La destruction des radars suffit-elle vraiment à expliquer la hausse de la mortalité routière ?
Pour les autorités, les derniers chiffres alarmants de la Sécurité routière sont liés aux nombreux radars dégradés ces derniers mois.
En février 2019, 253 personnes sont mortes sur les routes de France, selon les chiffres de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), publiés jeudi 28 mars. Ce sont 37 victimes de plus qu'en février 2018, soit une hausse de 17,1%, après un mois de janvier déjà marqué par une hausse de 3,9%. Comment expliquer ce début d'année a priori alarmant ?
Répondant à un maire "choqué" par les destructions de radars, en marge des manifestations des "gilets jaunes" et de la contestation contre l'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h , jeudi après-midi, Emmanuel Macron a déclaré : "Je vous remercie de dénoncer des comportements inadmissibles, dont les résultats sont immédiatement tangibles quand on voit les tout derniers chiffres".
Un "relâchement des comportements"
Le chef de l'Etat établit un lien direct entre la dégradation des trois quarts des radars du territoire et cette hausse. La sécurité routière est plus prudente dans son analyse. "L'effet de la forte dégradation des radars fixes s'amplifie et se traduit par un relâchement des comportements sur l'ensemble des réseaux", écrit l'Observatoire de la sécurité routière dans son communiqué.
"Il y a, passez-moi l'expression, une forme de sentiment de carnaval : les règles sont suspendues", observe, interrogé par franceinfo, Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la Sécurité routière. "Ce ne sont pas des grands excès de vitesse, les Français sont des gens raisonnables : c’est juste qu'ils ne font plus attention", ajoute-t-il.
Pour Anne Lavaud, déléguée générale de l'association Prévention routière, ce n'est pas seulement la dégradation des radars qui est en cause, mais la communication autour de ces dégâts. "A force de dire qu'il y a une dégradation des radars, on est en train de communiquer sur une sorte de dépénalisation de la vitesse, ce qui entraîne une augmentation générale de la vitesse", explique-t-elle à franceinfo.
"L'échec" des 80 km/h ?
Or, les routes françaises ont connu un autre changement récent : l'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes nationales. Le nombre de morts augmente en particulier sur le réseau hors agglomération et hors autoroutes, soit le premier réseau concerné par cette mesure, entrée en vigueur le 1er juillet 2018. Pour ses opposants, elle est donc un échec. "Aujourd'hui, on ne peut plus dire que l'effet 80 km/h marche", affirme ainsi le délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes, Pierre Chasseray, cité par l'AFP. Cette hausse "traduit l'échec total de la politique de sécurité routière", abonde le sénateur (Les Indépendants) de la Vienne Alain Fouché.
Mais là aussi, c'est un raccourci. D'abord parce qu'il est trop tôt pour l'affirmer. Il faudrait "a minima que cette mesure puisse vivre 2 à 5 ans pour démontrer son efficacité", estime Anne Pavaud. Et il faut même "environ une génération pour que les choses soient comprises et non plus vécues comme une sanction ou une privation de liberté", ajoute-t-elle.
Une hausse certaine des excès de vitesse
Laurent Carnis, spécialiste de l'économie de la sécurité routière et directeur de recherche à l'Ifsttar, estime que "le bâchage et la destruction des radars ont sans doute produit un impact négatif sur les chiffres de l'accidentalité routière". Mais il précise : "Pour mesurer l'ampleur de cet impact, il faut enquêter et prendre en considération l'ensemble des facteurs qui peuvent influencer la conjoncture de l'accidentalité routière."
Une chose est sûre, la dégradation des radars s'est accompagnée d'une hausse des excès de vitesse. Les appareils ne prennent plus de photo et ne donnent donc plus lieu à des verbalisations, mais leurs capteurs enregistrent toujours la vitesse des véhicules. En décembre 2018, une hausse de 268,3% des excès de vitesse avait été constatée. Contactée par franceinfo, la Sécurité routière confirme cette "hausse des infractions" et ajoute un élément d'explication. "Les forces de l'ordre ont été très mobilisées par les manifestations, il y a sûrement eu moins de policiers sur les routes et moins de contrôles", assure-t-on.
Une météo favorable, davantage de cyclistes
Prudence avec ces chiffres alarmistes, donc. La seule dégradation des radars ne peut tout expliquer. Les saisons et la météo ont également différentes conséquences positives et négatives. Quand il fait beau, on se déplace plus, y compris à moto, à vélo ou à pied. Le mois de février 2019, en France métropolitaine, a connu un ensoleillement "excédentaire", selon Météo France, alors que l'hiver précédent, le soleil avait été "particulièrement absent", relevait Le Monde. Or, la mortalité des cyclistes, en février 2019 "est la plus forte relevée pour un mois de février, depuis dix ans, avec 18 décès estimés", précise l'Observatoire. "Il faut prendre en compte la météo plus clémente, mais aussi le fait que la pratique du cyclisme se développe", explique la Sécurité routière.
Enfin, comme l'explique Le Monde, les données publiées proviennent des "remontées rapides" transmises par les forces de l'ordre au ministère de l'Intérieur. Elles sont extrapolées, par l'application d'un coefficient, car elles ne sont pas complètes. Il peut manquer des données, pour les derniers jours du mois par exemple. Et les victimes sont comptées comme tuées si elles meurent dans 30 jours suivant un accident.
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