Atteintes à la laïcité : trois questions sur les signalements recensés par l'Education nationale
En octobre, plus de 700 incidents ont été répertoriés à partir de remontées provenant des établissements. Le ministère s'inquiète de cette hausse, qui ne doit pas cacher certaines limites méthodologiques.
La hausse est nette, mais comment l'interpréter ? Le ministère de l'Education nationale a annoncé, mercredi 9 novembre, avoir recensé 720 signalements en octobre pour des atteintes à la laïcité dans les 60 000 écoles, collèges et lycées de France, soit plus du double par rapport à septembre (313 incidents). Dans le détail, 40% des incidents recensés en octobre concernaient le port de tenues et signes religieux, contre 54% un mois plus tôt.
Ces chiffres étaient auparavant communiqués chaque trimestre, mais leur publication est passée à un rythme mensuel depuis la rentrée, à la demande du ministre, Pap Ndiaye, soucieux d'introduire davantage de "transparence". Franceinfo vous aide à décrypter ces données.
Comment sont collectés ces signalements ?
Depuis 2018, deux outils principaux de signalements cohabitent, comme le rappelle un rapport de l'inspection générale de l'Education de 2019. Une application baptisée "Faits établissement" permet aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement d'informer leur hiérarchie des "faits préoccupants", notamment en matière de laïcité, survenant dans leur périmètre. En parallèle, le personnel de l'Education nationale peut directement signaler un incident via le formulaire en ligne "Atteinte à la laïcité", sans avoir à en informer leur tutelle directe. D'autres modes de saisine sont possibles, notamment par l'intermédiaire des équipes "Valeurs de l'école de la République".
Une fois centralisés par les rectorats puis le ministère, ces signalements donnent désormais lieu à une publication mensuelle. En écho à Emmanuel Macron, qui avait réclamé, début juin, "de la clarté sur tous les chiffres", Pap Ndiaye avait justifié, au début de l'été, ce changement de rythme par le souci d'"avoir moins d'attente sur ces chiffres" sensibles. En octobre, il a également défendu "une politique de transparence qui ne met rien sous le tapis".
Depuis sa naissance, cet indicateur est régulièrement critiqué. "C'est juste du déclaratif et donc le phénomène est difficile à quantifier", estime Iannis Roder, enseignant et directeur de l'observatoire de l'Education à la Fondation Jean-Jaurès. "Il faut toujours penser que les chiffres sous-estiment la réalité. Dans beaucoup de cas, les chiffres supposent que les professeurs, les CPE, les chefs d'établissements, soient décidés à transmettre", complète, sur RFI, Dominique Schnapper, directrice d'études à l'EHESS et présidente du Conseil des sages de la laïcité. A l'inverse, un tiers des signalements ne correspondraient pas à une véritable atteinte à la laïcité, avançait, en 2021, une référente académique "laïcité", dans Libération.
Comment expliquer la récente hausse ?
Par le passé, les signalements étaient globalement inférieurs à 600 par trimestre, soit 200 par mois. Avec 313 signalements en septembre et 720 en octobre, les chiffres s'approchent de ceux atteints juste après l'assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020, avec 1 332 remontées sur un trimestre. Une alerte avait déjà été émise, fin août, par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Cette instance accusait la "mouvance islamiste" de remettre "en cause le principe de laïcité à l'école", notamment en s'appuyant sur des réseaux sociaux comme Twitter ou TikTok pour y encourager le port de vêtements marquant une appartenance religieuse ou inciter à la prière au sein de l'école.
Mercredi, sur TMC, Pap Ndiaye a donné "trois explications" à cette hausse : la viralité des vidéos TikTok, l'anniversaire de l'assassinat de Samuel Paty et le fait que l'on "encourage très fortement les chefs d'établissements à faire remonter tous les signalements". Autrement dit, la hausse des signalements est peut-être plus marquée que celle des incidents. "Il y a un niveau de sensibilité et d'alerte sur ces questions qui n'existaient pas il y a deux ans", avait déjà noté le ministre, en octobre. Avant même son arrivée en poste, l'exécutif avait relevé, en décembre 2021, que "la culture du signalement et de la remontée d'informations s'install[ait]" en matière de laïcité dans le monde éducatif.
Sur le terrain, les signalements relèvent encore parfois du casse-tête. "A partir de quand fait-on un signalement ? Un élève se présentant avec une kippa à l'entrée du lycée et l'enlevant au bout de 15 secondes, c'est une entorse ou pas ?" questionnait Didier Georges, proviseur à Paris et membre du syndicat SNPDEN-Unsa, en octobre, dans Libération. "Quand on regarde avec les 60 000 établissements, les 12 millions d'élèves, on n'a pas non plus des phénomènes en augmentation massive", relativise par ailleurs Benoît Kermoal, secrétaire national Unsa Education chargé des sujets de laïcité.
Comment le gouvernement réagit-il ?
Face à cette hausse des signalements, le ministère a envoyé une circulaire, mercredi, aux recteurs d'académie. Y est présenté un "plan en quatre axes" pour mieux protéger la communauté éducative : "sanctionner systématiquement et de façon graduée le comportement des élèves portant atteinte à la laïcité lorsqu'il persiste après une phase de dialogue", "renforcer la protection et le soutien aux personnels", "appuyer les chefs d'établissement en cas d'atteinte", "renforcer la formation des personnels et en premier lieu celle des chefs d'établissement". Pour rappel, 300 000 enseignants doivent être formés d'ici à la fin du quinquennat pour être mieux armés face aux questionnements ou aux provocations sur la laïcité.
Mi-octobre, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avait demandé aux préfets de "soutenir la communauté éducative dans une indispensable réaction de grande fermeté face" aux atteintes à la laïcité à l'école qui "se multiplient depuis la rentrée". Dans un télégramme, il voyait dans cette tendance "le fruit d'une offensive islamiste visant les plus jeunes, notamment à travers l'incitation à porter des vêtements traditionnels". Dans l'éventualité où les préfets seraient saisis de "cas de port de vêtements traditionnels en milieu scolaire", il leur était demandé d'apporter leur concours pour l'application de la loi de 2004.
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