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Trois mois après les attentats, le désarroi de Sonia et Bley Bilal

Le difficile retour à la vie de tous les jours des blessés du 13 novembre trois mois après les attentats. A ce jour, 33 sont toujours hospitalisés. D'autres sont encore astreints à un suivi ou à de la rééducation. C'est le cas des deux victimes que Jérôme Jadot a rencontrées.
Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (Sonia, qui a "honte" de son apparence et Bley Bilal © RF/ Jérôme Jadot)

Trois mois après les attaques du 13 novembre 2015, le quotidien des victimes reste une épreuve. Et pourtant, ça ne saute pas aux yeux quand on croise Sonia, une Parisienne de 22 ans, souriante et plutôt enjouée. Une légère aspérité près de son œil gauche et une petite cicatrice s'échappant de son cuir chevelu qui traduisent mal l'ampleur de ses blessures. Le 13 novembre au soir elle était attablée au Comptoir Voltaire, à deux mètres du terroriste qui a déclenché sa ceinture d'explosif, la criblant de toutes sortes de projectiles. Aujourd'hui elle se considère comme une miraculée : "J’ai eu un boulon dans l’œil, un boulon dans l’avant-bras, tout l’avant-bras, qui s’est coincé au niveau quasiment de mon coude. J’ai eu une balle au niveau du doigt, je n'ai plus d’articulations, je n'ai plus de sang au niveau du doigt. J’ai eu une balle au niveau de la clavicule, j’ai eu un boulon au niveau de la tête et après c’était des impacts qui s’appellent superficiels, j’ai un peu des cicatrices partout… "

Trois mois après les attentats, le désarroi de Sonia et Bley Bilal - le reportage de Jérôme Jadot

Sonia est restée hospitalisée près d'un mois à la Salpêtrière. Six interventions chirurgicales avec anesthésie générale, en changeant de service quasiment tous les jours. Neurochirurgie pour lui ôter le boulon qui lui a fracassé le crâne puis ophtalmologie, orthopédie, chirurgie vasculaire et gastro-entérologie. Elle devra peut-être encore être opérée du petit doigt qui ne bouge plus et de l'œil gauche, qui ne perçoit quasiment plus rien et qui pleure tout seul. Mais il lui faut aussi affronter désormais le regard des autres :

"Il y a une certaine honte dans cette société où tout passe par l'apparence,  tout passe par l’image, de montrer mon œil qui coule, ou avoir besoin de m’essuyer l’œil, ou des trucs comme ça. Ça montre une de mes faiblesses et j’ai peur qu’on se dise 'ah non elle n’est pas efficace'. Ou elle, elle nous ralentit à cause de ça. Il y a mes cicatrices aussi au niveau de la clavicule, au niveau de la tête. C’est horrible à dire c’est bête mais il y a une certaine honte…"

Elle a repris ses études début janvier elle est en BTS de commerce, en stage d’ailleurs en ce moment dans une boutique. Mais il lui faut jongler avec les rdv à l’hôpital, encore tous les 10 jours et une à deux séances de kiné par semaines. Les douleurs l’empêchent toujours de reprendre l’équitation ou encore la danse.

"Même pour brancher mon portable j’appelle mon fils"

Bley Bilal Mokono a lui été blessé à proximité du Stade de France. Touché à l'épaule par les projectiles d'un autre kamikaze, le quadragénaire au physique d'armoire à glace a pu ôter son attelle il y a à peine quinze jours. Il a perdu l'audition d'une oreille et malgré les séances de kiné, tout son corps reste hyper-contracté."Suite à ces contractions par exemple, j’ai perdu 90% de ma souplesse : pour prendre ma douche il faut m’aider, je n’arrive pas du tout à mettre des chaussures faut que je sois assis, il faut que je prenne un chausse-pied très haut. Même pour brancher mon portable j’appelle mon fils. Je perds une totale indépendance.

Même s'il a pu reprendre le travail, Bley Bilal va devoir aménager son petit pavillon du Val d'Oise. Nouvelle douche, matelas thérapeutique, fauteuil adapté... Or il attend toujours une avance du fonds de garantie censé aider les victimes de terrorisme. Il attend toujours aussi l'attestation de prise en charge à 100% par la sécurité sociale. Des tracas administratifs qui s'ajoutent aux séquelles psychologiques, toujours très vives : 

"C’est compliqué parce que j’ai vu leur visage, j’ai vu leur corps s’exploser, et dès que je n’ai fait rien, ces images me hantent. Je ne dors pas la nuit, je suis dans l’inquiétude. Quelqu’un passe à côté de moi mon cœur il monte tout seul. J’ai des médicaments et des bêtabloquants pour le cœur, parce que mon cœur s’emballe, je monte en tension. Les séquelles physiques je sais où ça en est je peux les combattre. Psychologiquement je ne sais pas le combattre".

Un désarroi que partage aussi Sonia. La jeune femme explique vivre avec un moral en dent de scie et des souvenirs très précis du sourire du kamikaze lorsqu'il entre en claquant la porte du restaurant, du souffle incroyable de l'explosion alors qu'elle s'apprête à entamer son plat, souvenir d'une fin qui lui semble inéluctable : "Quand j’ai vu que j’avais un trou au niveau de la tête… C’est vrai que pour moi j’étais morte à ce moment-là. Donc à partir de là c’était que du plus quoi, tant que je vivais fallait que je fasse quelque chose, pour moi j’allais mourir d’une hémorragie. C’était vraiment du bonus en fait, du sursis. Quand je suis arrivée à l’hôpital la première nuit, je demandais je vais mourir quand, c’est quand que ça va venir, c’est long. Surtout que moi dans mon service, on est arrivé ce soir on était six en neurochirurgie, ils sont tous morts". 

"j’ai connu la mort je sais ce que ça fait"

Sonia dit aujourd'hui alterner les phases dépressives où elle n'a pas envie de sortir avec celles où elle veut profiter de chaque moment : "Pour l’instant je n’ai pas quitté le coup du bonus. En fait, je n’ai pas plus peur de rien mais c’est un peu, j’ai connu la mort je sais ce que ça fait entre guillemets, si au pire ça m’arrive demain ou qu’elle vient me chercher voilà quoi j’aurais vécu un peu plus. Mais c’est vrai qu’on a un sentiment à la fois de toute puissance et à la fois d’être très très faible aussi".

Sonia qui explique vivre désormais les choses de façon totale. Elle ne veut manquer une heure de cours sous aucun prétexte. Et profite des soirées entre amis jusqu'à l'aube, même si elle est fatiguée, en se disant que ça sera peut-être la dernière.

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