terrasse du Café du Coin, la brasserie où il a ses habitudes, à deux pas de la Madeleine. C’était avant de se rappeler qu’il fait "une chaleur étouffante dehors", ce mercredi 6 juin. Sa veste en velours est effectivement de trop. Heureusement, le père Bruno Horaist a un plan B : "Ça vous va si on se met dans la sacristie ? Histoire d’être au frais." On a traversé l’allée centrale de l'église, enjambé la barrière installée devant l’autel, attrapé les clés cachées derrière un pylône, avant de s’asseoir dans des "fauteuils de ministres".

Ce n’est pas parce que son aube est rangée au placard que monsieur le curé est "off". C'est même tout le contraire. "Mon agenda, c'est du demi-heure par demi-heure en ce moment, souffle-t-il. Six mois après sa mort, Johnny Hallyday me prend encore énormément de temps." D'ailleurs, des milliers de fans sont attendus dans son église, vendredi 15 juin, pour célébrer le 75e anniversaire de l'idole des jeunes disparue en décembre.

>> Suivez en direct la cérémonie d'hommage à Johnny Hallyday en l'église de la Madeleine

Vu les échos que j'ai, ça va être démentiel ! Il n'y a que 1 000 places dans l’église, ça ne tiendra pas.

le père Bruno Horaist

à franceinfo

Un cousin du chanteur est attendu, ainsi que le réalisateur Claude Lelouch, "plus d'autres personnalités en cours de calage". Et puis des anonymes qui sont allés jusqu'à contacter la paroisse pour réserver une place. "Ce sont des dizaines de mails et d’appels par jour", calcule le prêtre, fatigué avant même que la cérémonie ait commencé. 

"Je n'ai jamais vu ça"

Coincée entre le palais de l'Elysée et l'Olympia, dans le 8e arrondissement de Paris, la Madeleine est une paroisse "assez tranquille" en temps normal, avec "une quinzaine de mariages par an", "une douzaine d’enterrements" et "une cinquantaine de baptêmes". "Les bons dimanches, l’église est remplie à moitié. Pas plus", assure le prêtre. Mais, depuis la mort du chanteur, le lieu est devenu le repaire de ses adorateurs. "Ça fait plus de cinq ans que j’officie ici, je n’ai jamais vu ça, lâche l'homme d'église de 63 ans. Personne n'a déclenché un tel machin." 

Tout est parti d’un coup de téléphone, le 7 décembre dernier. Au bout du fil, les services de l’Elysée. Bruno Horaist rejoue la scène. "Ils me disent : 'Bonjour mon père, les obsèques de monsieur Hallyday se tiendront dans votre église'. Je n'y croyais pas…" 

On a commencé à me lister les gens qui allaient venir. Les ministres, les trois présidents de la République, madame Hidalgo, les familles, les amis, le monde du show-biz... Ça ne s'arrêtait pas.

le père Bruno Horaist

à franceinfo

Jusqu'au jour J, il a jonglé au téléphone avec "les gens de la préfecture de Paris, les services du chef de l'Etat, ceux de l'Assemblée nationale, du Sénat, les pompiers, l'armée..." Pendant 48 heures, il a travaillé "non stop" sur ces obsèques. "C'était costaud", lâche-t-il, en replaçant ses fines lunettes rondes. Le jour même, il dit avoir été "ébahi" par "cette marée humaine venue de toute la France pour dire au revoir au chanteur".

Le père Bruno Horaist lors des obsèques de Johnny Hallyday, sur le parvis de l'église de la Madeleine, à Paris, le 9 décembre 2017.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

Il se revoit encore accroupi sur le parvis de l'église, après la cérémonie, en train de ramasser les fleurs. Il s'autorise une plaisanterie : "Je me suis pris pour la reine d'Angleterre avec Lady Di, à Buckingham Palace." Le soir, lui et sa petite équipe de la paroisse se sont écroulés de fatigue dans ces mêmes "fauteuils de ministres" installés dans la sacristie.

"Révise bien ton répertoire, Bruno !"

Après coup, des gens l'ont félicité pour la réussite de la cérémonie. S'ils savaient… "Avant qu'il ne meure, Johnny Hallyday, c'était personne pour lui, pouffe Anne Sejé, son amie de trente ans. Bruno devait savoir que c'était un chanteur, mais c'est tout." L'intéressé acquiesce : "C'est vrai qu'il n'a pas marqué mon existence." Mais que voulez-vous, "ce n'est pas la première fois que je bénissais le corps d'une personne que je n'avais jamais vue…"

"Quand on a su que c'était lui, on a rigolé. C’était incroyable que ça tombe sur lui. C'est un coup du ciel !" renchérit Anne SejéDans l'entourage du curé, beaucoup ont eu un petit mot d'encouragement. A commencer par Jean-Baptiste Sèbe, prêtre à Rouen, qui lui a envoyé ce texto : "Révise bien ton répertoire, Bruno !"

Bruno, c’est un spécialiste de l’histoire de l’art du XIXe siècle. Son peintre préféré, c'est Hippolyte Flandrin. On est loin de Johnny...

Jean-Baptiste Sèbe

à franceinfo

Bruno Horaist n'a pas honte de dire qu'il est allé traîner sur Google pour se renseigner sur la vie de l'artiste. "J'ai découvert la chanson Laura, et j'aime beaucoup, c'est mélodieux."

"Il a une finesse psychologique des gens"

"Il est très sincère, insiste son amie Anne Sejé. Il a été extrêmement touché par la douleur émotionnelle des fans." A tel point que Bruno Horaist a convenu d'organiser une messe le 9 de chaque mois, jour anniversaire des funérailles du rockeur. "Je ne fais que répondre à une attente, assure-t-il. Mais voilà… J'ai senti un besoin de prolonger la chose."

L'idée n'est pas de mettre une photo de Johnny à côté de celles de Jean-Paul II ou de Mère Teresa. Mais de proposer un lieu et un temps fort.

le père Bruno Horaist

à franceinfo

Jean-Baptiste Sèbe applaudit. "Mine de rien, c'est un geste fort. Il aurait pu se contenter des obsèques, et après basta, passer à autre chose. Mais non." Anne Sejé n'est pas non plus surprise : "C'est quelqu'un qui s'adapte à tout le monde, il a une finesse psychologique des gens, il s'adapte partout, avec tout le monde." Comme ce jour où un monsieur est venu le trouver dans son église… pour faire baptiser son chien. "Je l'ai accueilli comme les autres, se souvient le curé. Tout en lui expliquant que je ne pouvais malheureusement pas accéder à sa demande." 

Le père Bruno Horaist, dans la sacristie de l'église de la Madeleine à Paris, le 6 juin 2018.
 (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Le père Horaist fait un crochet par la table installée à l’entrée de l’église. Il ouvre un gros livre, posé à côté des feuilles de messe. "Celui-ci, c'est le 18e registre de condoléances en hommage à Johnny Hallyday. Dix-huitième, vous vous rendez compte ? (…) Toutes les semaines, on va chez Office Dépôt en se disant que c'est le dernier." Il tente un calcul de tête : "On doit être à plus de 30 000 messages au total." 

Les dix-sept autres registres sont rangés chez lui. S'il les a lus ? "En partie... Il y a beaucoup de 'Johnny, je t'aime', beaucoup de 'tu nous manques'." Il a son mot préféré : "Quand tu seras là-haut, fais la bise à Coluche." Il sourit : "Ce n'est que de l'amour, que de l'affection. Rien n'est ridicule. Il faut respecter tous ces écrits. J'espère que quelqu'un sera capable de les étudier un jour, parce que je crois qu'au niveau sociologique, ça dit quelque chose de fort, très fort."

"Foie gras et piscine"

Bruno Horaist a toujours voulu entrer dans les ordres. "Ce n'était pas prêtre ou quelque chose d'autre, c'était prêtre ou prêtre", assure-t-il. Il situe son choix à l'école primaire. Et, à vrai dire, "ça arrangeait bien du monde à l'époque", rigole-t-il. A commencer par ses cousins, qui ont ainsi pu fonder une famille. 

Ma grand-mère voulait absolument un petit-fils prêtre. Quand j'ai dit que j'étais prêt, tous mes cousins m'ont embrassé en me disant : 'Merci d'y aller à notre place !'

le père Bruno Horaist

à franceinfo

En remontant l'allée centrale, il raconte avoir passé ses dernières vacances chez des amis dans le Lot en mode "bermuda", "foie gras" et "piscine". Sinon, il adore se promener sur les bords de Seine à Paris. Celui qui a fait toute sa carrière religieuse dans la capitale se voit bien rester encore quelques années à la Madeleine, même s'il sait que certains prêtres lorgnent sa place. 

Son confrère et ami Jean-Baptiste Sèbe pense que "la séquence Johnny a forcément un peu changé sa vie". Bruno Horaist fait mine d'être surpris. "Oh, vous croyez ?" Si d’autres prêtres n'auraient pas dit non à cette lumière médiatique, lui n'en fait pas de cas. "Ça ne durera pas des années." Il a quand même gardé dans son portable "quelques numéros importants", comme celui du service protocole de l'Elysée. "Ça peut servir pour une reconversion", laisse-t-il échapper en riant.

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