On vous explique la future définition de l’antisémitisme élargie à l'antisionisme que la France veut adopter
Le président de la République a déclaré mercredi soir que la France allait "mettre en œuvre" la définition de l'antisémitisme élargie à l'antisionisme.
"L'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme." Emmanuel Macron a annoncé, mercredi 20 février, à l'occasion du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), que la France allait adopter dans ses textes de référence une définition de l'antisémitisme élargie à l'antisionisme.
"La France, qui l'a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée par l'Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah", qui intègre l'antisionisme, a-t-il martelé. De quoi parle-t-il exactement ? Voici des éléments de réponse.
Que dit cette définition ?
C'est l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) qui a rédigé la définition de l'antisémitisme suivante (PDF en anglais) : "L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut être exprimée sous la forme d'une haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, les institutions juives et les bâtiments religieux."
A cette définition "juridiquement non contraignante de l'antisémitisme", adoptée en plénière le 26 mai 2016, l'IHRA ajoute que les manifestations de cet antisémitisme "peuvent inclure le ciblage de l'Etat d'Israël, conçu comme une communauté juive. Toutefois, les critiques d'Israël à un niveau semblable à celles formulées à l'encontre d'un autre pays ne sauraient être considérées comme antisémites."
Pour illustrer sa définition, l'Alliance dresse une liste d'exemples "contemporains" d'antisémitisme, parmi lesquels : "Demander, aider ou justifier le meurtre des Juifs au nom d’une idéologie radicale ou une vision extrémiste de la religion" ; "Faire des allégations mensongères, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les Juifs en tant que tels ou sur le pouvoir des Juifs : par exemple, mais pas exclusivement, le mythe d'un complot juif mondial ou de Juifs contrôlant les médias, l’économie, le gouvernement ou d’autres institutions de la société" ; ou encore "accuser les Juifs en tant que peuple, ou Israël en tant qu'Etat, d'inventer ou d'exagérer l'Holocauste".
Qui l'a rédigée ?
L'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, ou IHRA, selon l'acronyme anglais, "est un organisme intergouvernemental ayant pour but de promouvoir l’enseignement, la recherche et la mémoire de l’Holocauste", indique l'Unesco sur son site internet. Cette Alliance, qui compte 31 Etats membres, a été créée en 2000 à l’occasion du Forum international de Stockholm sur l’Holocauste.
L’Unesco, les Nations unies, le Conseil de l’Europe, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et la Conference for Jewish Material Claims against Germany sont des partenaires internationaux permanents auprès de l'Alliance.
Est-elle appliquée en Europe ?
Quand Emmanuel Macron affirme que la France a "endossé" cette définition "en décembre avec ses partenaires européens", il fait référence à la déclaration du Conseil sur la lutte contre l'antisémitisme et la mise en place d'une approche en matière de sécurité afin de mieux protéger les communautés et institutions juives en Europe. Cette déclaration (en PDF) a effectivement été adoptée le 6 décembre 2018 par le Conseil de l'Union européenne, soit les 28 Etats membres. Elle les invite à suivre un certain nombre de recommandations pour lutter contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, mais n'est pas contraignante.
Pour adopter cette déclaration, le Conseil de l'UE s'est appuyé sur une résolution votée le 1er juin 2017 par le Parlement européen sur la lutte contre l'antisémitisme.
La transcription de cette définition à l'échelle d'un pays n'est pas toujours simple. Au Royaume-Uni, la direction du Parti travailliste avait adopté la définition de l'IHRA à l'été 2018. Mais il avait rejeté quatre critères sur les onze que contient cette définition, de peur de limiter la liberté de critiquer l’Etat d’Israël. Ce qui avait valu au chef du parti, Jeremy Corbyn, de multiples accusations. Il est finalement revenu sur sa décision et a adopté tous les exemples de l’antisémitisme début septembre, comme l'explique le Times of Israël.
Qui y est favorable ?
Quelques minutes avant les annonces d'Emmanuel Macron, le président du Crif, Francis Kalifat, avait appelé de ses vœux l'adoption de cette nouvelle définition. "A l'unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition. (...) Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen, plusieurs Etats membres l'ont déjà intégrée dans leurs propres textes de référence", avait-il argumenté.
Avant de prononcer son discours, le chef de l'Etat avait également fait part de cette décision au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Celui-ci a exprimé son "estime" pour cette décision.
Qu'est-ce que cela peut changer ?
Mercredi soir, Emmanuel Macron a simplement indiqué deux choses, sans développer. "Il ne s'agit pas de modifier le Code pénal, encore moins d'empêcher ceux qui le veulent de critiquer la politique israélienne", a-t-il d'abord déclaré. Avant de cibler les forces de l'ordre, les magistrats et les enseignants, dont il faut "préciser et raffermir les pratiques", ainsi que "leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent, derrière le rejet d'Israël, la négation de l'existence même d'Israël, la haine du Juif la plus primaire".
Pour l'avocat pénaliste Emmanuel Daoud, membre du groupe d'action judiciaire de la Fédération internationale des droits de l'homme, "les tribunaux doivent être en capacité de déterminer selon le contexte s’il s’agit finalement d’antisémitisme". Il ajoute : "Ils savent le faire : ils ont condamné Soral et Dieudonné pour la quenelle."
"Lorsque les juges ont affaire à des propos antisionistes, qui cachent des propos antisémites, ils savent détecter un 'antisionisme de circonstance'", a confirmé la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, jeudi matin sur LCI. Mais une telle résolution "clarifiera sans doute les choses", a-t-elle estimé.
.@NBelloubet : "Lorsque les juges ont affaire à des propos antisionistes, qui cachent des propos antisémites, ils savent détecter un "antisionisme de circonstance"."
— La Matinale LCI (@LaMatinaleLCI) 21 février 2019
#LaMatinaleLCI @chrisjaku pic.twitter.com/oiKIhZwFdX
"Il y aura la reconnaissance qui sera faite, les juges pourront s'en emparer, il n'y a pas besoin de modifier le Code pénal pour cela. Je pense que nous allons adopter une résolution, comme celle qui a été adoptée au niveau européen", a précisé le délégué général de La République en marche, Stanislas Guérini, sur Radio Classique. Cela signifie que cette résolution ne sera pas contraignante, contrairement à une loi. Elle sera tout de même soumise aux parlementaires, qui auront à se prononcer sur le sujet.
"Nous allons adopter une résolution qui reconnait l'antisionisme comme une forme déguisée d'antisémitisme ce qui ne veut pas dire qu'on ne pourra plus critiquer la politique d'Israël. C'est une nuance importante." @StanGuerini #ClassiqueMatin https://t.co/4mmCAZk5hP pic.twitter.com/iWbINMoIqg
— Radio Classique ️ (@radioclassique) 21 février 2019
Pourquoi ne fait-elle pas l'unanimité ?
Pour certains spécialistes, intégrer l'antisionisme à la définition de l'antisémitisme revient à encadrer les critiques sur la politique menée par le gouvernement israélien, donc à restreindre la liberté d'opinion. Déjà, à l'été 2017, des intellectuels français avaient signé une tribune, dans Libération, en réaction à l'adoption de la résolution de lutte contre l'antisémitisme par le Parlement européen. Ils estimaient que la définition proposée par l'IHRA était "loin d'être une référence indiscutable". "Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme et défendre les droits des Palestiniens. Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme tout en condamnant la politique de colonisation du gouvernement israélien", affirmaient-ils.
Ce sont les arguments que reprend Pascal Boniface, directeur fondateur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), sur Twitter, jeudi matin. "Assimiler antisionisme et antisémitisme permettra d’entraver les critiques à l’égard du gouvernement israélien mais risque d’être contre-productif dans la lutte contre l’antisémitisme", affirme-t-il, avant de développer.
1/assimiler anti sionisme et antisémitisme permettra d’entraver les critiques à l’égard du gouvernement israélien mais risque d’être contreproductif dans la lutte contre l’antisémitisme
— Pascal Boniface (@PascalBoniface) 21 février 2019
2/Il est inadmissible en effet de « tenir collectivement les personnes de confession juive pour responsables des actions de l’Etat d’Israel « Mais les institutions communautaires ne devraient pas leur demander un soutien sans faille au gouvernement israélien
— Pascal Boniface (@PascalBoniface) 21 février 2019
3/ la lutte contre l’antisémitisme est une priorité.Pourquoi dès lors en exclure ( ou combattre) ceux qui y participent largement mais «en même temps « sont critiques de la politique de Nétanyahou ?
— Pascal Boniface (@PascalBoniface) 21 février 2019
4/ Former les policiers à la lutte contre l’antisémitisme est une bonne chose.Cessez de ne rien faire contre les insultes et les bavures contre les noirs et les arabes est aussi nécessaire
— Pascal Boniface (@PascalBoniface) 21 février 2019
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