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Disparition de Peng Shuai : comment le pouvoir chinois musèle par tous les moyens le mouvement #MeToo

Les femmes qui veulent dénoncer les agressions sexuelles en Chine, comme la joueuse de tennis Peng Shuai, se heurtent à une répression systématique. Censure, harcèlement, disparition… Les autorités tentent par tous les moyens d'empêcher leurs voix de porter.

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des soutiens présents au procès de Zhou Xiaoxuan, dite "Xianzi", qui est devenue l'un des visages du mouvement MeToo en Chine après avoir accusé un célèbre présentateur de télévision de harcèlement sexuel, à Pékin le 2 décembre 2020. (NOEL CELIS / AFP)

"Même si je risque ma perte, je dirai la vérité sur vous." Ainsi s'achevait le message de Peng Shuai, dans lequel la joueuse de tennis accusait un ancien cadre du parti communiste chinois de viol, le 2 novembre dernier. Peu de temps après, elle disparaissait. Ses récentes apparitions publiques, en photo puis dans des vidéos où elle revient en partie sur ses déclarations, n'ont pas dissipé les inquiétudes de la communauté internationale. Peng Shuai est vivante, mais s'exprime-t-elle de son plein gré ? Est-elle libre de ses mouvements ?

Si les doutes subsistent, c'est qu'en Chine, la répression menace toutes les femmes dénonçant des actes de violences sexuelles. Comme la juriste Xiaowen Liang, harcelée puis bannie du réseau social Weibo au printemps 2021 pour avoir soutenu une autre féministe prise pour cible en ligne par une armée de "trolls". Ou comme la journaliste Huang Xueqin, dont les enquêtes ont mis en lumière le sujet du harcèlement sexuel dans la société chinoise. "Huang a été interpellée en septembre 2021. Personne ne sait où elle est depuis", se désole son amie Wang Zheng, professeure de "gender studies" à l'Université du Michigan (Etats-Unis) contactée par franceinfo. Sa voix se serre un instant : "Voilà la situation du féminisme en Chine." Censurées sur les réseaux sociaux, arrêtées par la police, dénigrées par la justice… Le combat des femmes qui osent parler devient plus dangereux que jamais.

La fin d'une parenthèse de tolérance

Le mouvement féministe n'a pourtant pas toujours fait l'objet d'une telle répression en Chine : dans les années 1990, de nombreuses ONG de soutien aux femmes y ont été créées. "La police considérait le féminisme comme moins dangereux que d'autres mouvements politiques", explique Wang Zheng. Cette tolérance a permis à ces ONG de lutter contre le harcèlement sexuel, dont les femmes ne parlaient pas pour éviter la honte.

En 2018, Luo Xixi est la première Chinoise à témoigner, à visage découvert, pour dénoncer un ancien professeur d'université. Son récit déclenche une vague de témoignages, qui submerge le milieu étudiant, les entreprises et les médias, relayés par des femmes comme la journaliste Huang Xueqin.

"Toutes ces femmes voulaient parler, mais elles avaient besoin que quelqu'un leur dise : 'C'est possible'."

Wang Zheng, professeure de "gender studies" à l'Université du Michigan

à franceinfo

Le régime aurait pu les soutenir, l'égalité hommes-femmes étant inscrite dans la Constitution chinoise. Mais en 2013, le président et secrétaire du Parti communiste, Xi Jinping, a décidé de mettre en avant "le rôle unique des femmes dans la diffusion des vertus familiales chinoises (...), l'harmonie au sein de la famille et de la société et le développement normal des enfants."

Sous son autorité, le parti s'est employé à "renforcer les rôles de genre traditionnels", explique encore William Nee, directeur de recherche pour l'ONG China Human Rights Defenders, contacté par franceinfo. Comprendre : encourager l'éducation d'hommes virils et de femmes au foyer. Le tout pour garantir la stabilité sociale, mais aussi pour revaloriser le rôle de mère dans un pays dont le taux de natalité est au plus bas depuis plus de 40 ans, malgré l'assouplissement de la politique de l'enfant unique depuis 2013. Des objectifs qui s'accordent mal avec l'émergence de voix dissonantes.

Internet, outil d'expression et de répression

Depuis trois ans, le gouvernement accentue son emprise sur le cyberespace contre les critiques. Des groupes de discussions féministes sont bloqués, comme "Feminist Voices", fermé lors de la journée internationale des droits des femmes de 2018. Le message dans lequel Peng Shuai détaillait ses accusations a été supprimé dans les minutes qui ont suivi sa publication. De nombreuses expressions et hashtags, comme #MeToo, sont bannis sur les réseaux sociaux, tandis que les menaces de viol et les insultes restent en ligne.

De leur côté, les médias publics comme le journal Global Times* affirment que le mouvement #MeToo est instrumentalisé par l'Occident pour "semer le chaos, la division et même la subversion" en Chine. Des accusations reprises par la Fédération nationale des femmes de Chine, organisation adoubée par le pouvoir, et par des influenceurs nationalistes qui n'hésitent pas à envoyer leur communauté harceler en ligne les militantes. "Les 'trolls' s'attaquent plus facilement aux féministes qui postent aussi des messages en soutien aux Ouïghours ou aux manifestants de Hong Kong. Des actes de trahisons, selon les nationalistes, souligne William Nee. Dans cet imaginaire, le féminisme et la défense des communautés LGBT sont liés à des idées étrangères antichinoises."

Pour contourner ces barrières, parler du sexisme en ligne devient un jeu d'images : "MeToo" devient ainsi "riz lapin" ("Mi Tu", en mandarin). "Il y a plein de moyens de contourner la censure, avec un vocabulaire détourné, ce qui peut empêcher le débat d'atteindre les internautes moins informés", regrette Doriane Lau, chercheuse spécialisée sur la Chine pour Amnesty International jointe par franceinfo. Celles qui le peuvent s'exilent à l'étranger pour diffuser leurs idées librement, à l'image de Lu Pin, fondatrice de "Feminist Voices", installée aux Etats-Unis.

Des disparitions forcées

Certaines accusations de violences sexuelles réussissent néanmoins à passer les barrières de la censure. Celles contre un cadre de la société d'e-commerce Alibaba, ou contre le chanteur star de K-Pop, Kris Wu, ont été reprises jusque dans les médias d'Etat. Mais "à l'époque, le gouvernement voulait récupérer le pouvoir des géants de la tech comme Alibaba, rappelle William Nee. Le contexte a pu permettre aux accusations de se diffuser plus facilement."

Les féministes qui ne sont pas dissuadées par cette surveillance de masse ont droit à une attention plus personnelle. "Elles sont souvent invitées à 'prendre le thé' par la police", décrit Wang Zheng avec un rictus entendu. Les plus actives peuvent être arrêtées pour avoir "suscité des querelles et provoqué des troubles", ou pire, pour "incitation à la subversion du pouvoir de l'Etat". Deux crimes à la définition extrêmement vague, utilisés pour arrêter des activistes gênants pour le pouvoir.

Parfois, certaines disparaissent, comme Peng Shuai ou Huang Xueqin. D'autres militants sont retenus pour une durée indéterminée dans des "prisons noires" à l'emplacement inconnu, sans possibilité de communiquer avec l'extérieur. Ce traitement n'est pas réservé aux féministes, mais s'applique aussi aux opposants politiques, car la motivation du régime est toujours la même. "Le pouvoir chinois refuse toute forme d'organisation qui pourrait créer des réseaux d'influence parallèles et remettre son autorité en cause. Le domaine importe peu, tant que cette personne ou organisation a un peu d'audience", résume William Nee.

Un système judiciaire qui favorise les hommes

Si la peur d'être harcelée ne décourage pas les Chinoises, le système judiciaire risque d'y parvenir. Le pays a bien précisé sa définition du harcèlement sexuel dans son nouveau code civil, en 2020, mais les obstacles s'érigent très vite sur le chemin des victimes.

"Quand une femme vient porter plainte pour des violences conjugales, la police refuse souvent de s'en occuper, car elle considère ça comme une affaire privée."

Doriane Lau, chercheuse pour Amnesty International

à franceinfo

"Les tribunaux exigent un haut niveau de preuve pour condamner une personne pour harcèlement", explique pour franceinfo Darius Longarino, chercheur à la Yale Law School. "Or, ces situations se produisent souvent à huis clos, sans témoin ni vidéo, et les témoignages de proches sont rarement pris en compte." Sans preuves matérielles souvent difficiles à fournir, les femmes s'exposent en retour à des poursuites pour diffamation qu'elles ont peu de chances de remporter. Celles qui voudraient divorcer ne sont pas mieux traitées, selon plusieurs études citées par The Economist* : les tribunaux ont tendance à les en dissuader et les biens du couple reviennent le plus souvent au mari.

Les rares femmes qui ont obtenu justice dans des affaires de violences sexistes ne sont pas forcément les plus encourageantes. "Je conseille aux victimes de réfléchir à deux fois avant d'aller en justice, car cela peut vraiment vous détruire", avait d'ailleurs déclaré Xiang Yang, la première Chinoise à remporter un procès pour harcèlement sexuel, en 2020.

Les effets de cette répression sont visibles partout. Dès 2019, la féministe Lu Pin constatait avec amertume que "le mouvement [Metoo en Chine] perdait sa dynamique*". "La vie en Chine pour les féministes est déjà un cauchemar, nous ne voulons pas que ça empire", résume Wang Zheng. "C'est pourquoi nous continuons à nous battre", insiste-t-elle, pugnace.

*Les liens suivis d'une astérisque renvoient à des contenus en anglais.

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