"Persévérance dans l'erreur", propositions de réformes drastiques... Ce qu'il faut retenir du rapport sénatorial sur la financiarisation du foot

Les sénateurs ont notamment épinglé, mercredi lors d'une conférence de presse, l'accord avec le fonds d'investissement CVC, ainsi que le salaire de Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel (LFP).
Article rédigé par franceinfo: sport avec AFP
France Télévisions - Rédaction Sport
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Les sénateurs Laurent Lafon (à droite) et Michel Savin (à gauche), respectivement président et et rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur la financiarisation du football, en conférence de presse le 30 octobre 2024 à Paris. (QUENTIN DE GROEVE / AFP)

"Vision court-termiste", "persévérance dans l'erreur", "dysfonctionnements profonds" : le Sénat a sévèrement critiqué la gouvernance du football professionnel français, dans un rapport au vitriol de 130 pages, rendu public mercredi 30 octobre. A l'issue d'une mission d'information qui a notamment procédé à l'audition d'une soixantaine d'acteurs du football français depuis le printemps, son rapporteur, Michel Savin (LR), a prôné des réformes drastiques dans la répartition des revenus entre clubs ou le salaire des dirigeants. Ses propositions, adoptées à l'unanimité en commission, pourraient faire l'objet d'une proposition de loi.

Des critiques sévères sur l'accord avec CVC

"Des erreurs ont été commises au cours des dernières années dans la gestion du football professionnel français. Pire encore, aucun enseignement n'a été tiré des erreurs faites dans le passé. Résultat, elles continuent", a lancé Laurent Lafon (UDI), président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, en conférence de presse.

La chambre haute du Parlement s'interrogeait en particulier sur les contours du contrat signé en 2022 entre la Ligue de football professionnel (LFP) et le fonds d'investissement CVC Capital Partners, qui a apporté 1,5 milliard d'euros au football professionnel français contre environ 13% de ses recettes commerciales à vie. "Des décisions lourdes de conséquences ont été prises, souvent dans la précipitation, avec une présentation orientée des données et des différents scénarios possibles, avec parfois une volonté d'empêcher les points de vue contradictoires ou d'omettre de transmettre des informations indispensables à la compréhension des enjeux", a pointé sévèrement Laurent Lafon.

Pour Michel Savin en effet, "la perspective de la distribution rapide de fonds aux clubs l'a emporté sur toute autre considération", alors que "l'utilité à long terme de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs"

Une proposition de plafond pour le salaire du président de Ligue

Cette opération avec CVC avait permis l'augmentation du salaire de Vincent Labrune, le président de la LFP, de 420 000 à 1,2 million d'euros par an. Même s'il a, depuis, consenti à une réduction de 30%, les sénateurs souhaitent "instaurer un plafond des rémunérations des présidents de ligues professionnelles, semblable à celui existant pour les entreprises publiques", soit 450 000 euros. Une proposition qui ne se limite donc pas au football. "La Ligue n'est pas une entreprise privée, c'est une subdélégation d'un service public, d'organiser le championnat de France de football professionnel, du ministère à la fédération, et de la fédération à la ligue. Est-ce normal que le président de la LFP gagne deux fois plus que celui de la SNCF ou d'EDF ?", s'interroge Laurent Lafon.

Des préconisations pour éviter les conflits d'intérêts

Pour éviter les conflits d'intérêts et renforcer le contrôle démocratique de ces contrats, la commission préconise, dans son rapport, d'"opérer une distinction nette entre les activités des ligues professionnelles et celles de leurs sociétés commerciales en séparant clairement la ligue de sa filiale".

Pour lutter contre l'entre-soi, la commission suggère "un minimum de cinq administrateurs qualifiés indépendants au sein des ligues professionnelles", ou encore "la présence d'un représentant des supporters avec voix consultative au sein de l'assemblée générale et du conseil d'administration des ligues".

Autre proposition majeure : l'impossibilité de cumuler une place au Conseil d'administration de la Ligue et une fonction chez un diffuseur... Ciblé sans détour, Nasser Al-Khelaïfi, président du Paris SG et patron de beIN, que les sénateurs ont "regretté" de ne pas avoir pu auditionner, lui reprochant d'avoir reporté plusieurs rendez-vous. "Le sport ne peut pas rester aux mains de quelques-uns", a dénoncé Michel Savin.

Un contrôle plus strict et une meilleure répartition pour lutter contre les faillites de clubs

Les sénateurs proposent d'encadrer davantage la masse salariale des clubs et de diminuer le nombre de contrats professionnels. "Beaucoup de clubs comptent plus de 40 contrats pros, et on a remarqué qu'une dizaine de joueurs ne jouaient jamais, alors que leur masse salariale pèse sur le club", constate Michel Savin.

Ils souhaitent  une "répartition équitable des ressources" issues des sociétés commerciales avec "un ratio maximal de distribution de 1 à 3 des revenus entre clubs professionnels", afin que les différences de revenus ne soient plus aussi importantes qu'aujourd'hui, ou le ratio s'établit plutôt de 1 à 5. 

Pour éviter un scénario semblable à celui des Girondins de Bordeaux, et face à la prédation de certains fonds d'investissement qui rachètent des clubs sans s'y investir à long terme, les sénateurs préconisent par ailleurs de "renforcer le contrôle de la DNCG [gendarme financier du foot] sur les reprises de clubs en instituant un pouvoir de blocage".

La possibilité d'un diffuseur unique pour lutter contre le piratage

Enfin, face à la multiplication des diffuseurs, critiquée notamment par les supporters et les consommateurs, les deux parlementaires entendent "repenser la réglementation des appels d'offres", en privilégiant par exemple l'hypothèse d'un "diffuseur unique". Ils souhaitent également "discuter le montant des abonnements, qui fait aujourd'hui exploser le piratage". Afin d'endiguer ce phénomène, la commission suggère aussi  la création d'un "délit de piratage dans le domaine sportif" et un "traitement en temps réel des adresses IP à bloquer" chez les contrevenants.

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