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Trappes : les violences sont-elles vraiment liées à la loi contre le port du voile intégral ?

Le banal contrôle d'une femme intégralement voilée a conduit au siège du commissariat de Trappes. Retour sur cet engrenage. 

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
A Nice (Alpes-Maritimes), en mai 2011, une femme ayant reçu une amende pour avoir porté un voile intégral. (MAXPPP)

C'était avant les événements de Trappes (Yvelines). Mardi 11 juin, à Argenteuil (Val-d'Oise), dans une rue semi-piétonne de cette ville de banlieue parisienne, la police stoppe une femme. Elle porte un niqab, un voile intégral. Depuis la loi du 11 octobre 2010, "nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". La jeune femme risque une amende de 30 à 150 euros ou un stage de citoyenneté, mais se plie au contrôle. Un passant s'en mêle, s'en prend aux policiers, une soixantaine de personnes se massent. Insultes, coups de poings, 40 policiers accourent à la rescousse. Une petite émeute.

Plus d'un mois a passé, mais l'histoire d'Argenteuil semble se répèter à Trappes. A nouveau, le banal contrôle de Cassandra, une jeune femme intégralement voilée, débouche sur des violences.

Le risque du dérapage

Banal contrôle ? Pas tant que ça, à entendre Philippe Capon, du syndicat Unsa-Police, joint par francetv info. "Ça peut poser un problème quand la personne est accompagnée. Dès qu'il y a du monde, cela peut déraper assez facilement. La personne contrôlée peut essayer d'utiliser la clameur publique." En juin, à Marseille (Bouches-du-Rhône), une femme en niqab a été interpellée pour "incitation à l'émeute et outrages à agents de la force publique". Refusant de se soumettre à un contrôle, elle a appelé des passants à s'en prendre aux policiers en VTT, selon la police.

"C'est un sujet sensible, ajoute Nicolas Comte, du syndicat de policiers Unité SGP-Force ouvrière, contacté par francetv info. Ces contrôles ont lieu surtout dans des quartiers qui ne sont pas les plus faciles. Généralement, il n'y a pas de problème, mais si la personne a envie que cela dégénère ou en faire un acte militant, ça peut déraper." En conséquence, "dans certaines situations on peut hésiter à les pratiquer pour des raisons de sécurité".

Moins d'un contrôle par jour

La procédure est toujours la même. Le policier ne peut pas contraindre la femme voilée à se découvrir, mais il doit vérifier son identité pour dresser le procès-verbal de contravention. La pièce d'identité tendue, il doit demander à voir le visage de la contrevenante pour comparer. Si elle refuse de se découvrir, elle peut être conduite au commissariat. Et si elle persiste encore dans les locaux de la police, c'est alors au procureur de déterminer la marche à suivre. Mais, "c'est très rare", rappelle Mohamed Douhane, commandant de police et secrétaire national du syndicat Synergie officiers. "Les femmes concernées acceptent majoritairement de retirer leur voile."

Depuis que la loi est entrée en vigueur, en avril 2011, et jusqu'à avril 2013, l'Observatoire de la laïcité a relevé, dans son "point d'étape" (PDF, page 91), 705 contrôles. Pas même un contrôle par jour. Et encore, seulement 423 concernaient des femmes entièrement voilées. Sans compter que certaines sont des récidivistes. A Nice (Alpes-Maritimes), une femme a été verbalisée 29 fois. Bref, les femmes portant un voile intégral restent minoritaires, à peine 2 000 ou 3 000, selon les chiffres couramment admis. Reste que les Yvelines, où se trouve Trappes, concentre 18,4% des contrôles. Dans la ville, d'après le maire, elles ne seraient toutefois qu'une quinzaine à le porter pour 30 000 habitants.

Instrumentalisation et fantasmes

Pourquoi ce contrôle a-t-il conduit au siège du commissariat ? Nicolas Comte se souvient que "pendant une première phase", les policiers étaient invités à faire preuve d'"action pédagogique". Peut-être que le message n'est pas passé ou que les policiers sont devenus plus exigeants.

Mais "avant que la loi ne soit votée, nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme sur la difficulté de ce type de contrôle, indique Mohamed Douhane. On savait que certains fondamentalistes allaient faire de la provocation, se victimiser pour légitimer la violence. Ils ont la capacité d'instrumentaliser des délinquants sur l'autel de la solidarité communautaire ou de quartier pour créer des situations insurectionnelles, des émeutes". Selon lui, "des fondamentalistes jouent sur des fantasmes, affirment que c'est de la provocation policière".

Un climat d'islamophobie

Mais en creux se dessine un scénario entendu "maintes fois lors de violences urbaines depuis 30 ans", relève le sociologue Michel Kokoreff : "Galère, indignation, demande de droits, de respect, contrôles aux faciès récurrents." Et le vase a débordé dans cette zone urbaine sensible (ZUS). Reste que cette fois, comme à Argenteuil, "il y a un petit déplacement", cela "touche à l'islam", relève le chercheur de l'université Paris-VIII, coauteur de Refaire la cité (éd. Seuil).

Et ce, dans un contexte où des associations musulmanes dénoncent un climat d'islamophobie (huit femmes voilées ont été agressées en quinze jours, selon l'Observatoire contre l'islamophobie) et l'inaction des pouvoirs publics. Deux jours avant les émeutes de Trappes, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'était rendu à la Grande mosquée de Paris pour adresser "un signe d'affection" aux croyants en plein ramadan. Il y a dénoncé une "montée des violences à l’égard des musulmans de France".

"En tant que musulmans, ils demandent des droits, ne veulent pas être des musulmans de seconde zone", relève Michel Kokoreff. Alors que l'islam apparaît parfois comme un moyen de "réintégrer une dignité", Michel Kokoreff explique : "Il est possible qu'il y ait d'un côté un sentiment d'islamophobie et de l'autre un 'touche pas à mon voile', une hypersensibilité" sur ce sujet. Du coup, le contrôle d'une femme voilée serait vécu comme une "offense, une attaque".

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