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"Une date butoir, c'est bâillonner à vie un enfant" : la victime d'un viol témoigne sur le délai de prescription

Un projet de loi présenté mercredi prévoir d'allonger de dix ans le délai de prescription pour les crimes sexuels sur des mineurs. Une victime, confrontée à cette épée de Damoclès milite en faveur de l'imprescriptibilité.   

Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Un projet de loi prévoit de rallonger de dix ans le délai de prescription pour les crimes sexuels contre les mineurs (illustration).   (MAXPPP)

Le gouvernement présente mercredi 21 mars en conseil des ministres un projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes. Le texte prévoit notamment d'allonger de dix ans le délai de prescription pour les crimes sexuels sur des mineurs. Une victime, confrontée à cette épée de Damoclès, milite en faveur de la nécessaire imprescriptibilité de ces faits. 

La terreur du viol enfouie dans la mémoire

Jusqu'à ses 37 ans et demi, Marie* n'avait pas le souvenir d'avoir été violée. Avec un travail, un mari, des enfants, sa vie semble équilibrée. Pourtant, elle ressent de l'hypersensibilité et ne s'explique pas des pensées suicidaires. Il y a 18 mois, au moment de la sortie du livre de l'animatrice Flavie Flament, La consolation, sur le viol et l'amnésie traumatique, Marie commence à avoir ce qu'elle appelle des "flashes sensoriels".

Je ressens tous les actes qu'il a commis : me tirer les cheveux, me tenir les poignets, m'étrangler. On est à nouveau violée et à nouveau terrorisée, comme si on était à nouveau une enfant qui vivait les faits.

Marie, victime d'un viol pendant l'enfance

à franceinfo

La terreur avait enfoui profondément ces faits dans sa mémoire, poursuit Marie. Elle s'était toujours souvenue s'être un jour retrouvée dénudée sur un lit, un peu honteuse, mais sans pouvoir se l'expliquer. Quatre mois après les premiers flashes, avec l'aide d'une psychologue, Marie raconte avoir retrouvé précisément la mémoire de ce qui s'était passé, mais elle sait que les semaines sont comptées. Le délai prescription s'achève le jour de ses 38 ans. C’est une épée de Damoclès, dit-elle. "Le fait d'avoir une date butoir ajoute une énorme pression. C'est paradoxal, mais ça m'a empêchée, au début, d'entreprendre les démarches auprès d'un professionnel parce que je me disais qu'en cas de thérapie de cinq ans, il serait trop tard", raconte Marie.

La nécessité de l'imprescriptibilité 

Finalement, Marie parvient à déposer plainte, cinq jours avant son anniversaire, en mai 2017. Même autant d'années après les faits, l'enquête ne sera peut-être pas vaine. "Vu le temps qui s'était écoulé, je me disais qu'il y avait très peu de chances. Il se trouve que, oui, ça avance", dit-elle, sans en dire plus afin de ne pas compromettre les investigations. En revanche, elle voudrait tout faire pour éviter que d'autres victimes soient pénalisées par un délai de prescription, même rallongé de 10 ans. "Poser une date, cela veut dire qu'à partir de là, ce que tu as vécu ne compte plus, c'est passé. Mais en fait, ça n'est pas passé. La date butoir, c'est bâillonner à vie la victime", témoigne cette victime.

Il faut qu'un homme qui viole un enfant se dise que jusqu'à la fin de ses jours, il risque quelque chose, il risque d'être rattrapé. Il n'y a pas de 'dans trente ans, ce sera bon, on m'aura pardonné'.

Marie

à franceinfo

 Aux yeux de Marie, l'extension du délai de prescription ne doit être qu'un premier pas vers l'imprescriptibilité. Un crime sexuel contre un enfant, souffle-t-elle, c'est un crime contre l'humanité.

"Une date butoir, c'est bâillonner à vie un enfant", témoigne la victime d'un viol durant l'enfance - un reportage de Jérôme Jadot

*Marie est un prénom d'emprunt, afin de préserver l'anonymat de cette femme qui a accepté de témoigner sur franceinfo.

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