Cet article date de plus de quatre ans.

Document "Je vois bien qu’il me faut porter la honte et le poids de tout cela" : ce que le cardinal Barbarin confie dans son livre sur l'affaire Preynat

L'ancien archevêque de Lyon Philippe Barbarin publie ''En mon âme et conscience" (Plon), jeudi 1er octobre. franceinfo en dévoile des extraits.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Mgr Philippe Barbarin, en septembre 2020. (SÉBASTIEN BAER / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Il a choisi de sortir du silence qu'il s'imposait depuis plusieurs années pour dire "sa vérité" : le cardinal Barbarin publie "En mon âme et conscience" (Plon), jeudi 1er octobre, livre dont franceinfo dévoile de larges extraits. L'ancien archevêque du diocèse de Lyon assure avoir écrit "en tant que prêtre et citoyen français" et pour la première fois, il revient sur son rôle dans l'affaire Preynat, le prêtre condamné pour abus sexuels sur des mineurs, entre 1971 et 1991. Philippe Barbarin, lui, a été accusé lors d'un retentissant procès d'avoir passé sous silence les agressions pédophiles du père Preynat, avant d'être relaxé par la cour d'appel de Lyon, en janvier 2020.    


"Ce que j’ai fait ou omis de faire"

"J’ai voulu rétablir la vérité des faits (...). J'ai écrit en pensant aux victimes de Bernard Preynat et à toutes les victimes, parce qu’elles doivent savoir que je prends part à leur douleur et que je continue de prier pour elles. En tant que prêtre et citoyen français, je veux partager honnêtement ce que j’ai fait ou omis de faire, ce que j’ai vu et ce que je n’ai pas vu ou pas voulu voir (...). J'ai souffert de n'avoir pu dire ce ce que je pensais, d'être contraint au silence."

La tourmente

"Pour d'épouvantables actes de pédophilie, commis par un prêtre entre douze et vingt-cinq ans avant mon arrivée à Lyon en 2002, je suis devenu la cible d'attaques violentes (...) On m'accusait d'avoir 'couvert' un prêtre pédophile (...) Vous devenez tout d’un coup un personnage épouvantable, monstreux, n’éprouvant aucun respect pour la souffrance des victimes (...)."

Philippe Barbarin, "En mon âme et conscience" (Plon).  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"A partir de ce moment, plus aucune de mes paroles ne devient 'audible', le déchaînement médiatique ne va que s'amplifier. Je suis la bête noire. L'affaire Preynat devient l'affaire Barbarin (...). On me traque jusque dans la cathédrale. J'ai la sensation d'être devenu la proie de fauves tapis en embuscade, tout autour de moi, prêts à me dévorer. Aucun média n'a affirmé directement que j'étais un pédophile, mais l'association avec mon nom est devenue si étroite, forte et généralisée que cela s'est infiltré, mois après mois, dans la tête de tout le monde (...) Je suis constamment jeté dans le caniveau, piétiné (...). On a parfois l'impression que (...) c'est moi qu'on veut clouer au pilori (...). Ceux qui ont porté plainte me reprochent d'avoir laissé faire, de n'avoir pas dénoncé... Selon eux, je n'aurais pas pris mes responsabilités, j'aurais voulu cacher la vérité et cherché à entraver le travail de la justice... A leurs yeux, je suis coupable (...). Ce n’est pas moi qui ai commis ces horreurs remontant à plus de douze ans avant mon arrivée. Mais je vois bien qu'avec tous les prêtres et tout notre diocèse, je dois porter ce terrible fardeau. Il faut, il fallait un coupable (...) Pourquoi tant de haine contre moi ? N’est-ce pas injuste ? (..) Certes la justice a reconnu que je suis innocent, mais je vois bien qu’il me faut, qu’il nous faut, porter la honte et le poids de tout cela (...). J’ai subi un assassinat médiatique, une condamnation par la justice de mon pays et peut-être de manière plus douloureuse encore, l’éloignement."

"Après la période particulièrement dure que j’ai vécue, je me demande parfois si je ne vais pas m’effondrer demain. Depuis quatre ans, je me dis que la dépression est peut-être à ma porte. D’ailleurs, si j’en viens à craquer psychologiquement, cela n’étonnera personne."

Les soupçons

"A partir de mon arrivée dans le diocèse de Lyon en 2002, progressivement, Untel me disait... j’apprenais dans une conversation... une personne affirmait qu'elle avait 'dit' mais quoi exactement ? On sentait, on devinait que ces paroles et ces silences... en disaient long. J’entendais que 'le prêtre n’est pas clair', on évoquait 'une difficulté'. Mais rien de précis ne venait ; en réalité tout le monde savait 'des choses' mais personne, à part de rares exceptions qui avaient demandé à l'époque un rendez-vous à l'archevêché, n’a parlé avec clarté, n’a bougé (...). Tout un quartier savait, en avait parlé à la sortie de la messe, chez le boulanger, chez le boucher, dans les rues… Mais personne, ni une victime ni un parent n’avait déposé plainte (...) Ils étaient nombreux à savoir, dans la paroisse, dans le quartier, dans les familles, et depuis longtemps. Mais peut-on revisiter le passé avec l’esprit d’aujourd'hui ? Tous les faits, même anciens, sont jugés à partir du présent, avec la mentalité de notre époque."

Philippe Barbarin, "En mon âme et conscience" (Plon).  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Dans son dossier [celui du père Preynat] – c'est assez invraisemblable – il n'y avait quasiment aucun document (...) Avait-on fait disparaître ce qui était trop compromettant ? Comment se fait-il que nous trouvions si peu de traces de ces courriers, des échanges en conseil épiscopal, des décisions...? Etait-ce l'habitude de l'époque, dans les différentes institutions touchées par ce fléau ? Une attitude dictée par la peur, une volonté de dissimuler la vérité, le signe d’une omerta généralisée ? (…) Face à de tels crimes commis par des hommes d’Eglise, y a-t-il eu des affaires classées trop vite ? Des dossiers écartés ? Des ordres de se taire ? On peut craindre effectivement que ce soit arrivé plus d'une fois."

"Le silence ne répond pas toujours à une volonté d’omerta scandaleuse. Le manque de connaisance d’une affaire, le refus d’avancer vers la vérité tout entière ne signifient évidemment pas un désir de justifier des actes horribles et condamnables... Je pense que ce silence vient surtout de la crainte de déstabiliser une communauté, en révélant cette vérité terrible."

L'interrogatoire du père Preynat (mars 2010)

"Comme toutes ces questions d'abus sur les mineurs venaient au grand jour dans l'Eglise, je voulais évoquer avec lui son passé (...). Je me souviens fort bien de ma première question : 'Mais comment de telles choses sont-elles possibles de la part d'un prêtre ?' Et il m'a répondu: 'Ce n'est pas la peine que je vous explique ; vous ne comprendrez pas...' (...) Certains ont jugé qu'il s'agissait d'une dérobade. Je suis d'accord. C'est une erreur, j'ai eu tort."

Philippe Barbarin, "En mon âme et conscience" (Plon).  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"J'aurais dû insister pour qu'il me réponde, qu'il m'explique. Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? (...) Avec du recul, je m’en veux de ne pas l’avoir interrogé davantage. J’ai manqué de courage. Ai-je eu peur de ce que j’aurais pu découvrir ? J'aurais dû insister avec fermeté pour savoir, enfin, ce qu'il s'était réellement passé.

La prise de conscience

"Durant le temps de ma formation au séminaire, dans les années 1970, que nous avait-il été dit ? Rien de précis sur la pédophilie en tant que telle. (...)"

Philippe Barbarin, "En mon âme et conscience" (Plon).  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Je me suis rendu compte que je n’avais pas mesuré l’immensité de la blessure vécue par ces personnes (...) Je ne pensais pas suffisamment à l’enfant et à son avenir. Je croyais que la blessure disparaîtrait, que l’enfant rebondirait et trouverait son chemin sans trop de mal. La force de la jeunesse devait reprendre le dessus et ce désastre disparaître dans le passé. Je n'avais pas encore compris l'ampleur du désastre et à quel point le chemin de la reconstruction serait difficile. Et maintenant, lorsque j'écoute ces femmes, ces hommes adultes qui témoignent de ce qu'ils ont subi, je mesure à quel point leur blessure reste ouverte, comme une marque violente, à vif (...). J’ai compris que les atteintes sexuelles sur des enfants ne sont pas des blessures comme les autres (...)."

"De nos jours, une telle réaction est impossible, impensable. Nous avons pris conscience de l’horreur de ces actes et de leurs conséquences dramatiques pour les victimes (...)."

"Je reçois des messages de personnes hésitantes, un peu perdues, qui parlent pour la première fois de faits souvent très anciens, demandent conseil, veulent savoir comment s'y prendre pour aller vers la vérité, vers la justice (...). Certaines sont venues parce qu'elles avaient besoin de savoir à qui s'adresser dans l'épiscopat français, à Rome ou ailleurs (...). Chaque fois, je donne des coordonnées, propose un chemin de parole, de libération en transmettant des indications pour contacter la police, la justice. Si le coupable est un prêtre, j'écris, bien sûr, à son évêque. Aujourd'hui, de nombreuses victimes ont compris que je peux être ce facilitateur pour les aider dans leur démarche.''

La pédophilie

"Aujourd'hui, à écouter le discours ambiant, on croirait que seuls les prêtres sont pédophiles! (...) Il s'agit, hélas, d'une horreur fréquente dans les écoles, les classes de musique, le sport, le cinéma (...) et même le monde médical et les hôpitaux, et surtout dans les familles (…) Mais chez un prêtre, l’abus nous scandalise davantage. (..) A l’intérieur de l’Eglise, normalement, on donne sa confiance. (…) Comment un prêtre peut-il commettre l’impensable : à savoir effectuer exactement le contraire de ce qu’on attendait de lui ? (…) Quand un écart, une faute grave, arrive dans un lieu saint, on a l’impression que toute crédibilité s’envole. Avoir commis quelque chose d’abominable dans un cadre spirituel, en le badigeonnant de piété, relève vraiment de l’horreur, de l’œuvre du diable."

Les victimes

"Plusieurs fois, alors que mon procès battait son plein, j'ai eu envie de rendre visite à telle ou telle famille de victime, tout simplement parce que les hommes sont des frères... (...) Mais on me l'a fortement déconseillé, car cela aurait été mal perçu par le tribunal."

Philippe Barbarin, "En mon âme et conscience" (Plon).  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Souvent, je rêve qu'un soir nous nous retrouvions enfin, les victimes de Bernard Preynat qui m'ont attaqué en citation directe et moi-même, quand peut-être le temps aura fait son œuvre. (...) Je ne suis plus le même homme, j’ai changé et l’Eglise aussi. (…) Cette tourmente a tout changé dans ma vie quotidienne : le rapport aux autres, à mes collaborateurs, avec le diocèse de Lyon, les prêtres et les diacres, cette part du peuple de Dieu dont l’Eglise m’a confié la charge. Même avec les membres de ma famille, la relation a évolué. Il m’a semblé que les autres portaient un autre regard sur moi. Souvent interrogateur, parfois désobligeant, avec l’ombre d’un doute ou d’une déception, ou bien, au contraire, redoublant de sollicitude (...)."

"Au lieu de m’égarer dans l’amertume ou la tristesse, cette affaire m’aura fait ressentir ma propre vulnérabilité autant que celle d’autrui. Je suis un homme parmi les hommes, fragile et inachevé. Encore et toujours à refaire, à parfaire. Quant à ma relation à Dieu, elle s’est transformée, elle aussi. Cette relation à Dieu s’est intensifiée."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.