Najlae, lycéenne expulsée en 2010 : "C'est un traumatisme"
Comme pour Leonarda, le sort de cette jeune Marocaine avait mobilisé l'opinion et les médias. Trois ans après son retour en France, Najlae raconte la "peur" puis le "soulagement" qu'elle a ressentis.
Son visage a peu changé, mais sa vie n'est plus la même. Najlae Lhimer, Marocaine expulsée de France il y a trois ans, est toujours enjouée et bien maquillée, mais aujourd'hui ses deux filles, âgées de 2 ans et de 15 jours, sont à ses côtés. Et c'est avec un grand sourire que la jeune femme de 22 ans répond à chaque question, dans le salon de son appartement de Fleury-Les Aubrais, près d'Orléans.
Najlae garde un regard méfiant sur les journalistes. Depuis son retour en France ultramédiatisé, en mars 2010, trois semaines après avoir été expulsée, l'ancienne lycéenne sans papiers n'aime plus beaucoup les micros. A ses côtés, deux membres du Réseau éducation sans frontières (RESF) sont là pour la rassurer. Mais c'est surtout le sort de la jeune Leonarda, l'adolescente kosovare de 15 ans expulsée le 9 octobre, qui l'a convaincue de sortir du silence.
La haine et la peur
"Ça doit être dur pour elle, Leonarda n'a que 15 ans, souligne Najlae. Moi, j'en avais 18, je savais que je risquais l'expulsion. Même si je ne m'attendais absolument pas à la façon dont ça s'est passé." Son histoire, racontée dans Le Monde, n'est pas celle de Leonarda, mais le mouvement de contestation que son interpellation avait provoqué est proche.
Le 20 février 2010, Najlae, le visage tuméfié, se rend à la gendarmerie de Château-Renard (Loiret). Elle veut y déposer plainte contre son frère, chez qui elle vit, et qu'elle accuse de violences. "Je ne me suis pas méfiée. On m'a même donné un rendez-vous pour recueillir ma plainte dans l'après-midi." Un rendez-vous au cours duquel elle est placée en garde à vue. Car Najlae est sous le coup d'une obligation de quitter le territoire. Elle est expulsée vers le Maroc douze heures plus tard.
"Je n'ai rien compris, se souvient-elle. J'ai signé des papiers, sans rien dire. C'est quand je suis arrivée au Maroc que j'ai réalisé." Là, ses sentiments se mêlent. D'abord la "haine" contre cette France qu'elle aime et qui la rejette : "Pour moi, j'ai grandi en France, c'est là où sont ma vie, mes études, mon futur." Puis vient la "peur" de l'incertitude, dans ce Maroc où vivent ses parents, mais qu'elle a quitté cinq ans plus tôt et où elle "ne comprend rien" à la vie d'une jeune adulte : "Les études [Najlae passait alors un CAP hôtellerie en France], c'était pas comparable. Et puis, à 18 ans, là-bas, on vous demande de pas bouger, de rester à la maison. Moi, je voulais étudier et vivre."
"On se sent exclue"
On retrouve les mêmes arguments que ceux de Leonarda, depuis son exil kosovar. "Pour elle, comme pour moi, c'est un traumatisme. On se sent exclue, alors qu'on n'a rien fait de mal. Il y a bien des Français nés au Maroc, qui y travaillent. Pourquoi l'inverse n'est pas possible en France ? Pourquoi des gens qui y commencent leur vie sont-ils rejetés ? Tout le monde devrait avoir le droit d'avoir des papiers."
Najlae passe trois semaines à Rabat, pendant lesquelles la contestation s'organise en France autour de son sort : lycéens en grève, associations mobilisées, hommes politiques indignés. Finalement, à l'occasion de la Journée de la femme, le président de la République, Nicolas Sarkozy, intercède en sa faveur. Un visa d'un an en poche, elle atterrit en France le 13 mars 2010, sous le crépitement des flashs, prise d'assaut par ses soutiens, et surtout par les caméras. "Là, c'est le soulagement ! soupire-t-elle encore. Mais derrière, ça n'a pas été facile."
"Je suis repartie de zéro"
Retour au lycée, où certaines camarades ont des mots très durs : "C'était 'T'es la copine à Sarkozy' et aussi 'Comment t'as pu faire ça à ton frère ?'. Il y a eu beaucoup de rumeurs, de mensonges. Et puis les commentaires de haine sur internet, c'est très blessant." Les journalistes, eux, la "harcèlent" et "posent des questions pas correctes" sur sa vie privée et sa famille. La justice, en revanche, finit par lui donner raison : son frère est condamné en octobre 2010. Un mois plus tôt, Najlae a obtenu une carte de séjour d'un an et emménagé dans l'appartement de son compagnon, où elle vit aujourd'hui. "Là, je suis repartie de zéro, avec la possibilité de continuer mes études et surtout, enfin, de pouvoir travailler."
Elle travaille effectivement dans plusieurs hôtels de la région. Mais n'a pas le temps de passer son CAP. Car fin 2011, Najlae donne naissance à une petite fille. Sa petite sœur suivra deux ans plus tard, en octobre 2013. "Mais je vais reprendre une formation de six mois pour travailler dans le commerce, très bientôt", précise-t-elle. Les rapports familiaux sont revenus à la normale, notamment avec ses parents. Mais si elle se dit "heureuse" aujourd'hui, malgré le "traumatisme", sa situation n'est pas réglée pour autant. Elle reste marocaine et doit renouveler sa carte de séjour chaque année. "Il faut dormir devant la préfecture pour être reçu, parce qu'ils ne prennent que vingt personnes. On peut prendre rendez-vous sur internet, mais étrangement, le site est tout le temps en panne."
Pas question pour autant de parler politique. "Je ne m'y intéresse pas assez pour parler de ça. Mais je sais qu'on parle souvent des jeunes. Et jamais des jeunes sans papiers. Alors que la plupart d'entre eux réussiraient mieux, travaillent plus que les autres pour ça, et ne demandent qu'une chose pour vivre normalement : un simple papier." Elle se sent ainsi "touchée" par le cas de Leonarda, qui "ne doit pas perdre courage". Najlae, elle, ne l'a jamais perdu pendant ses trois semaines d'exil : "J'ai tenu grâce à la mobilisation de mes amis et de tous ces gens qui m'ont soutenue. Et puis aussi parce que j'étais trop attachée à la France."
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