Guerre en Ukraine : Renault, TotalEnergies, Leroy Merlin... Quels sont les arguments des sociétés françaises qui restent en Russie ?
Accusées par le président ukrainien d'être des "sponsors de la machine de guerre russe", plusieurs grosses firmes hexagonales ont annoncé suspendre une partie de leurs activités en Russie, tandis que d'autres restent bien présentes sur place.
"Les entreprises françaises doivent quitter le marché russe." Dans son discours en visioconférence devant les parlementaires français, mercredi 23 mars, Volodymyr Zelensky a de nouveau appelé au départ des sociétés tricolores installées en Russie. "Renault, Auchan, Leroy Merlin et autres (...) doivent cesser d'être les sponsors de la machine de guerre de la Russie" et "de financer le meurtre d'enfants et de femmes, le viol", a tonné le président ukrainien, alors que son pays est confronté depuis un mois aux assauts de l'armée russe.
Avant le début de la guerre en Ukraine, plus de 500 entreprises françaises, dont 35 groupes du CAC 40, opéraient en Russie, selon le ministère français de l'Economie. La Russie est le 7e marché de la France hors Union européenne, d'après Bercy. Et la France est le premier employeur étranger en Russie, avec quelque 160 000 salariés.
Depuis le déclenchement du conflit, de grands groupes de luxe français – comme Hermès, Chanel, LVMH et Kering – ont annoncé la fermeture de leurs boutiques en Russie. Mais toutes les entreprises françaises n'ont pas fait ce choix. Sous le feu des critiques depuis plusieurs jours, plusieurs grands groupes ont cependant fait des annonces majeures récemment.
Renault "suspend" l'activité de son usine de Moscou
Ciblé par Volodymyr Zelensky, Renault a annoncé mercredi soir suspendre immédiatement les activités de son usine de Moscou. Dans son communiqué, le groupe affirme "qu'il met déjà en œuvre les mesures nécessaires pour respecter les sanctions internationales". La direction assure aussi vouloir "agir de manière responsable envers ses 45 000 salariés en Russie".
L'enjeu économique est de taille pour la marque au losange. Avec près de 500 000 véhicules vendus en 2021, la Russie est son deuxième marché dans le monde. Le constructeur automobile annonce d'ores et déjà revoir ses perspectives financières pour l'année 2022, avec "une marge opérationnelle du groupe de l'ordre de 3%", contre 4% précédemment.
Cette annonce ne signifie pas pour autant que Renault sort du pays. Le groupe va évaluer "les options possibles concernant sa participation" dans sa grosse filiale russe, AvtoVAZ, qu'il a rachetée à 69% fin 2016. Gros investisseur, le constructeur automobile redoute une nationalisation forcée en cas de départ. AvtoVAZ dispose notamment d'une gigantesque usine à Togliatti, dans le sud-ouest de la Russie, qui emploie 35 000 personnes. La firme avait annoncé le 16 mars envoyer ses employés en congés payés pour trois semaines en raison d'une pénurie de composants importés, liée aux sanctions occidentales dues à l'invasion de l'Ukraine.
Le groupe reste enfin particulièrement exposé, par son statut d'associé avec le conglomérat public russe Rostec (défense, aérospatial, technologies...), dirigé par Sergueï Tchémézov, un allié de Vladimir Poutine.
Leroy Merlin reste par crainte "d'une expropriation"
Leroy Merlin ne cessera pas son activité en Russie. Adeo, la holding de la famille Mulliez qui détient l'enseigne ainsi qu'Auchan et Decathlon, a répondu aux pressions de ses salariés ukrainiens comme français et de la classe politique des deux pays dans une déclaration à l'AFP mercredi. Une fermeture serait considérée comme une "faillite préméditée", "ouvrant la voie à une expropriation qui renforcerait les moyens financiers de la Russie", argue-t-elle. Adeo assure en revanche avoir "décidé au début du conflit de suspendre les nouveaux investissements" en Russie.
Les sommes en jeu sont importantes : en 2020, Leroy Merlin a déclaré 4,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en Russie. La Russie représente 18% de son activité globale, plaçant le pays comme deuxième marché après la France. Le bénéfice réalisé "n'est pas du tout la question" et se trouve être "en chute libre" en Russie, répond le directeur général d'Adeo, Philippe Zimmermann, dans La Voix du Nord, mercredi.
Philippe Zimmermann, dit "comprendre" la position du président ukrainien, mais se sentir aussi "heurté d'être considérés comme des sponsors de la guerre". "Nous n'avons pas de raison de condamner nos équipes russes pour une guerre qu'elles n'ont pas choisie", fait également valoir Adeo, alors que Leroy Merlin déclare compter 45 000 collaborateurs en Russie, pour une grosse centaine de magasins. Même argument de la part de Philippe Zimmermann. "Cela peut mettre en danger nos salariés. En Pologne, déjà, nous avons des réactions agressives", déplore-t-il. Toutefois, si Emmanuel Macron demandait à l'enseigne de quitter le marché russe, "ce serait différent", a déclaré le directeur général d'Adeo.
Auchan n'a pour sa part pas souhaité faire de commentaire après l'intervention de Volodymyr Zelensky devant le Parlement français. Autre enseigne de l'association familiale Mulliez fortement implantée en Russie, elle compte 231 magasins russes pour un chiffre d'affaires de 3,2 milliards d'euros, soit plus de 10% de son activité mondiale.
TotalEnergies cesse ses achats de pétrole, mais pas de gaz
Un peu plus tôt dans la semaine, mardi, TotalEnergies a annoncé cesser tout achat de pétrole, mais aussi de produits pétroliers russes d'ici à fin 2022. Le groupe énergétique dépend fortement de la Russie, puisque 16,6% de ses hydrocarbures sont produits dans le pays. En revanche, le membre du CAC 40 n'interrompra pas ses achats de gaz russe, sa dépendance à ce gaz étant trop haute (30%). Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a affirmé mercredi que son groupe ne pouvait pas renoncer à cet hydrocarbure, expliquant avoir souscrit "des contrats de 25 ans".
Impliqué sur le champ gazier Yamal, en Sibérie arctique, TotalEnergies détient notamment une participation de 20% dans Yamal GNL, un projet de gaz naturel liquéfié qui a démarré sa production en 2020. Le groupe détient aussi 19,4% du géant du gaz russe Novatek.
Le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot a accusé l'énergéticien de "complicité de crime de guerre", accusation à laquelle le groupe a répondu avec l'annonce d'une plainte en diffamation contre le député européen.
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