Ce que l'on sait de l'indemnisation partielle d'une femme rendue paraplégique par son compagnon violent
Le Fonds de garantie des victimes a accordé une indemnisation partielle à une femme lourdement handicapée par la faute de son compagnon. Il a estimé que la victime avait commis une faute en revenant notamment à son domicile avant d'être frappée par cet homme violent.
Aïda* est paraplégique par la faute de son compagnon, qui l'a défenestrée un soir d'août 2013. Le Fonds de garantie des victimes a toutefois refusé de lui accorder la provision de 90 000 euros réclamée par ses avocats. Il a en effet estimé que la victime avait commis une imprudence en retournant à son domicile malgré les conseils de la police, et qu'elle avait donc concouru à son préjudice. Révélée par Le Maine libre, cette affaire a depuis fait réagir de nombreuses personnalités, parmi lesquelles la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa.
Que s'est-il passé ?
Le 24 août 2013, la police intervient dans l'appartement d'Aïda au Mans (Sarthe), pour un différend d'ordre privé, puisque son compagnon a agressé un ami commun. Agée de 26 ans, la jeune femme est victime de violences conjugales à répétition. Les agents lui conseillent donc de quitter le domicile pour se placer en sécurité. Selon ses avocats, Aïda envisage alors de se rendre dans sa famille à Alençon (Orne), mais il est trop tard pour prendre le train. Elle appelle le 115 et envoie des SMS à des amis, en vain, puis rentre chez elle. "Aïda subissait des violences habituelles, qui n'avaient pas donné lieu à hospitalisation, mais ce soir-là, il ne l'avait pas violentée", précise l'un de ses avocats, Mathias Jarry.
Mais, à son retour, le compagnon d'Aïda s'en prend à elle. Alertée dans la nuit par des voisins, la police la découvre gisant au pied de l'immeuble : l'homme vient de la jeter, inconsciente, du deuxième étage. Aïda reste paraplégique et son agresseur est condamné à 15 ans de prison. Dans son arrêt civil de juin 2016, la cour d'assises fixe la provision pour l'indemnisation de la victime à 90 000 euros.
Quelle est la réponse du Fonds de garantie ?
Les deux avocats de la victime, Julie Dodin et Mathias Jarry, demandent alors une provision de 90 000 euros au Fonds de garantie des victimes. La somme doit permettre à Aïda d'acquitter les frais liés à son handicap, explique Le Maine libre. Mais le Fonds propose une indemnisation partielle, estimant "qu'il y a partage de responsabilités et que notre cliente a commis une faute civile en retournant à son domicile", commente Mathias Jarry, interrogé par l'AFP.
Jugeant cette position "aberrante", les avocats saisissent la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), qui siège auprès de chaque tribunal. Mais celle-ci retient également le partage de responsabilités et propose de verser 67 500 euros, au mois de février dernier. "La position du Fonds de garantie est très choquante, s'indigne Julie Dodin. Il n'y a pas de jurisprudence sur la question et aucune Civi n'a encore jamais eu l'audace de retenir la faute d'une victime de violences conjugales."
Où en est le dossier ?
Julie Dodin et Mathias Jarry ont fait appel de la décision et une audience est prévue le 27 mai 2019. Dans ses conclusions, fin novembre, l'avocat général de la cour d'appel d'Angers a confirmé la faute partagée de la victime et demandé une provision encore réduite. "Ce qui nous a choqués, c'est qu'il a écrit le mot victime entre guillemets, comme si notre cliente n'était pas une vraie victime", dénonce Mathias Jarry.
Que répond le Fonds de garantie ?
Contacté par franceinfo, le Fonds de garantie explique avoir "estimé, sur la base des faits, que, conformément à la loi, l'indemnisation devait être limitée, en raison d'une faute de la victime". Le Fonds précise avoir "intégralement réglé [la provision de 67 500 euros], bien qu'il y ait un appel et que la décision n'ait pas été assortie de l'exécution provisoire".
Comment réagit le gouvernement ?
La secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a estimé que le sort réservé à ce dossier était "profondément choquant et incompréhensible". Elle va d'ailleurs "écrire à toutes les compagnies d'assurances pour leur rappeler qu'une femme n'est jamais, dans aucun cas, responsable des violences qu'elle subit".
"Considérer qu'une femme est responsable, même partiellement, même administrativement, des violences qu'elle subit va à l'encontre de tout le travail de conviction que nous menons (...) pour convaincre qu'une femme n'est jamais responsable des violences qu'elle subit", ajoute-t-elle, se disant prête, "si c'est avéré et dans ces termes", à "intervenir personnellement".
* Le prénom a été modifié
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