Au procès Preynat, l’ancien chef scout charismatique confronté à son double prédateur sexuel insatiable
Le tribunal correctionnel de Lyon s'est penché pendant les débats, depuis mardi, sur la personnalité de l'ancien curé, jugé pour des agressions sexuelles commises sur dix anciens scouts à la fin des années 1980.
Il voulait entendre sa voix. Bertrand Virieux a fait une apparition au tribunal correctionnel de Lyon, mercredi 15 janvier. Ce cardiologue, cofondateur de l'association La Parole libérée, fait partie des victimes "prescrites" de Bernard Preynat, cet ancien prêtre jugé depuis la veille pour des agressions sexuelles commises sur dix anciens scouts de la paroisse Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) dans les années 1980. Celui qui fut l'un de ses louveteaux ne l'avait pas revu depuis trente ans. "C'est un vieil homme qui se présente à la barre mais je l'ai reconnu de dos, à sa façon de parler, sa démarche. J'ai fait un voyage dans le temps en l'espace de deux minutes", confie-t-il. Le prévenu de 75 ans s'est pourtant excusé de sa voix chevrotante, liée à une récente opération du cœur. "Le timbre est peut-être un peu moins grave mais son phrasé et son intonation n'ont pas changé", soutient Bertrand Virieux.
Bernard Preynat n'est plus homme d'église mais il a conservé l'allure d'un curé en civil. Barbe blanche fournie, costume noir modeste et mocassins souples aux pieds, il s'avance à pas feutrés devant le tribunal. Son débit est plutôt lent mais ses réponses parfois lapidaires. Il semble avoir conservé cette rondeur autoritaire qui le caractérisait lorsqu'il encadrait les enfants et adolescents du groupe de scouts Saint-Luc, entre 1972 et 1991. "Quand il disait 'silence', même si on était 400, il n'y en avait pas un qui mouftait", a raconté aux enquêteurs F. S., une partie civile qui ne s'est pas présentée au procès.
"On jouait à la messe"
Cette influence naturelle, Bernard Preynat l'a peut-être héritée de sa place d'aîné dans une famille de sept enfants. Sa biographie, lue à l'audience, révèle qu'il a grandi à Saint-Etienne (Loire), entre un père plutôt sévère et une mère absorbée par la charge domestique et préoccupée par l'eczéma de naissance du petit Bernard, couvert de bandes une grande partie de son enfance. Malgré cette affection de la peau, qui l'éloigne régulièrement du foyer pour des cures et en fait un élève à l'écart, il tient son rôle de grand frère, organisant jeux et activités pour le reste de la fratrie. "On jouait à la messe", se souvient-il devant le tribunal. Sa vocation pour la prêtrise est précoce.
J'avais 6 ou 7 ans quand je pensais que je voulais être prêtre.
Bernard Preynatdevant le tribunal correctionnel de Lyon
Ses parents "l'accompagnent" dans cette voie et, à l'âge de 11 ans, l'enfant de chœur intègre le petit séminaire (collège ecclésiastique). C'est pendant cette période que Bernard Preynat dit avoir été victime d'abus sexuels. Des révélations tardives, faites devant une enquêtrice de police en 2016 et dans un courrier à monseigneur Dubost juste avant le procès, et réitérées à la barre. Il y a d'abord le sacristain de l'église de Saint-Etienne, qui lui "a appuyé sur le sexe en disant 'qu'est-ce qu'il y a là ?'". Puis un moniteur-séminariste d'une colonie de vacances en Haute-Loire, qui "ouvrait le rideau [de douche] pour [lui] caresser les cuisses". Et enfin un prêtre-professeur, qui avait "la manie" de le caresser sous sa chemise et de lui "laver le sexe avec un gant de toilette" ou "un mouchoir" en marge des devoirs de version latine ou dans un bosquet, après le déjeuner familial chez les Preynat.
Un an de psychanalyse
"Gêné", "honteux", le futur prêtre n'en parle à personne. Mais il commet ses premières agressions sur des plus jeunes peu de temps plus tard, à l'âge de 16-17 ans, alors qu'il est moniteur de colonie de vacances. "Force est de constater que vous reproduisez les mêmes gestes", suggère la présidente du tribunal. "A l'époque, je ne pense pas avoir fait le rapprochement", évacue-t-il. Les parents se plaignent et le jeune séminariste est convoqué par son supérieur pour s'entendre "traité de malade et d'anormal". Il est envoyé redoubler son bac philo dans un autre séminaire, sans que sa famille ne sache pourquoi.
S'ils m'avaient expliqué que je ne pouvais pas être prêtre à cause de ça, j'aurais compris, mes parents auraient compris.
Bernard Preynatdevant le tribunal correctionnel de Lyon
De fait, ses attirances et passages à l'acte pédophiles ne le font pas renoncer à sa vocation. Exempté du service militaire en raison de son eczéma, il poursuit sa scolarité au grand séminaire et au séminaire universitaire à Lyon, passe un Deug d'histoire puis une maîtrise de théologie. Il garde un "bon souvenir" de cette période Mai-68. "On s'est bien marrés pendant deux ans, des commandos gauchistes venaient envahir les salles, j'ai passé des examens dans le bistrot d'en face, dans le grenier de la fac", se remémore le prévenu avec une rare spontanéité. Mais ses démons ne l'ont pas quitté et tous les lundis soir de cette année 1967-68, il s'allonge sur le divan d'un psychanalyste de l'hôpital du Vinatier pour parler de ses pulsions.
De cette thérapie dépend son ordination comme prêtre. Elle lui a été conseillée par la hiérarchie du séminaire. Bernard Preynat a d'abord été envoyé chez un psychologue séminariste, à Paris, pour passer des tests, avant d'être orienté vers le praticien du Vinatier. Selon ses dires, ce dernier donne le feu vert à l'issue d'un an de séances. "Je pense qu'il a dit que j'étais guéri dans sa lettre. J'étais tout content. Malheureusement, j'ai recommencé." L'éphémère patient est ordonné prêtre en 1971, à 26 ans, et nommé vicaire de la paroisse Saint-Luc un an après.
"Comme un alcoolique dans une distillerie"
Sous la direction du père Jean Plaquet, le jeune religieux est "chargé de la meute des louveteaux" et de développer le tout nouveau groupe de scouts Saint-Luc. Une aubaine ? Interpellé par un avocat de la partie civile – "C'est comme un alcoolique qui va travailler dans une distillerie !" –, l'intéressé dément avoir "cherché à avoir des enfants sous son autorité pour en jouir". "J'étais inconscient de ça, je pensais que plus rien ne se passerait."
Reste que les agressions, relativement isolées avant son arrivée dans la paroisse, vont se multiplier. Si dix victimes lui font face au tribunal, prescription oblige, des dizaines d'autres peuplent les récits de ses assauts, transmis à l'association La Parole libérée ou à l'instruction judiciaire. Un tableau de chasse gargantuesque, dont Bernard Preynat donne lui-même l'étendue en vingt ans : "Ça arrivait presque tous les samedis oui, un ou deux enfants." Et dans les camps scouts ? "Quatre ou cinq enfants" pendant une semaine, admet-il. Le "prêtre-traître" "consomme des corps d'enfants" comme une "addiction", selon les mots des experts-psychiatres.
Chef-scout charismatique en public, adulé de ses paroissiens, il se transforme en prédateur insatiable dans l'intimité d'une salle d'archives ou d'une tente. Représentant du Christ côté pile, aux brillants sermons de catéchisme, ogre en soutane côté face, qui impose à ses jeunes victimes baisers sur la bouche, "caresses" et masturbations sur leur sexe.
Ces jours-là, c'est vous le diable.
Me Yves Sauvayre, avocat de la partie civiledevant le tribunal correctionnel de Lyon
"Une sacrée gymnastique pendant trente ans", raille Me Yves Sauvayre, comparant son "sacerdoce" à une "imposture". "Je ne dirais pas que ma vie a été une imposture, mais un drame pour moi, pour mes victimes, pour l'Eglise et pour la société", philosophe Bernard Preynat. A ses yeux, la première victime, c'est lui. "Ça a été tout le problème de ma vie", répète-t-il. Et s'il se confesse à plusieurs reprises, ce n'est pas tant pour mesurer la souffrance infligée aux enfants que pour soulager sa conscience et gagner l'absolution. Selon les experts, le prêtre a alors "conscience de faire quelque chose d'interdit mais davantage par rapport à sa foi, son vœu de chasteté, son engagement ecclésiastique". Un péché en somme, et non une infraction.
Une personnalité "perverse"
Bernard Preynat nie d'ailleurs avoir commis des "agressions" – un terme qu'il a mis du temps à s'approprier à l'audience – dans la maison de Dieu : "Je n'ai jamais agressé d'enfants dans le cadre de mon ministère à proprement parler, à la messe ou au catéchisme." Un aménagement avec lui-même typique du "clivage et du déni" qui caractérisent une "personnalité perverse" comme la sienne, selon le professeur Michel Debout, expert psychiatre. "Pour le pervers, l'autre n'existe pas, il est utilisé pour répondre à ses besoins pulsionnels." Une "construction multifactorielle", sans doute accentuée par les agressions qu'il dit avoir subies.
De l'avis de l'expert, "l'Eglise a fonctionné sur un mode voisin. En choisissant la justice de Dieu, on a laissé de côté la justice des hommes et nié la souffrance des victimes". Lorsque l'alerte est donnée en 1991 par les parents de François Devaux et que la rumeur se répand, Bernard Preynat est convoqué par le cardinal Decourtray. Sa tentative de raconter les faits est balayée d'un revers de main, dit-il, et sa demande de pardon d'un "Seul Dieu pardonne". Le vicaire repart avec une confiance renouvelée, en promettant de ne pas recommencer. Depuis, il jure ses grands dieux qu'il a tenu bon, qu'il a su résister à la tentation.
Si aucun fait postérieur à cette date n'a été porté à la connaissance de la justice, ce revirement interroge. La parole de l'évêque a-t-elle suffi à faire rentrer dans le rang la brebis égarée ? Certains y voient une nouvelle illustration de son narcissisme, le père Preynat redoutant la "honte publique" une fois son côté obscur révélé en pleine lumière. Il souscrit d'ailleurs à cette analyse.
Je suis d'accord que c'est la rumeur publique qui m'a assommé.
Bernard Preynatdevant le tribunal correctionnel de Lyon
Une véritable prise de conscience a-t-elle opéré depuis ? Au vu de l'attitude de l'ancien prêtre à l'audience, il est permis d'en douter. Si Bernard Preynat a présenté ses excuses et "demandé pardon" à ses "victimes", qu'il nomme ainsi sans doute pour la première fois, sa défense reste un jeu d'équilibriste. La mémoire sélective, il est prompt à oublier certaines scènes ou au contraire à contester certains détails dans les agressions décrites par les plaignants, dont la dignité contraste avec ce pinaillage. "On rêverait de ressentir qu'il culpabilise, mais il y a toujours un mot qui vient nous gêner", résume Me Jean Boudot pour la partie civile.
Quant à une éventuelle guérison, elle est exclue. "On ne peut jamais parler de guérison mais d'amélioration, d'atténuation", souligne la psychiatre Liliane Daligand. La reconnaissance, même intellectuelle, de sa responsabilité est néanmoins "une porte ouverte" sur l'accès à l'autre, estiment les experts. Bernard Preynat, jugé jusqu'à vendredi, risque dix ans de prison.
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