Vidéo "On ne guérit pas vraiment" : neuf ans après l'attentat contre "Charlie Hebdo", Riss souligne la nécessité de former chaque nouvelle génération à la laïcité

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Article rédigé par Jean-Rémi Baudot
Radio France
Neuf ans jour pour jour après l'attentat contre "Charlie Hebdo", le journaliste Riss, directeur de la publication, insiste sur la nécessaire défense de la laïcité et regrette la complaisance de certains pour l'idéologie islamiste.

Neuf ans après l'attentat du 7-Janvier, "ça reste toujours présent", explique dimanche 7 janvier à franceinfo Riss, directeur de Charlie Hebdo. L’attaque terroriste avait fait douze morts, dont 8 membres de la rédaction, assassinés par les frères Kouachi. Selon Riss, cet attentat "a fait sauter des digues" sur l'idéologie islamiste. Dénonçant la "complaisance" de certaines formations politiques sur l'islamisme radical, le journaliste appelle à "reformer chaque nouvelle génération" sur la laïcité.

franceinfo : Cela fait neuf ans jour pour jour que l'attentat de Charlie Hebdo a eu lieu. Est-ce qu'en neuf ans, il est possible de guérir ?

Riss : Je crois qu'on ne guérit pas vraiment. Il y a quelques années, j'avais tendance à penser qu'avec le temps, les choses s'effaceraient un petit peu, mais en fait non, ça reste toujours présent et je pense que c'est comme ça pour toutes les personnes qui sont victimes de terrorisme ou même de violences tout court.

Neuf ans après, vous vivez toujours sous protection, car la menace est toujours présente, nous l'avons vu avec l'attentat d'Arras ou encore celui de Bir Hakeim à Paris. Encore aujourd'hui, on tue au nom de la religion...

Malheureusement, c'est un constat que l'on fait un peu comme tout le monde. C'est ce que l'on pouvait craindre dès 2015. Nous, nous n'avons jamais été très optimistes. Nous avons toujours eu l'impression que ce qui s'était passé le 7 janvier inaugurait alors quelque chose de nouveau. Cela a fait sauter des digues et des gens se sont sentis désinhibés, se sont crus autorisés à commettre eux aussi des violences. C'est presque devenu un attentat de référence pour certains.

La lutte contre l'idéologie islamiste recule-t-elle aujourd'hui ?

Je dirais qu'elle est toujours aussi difficile. Il y a toujours cette tentation d'intégrer ça comme légitime. C'est plus facile de dire que c'est légitime que de dire l'inverse, car de dire que c'est illégitime induit le fait qu'il va falloir l'affronter, et l'affronter c'est difficile. 

"La lutte contre cette idéologie, c'est une épreuve, ça demande de la détermination, ça demande du temps. C'est presque par paresse que certains ont tendance à accepter ça. Il y a de la complaisance."

Riss, directeur de "Charlie Hebdo"

à franceinfo

Sur l'échiquier politique, il y a des formations qui sont traditionnellement fascinées par la radicalité, comme si la radicalité était un programme politique, alors que c'est un mot qui ne veut rien dire. Il y a une fascination pour une violence de rupture afin de créer de nouvelles conditions politiques. C'est un vieux truc qui existe à l'extrême gauche. Il y a du calcul politique, et culturellement, il y a une fascination pour la violence politique. Je pense à ces formations politiques qui ne se sont jamais vraiment éloignées de la logique terroriste, même le terrorisme d'extrême gauche des années 70.

Le discours laïc est porté par une grande partie des Français, mais est-il audible pour les jeunes générations ?

Il est audible à condition de prendre le temps d'expliquer ce que c'est. On s'aperçoit qu'il y a une méconnaissance chez la jeune génération, d'abord une méconnaissance de l'histoire de la laïcité. Parfois, on se dit que ce ne serait pas inutile de rappeler d'où ça vient. On pense souvent qu'à l'étranger, les gens ne comprennent pas la laïcité à la française, mais ce n'est pas vrai. Vous pouvez rencontrer des Iraniens ou des Iraniennes qui comprennent très bien ce que signifie la séparation des Eglises et de l'Etat. Je pense même qu'il y a une demande de cette séparation dans de nombreux pays. Je pense qu'il y a peut-être un manque de pédagogie à ce sujet-là.

Ce combat de la laïcité est porté notamment par les professeurs, qui ont parfois peur. Comprenez-vous cette peur ?

Dans le cadre de l'école publique, les professeurs ne peuvent faire leur travail qu'en étant protégés par la laïcité. Mais s’ils se mettent à douter, s’ils sont assaillis par des revendications communautaristes, ils ne peuvent pas enseigner l'esprit tranquille. 

"La laïcité, c'est un préalable indispensable à l'enseignement dans une école publique et une démocratie. Il y a des jeunes qui sont dans une logique de rejet."

Riss, directeur de "Charlie Hebdo"

à franceinfo

C'est un peu à l'image du comportement de ces jeunes dans l'affaire Samuel Paty, qui acceptaient l'idée que "monsieur Paty n'aurait pas dû faire ça". Il y a une adhésion de certains jeunes à cette idéologie. Il faut reformer chaque génération. La nouvelle génération qui arrive, à mon sens, est dans une ignorance de beaucoup de choses. Après l'attentat de Charlie Hebdo, on pouvait avoir l'espoir un peu naïf que tout allait se résorber de lui-même. En fait, rien ne se résorbe tout seul, c'est l'action humaine, politique, militante qui fait que des idées comme la laïcité peuvent se maintenir. Si on ne fait rien, oui, des valeurs comme la laïcité vont se déliter car elles doivent être défendues tout le temps.

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