Angleterre-Argentine : entre échecs sportifs et problèmes économiques, les deux nations naviguent à vue avant la Coupe du monde
C'est aussi ça, le risque d'un tirage au sort précoce. Fin 2020, lorsque World Rugby officialisait les poules de cette Coupe du monde au cœur d'un Paris confiné, on se délectait par avance de cet Angleterre-Argentine, sommet de la poule C, qui se dispute samedi 9 septembre à Marseille (21 heures). C'était sûr, les Anglais, finalistes un an plus tôt, allaient continuer de régner sur l'hémisphère nord et les Pumas, même décevants lors du Mondial japonais, réenclencher la marche avant. Mais, patatras, en trois ans, la hiérarchie a été chamboulée et les deux ex-cadors sont désormais devenus des nations de seconde zone.
37 ans après la mythique "main de Dieu" de Diego Maradona, à l'Estadio Azteca de Mexico, Anglais et Argentins vont se recroiser dans un autre temple du ballon rond. Dans un stade Vélodrome de Marseille comble et bruyant, il s'agit là de la seule analogie valable avec le quart de finale mythique du Mondial mexicain de 1986, sur fond de guerre des Malouines. Celui-ci avait offert sa deuxième étoile à l'Albiceleste, et il paraît à ce stade au mieux illusoire d'imaginer l'un des deux protagonistes du soir soulever le trophée le 28 octobre, à Saint-Denis.
L'Angleterre aurait pu y prétendre par son statut d'ex-championne du monde, en 2003, seule nation de l'hémisphère Nord couronnée. Mais son déclassement place aujourd'hui l'équipe à des années-lumière de la France, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud ou l'Irlande. En quatre matchs de préparation, le XV de la Rose n'a glané qu'un maigre succès contre des Gallois encore plus moribonds (19-17), pour trois revers dont l'un historique face aux Fidji (22-30).
L'Angleterre n'en finit plus de creuser
Si le deuxième ligne Maro Itoje a jugé, vendredi en conférence de presse, que "le meilleur" était "à venir", c'est sans doute car son équipe peut difficilement creuser plus profond. A l'agonie lors des Tournois 2021 et 2022, les Anglais ont remercié l'emblématique Eddie Jones en décembre. Son successeur, Steve Borthwick, affiche un bilan famélique (trois succès en neuf matchs) et a subi la plus large défaite de l'histoire de la sélection à domicile (10-53 contre la France en mars), mais n'est pas pour autant responsable de tous les maux.
"Le rugby anglais est malade, soutenait Dimitri Yachvili, consultant pour France Télévisions, peu après la déroute face aux Bleus. Sous l’ère Eddie Jones, ils restaient avec un effectif assez réduit, ils n’ont pas lancé beaucoup de jeunes. Leur jeu, basé sur le jeu au pied ou le défi physique, n'évoluait pas beaucoup, contrairement aux autres nations."
Illustration de cette absence de renouvellement, la moitié des titulaires de samedi sont trentenaires. Le pilier droit Dan Cole et le demi de mêlée Danny Care (tous deux 36 ans) continuent tant qu'ils le peuvent, faute de relève. Ce dernier, remplaçant, devrait seconder en cours de match Alex Mitchell, initialement quatrième choix au poste mais propulsé titulaire à la hâte, comme un symbole de cette sélection sans repères. Celle-ci doit en plus compter sans Owen Farrell et Billy Vunipola, suspendus contre l'Argentine après des plaquages dangereux en match de préparation.
A ces écueils sportifs se sont, en plus, ajoutés des problèmes économiques. Deux clubs emblématiques, les Wasps et Worcester, ont mis la clé sous la porte à l'automne dernier, et la majorité des clubs de Premiership, impactés par le Covid-19 et le Brexit, sont en déficit. En conséquence, quatre des 33 joueurs retenus se sont exilés, tous en France, un chiffre jamais atteint sur un Mondial.
La pandémie a "détruit" le rugby argentin
Le fort contingent de "Français" dans la sélection argentine – 12 appelés pour le cru 2023 – est plus classique, mais en forte hausse par rapport aux dernières Coupes du monde. Ils n'étaient en effet que deux en 2015 et 2019, et ce n'est pas un hasard : sur cette période, l'écrasante majorité des Pumas évoluaient au pays, dans la franchise des Jaguares. Celle-ci disputait le Super Rugby, un championnat réunissant des équipes majoritairement sud-africaines, australiennes et néo-zélandaises.
En 2020, lorsque les liaisons intercontinentales ont été restreintes par la pandémie, les franchises de ces trois états ont organisé, faute de mieux, des tournois entre elles. Uniques représentants sud-américains, les Jaguares se sont retrouvés sans solution. "La pandémie a affecté le monde entier, mais rugbystiquement, elle a détruit l’Argentine", schématise Daniel Hourcade, sélectionneur de l'Argentine de 2013 à 2018. Les joueurs sont partis, et c'est logique. On ne peut pas leur offrir un niveau top." Les émoluments proposés dans le championnat local sont également sans commune mesure avec les salaires offerts en Europe.
"Lorsque les joueurs sont éparpillés dans le monde entier, c'est moins simple pour la sélection. Ils ont passé une partie de la préparation au Portugal, coupés de tout contact extérieur, car ils avaient besoin de se retrouver."
Jorge Ciccodicola, journaliste pour le média argentin Rugby Champagneà franceinfo: sport
La crise sportive couve également depuis le Mondial 2019, achevé dès les poules. L'arrivée du sélectionneur Michael Cheika, passé par le Stade français ou l'Australie, en mars 2022 a enclenché un nouveau cycle, marqué par un succès retentissant en Nouvelle-Zélande il y a un an (25-18), le premier de l'histoire sur les terres des Kiwis.
Et pourtant, les demies sont atteignables
Mais depuis, si l'on excepte une victoire anecdotique contre de faibles Espagnols, les Pumas n'ont gagné que deux de leurs 10 rencontres, d'un cheveu contre des nations pas plus avancées : l'Angleterre (30-29) – tiens, tiens – et l'Australie (34-31). Ce maigre bilan n'a pas grand-chose de réjouissant, mais pourrait paradoxalement suffire à atteindre le dernier carré.
Magie de ces poules héritées d'un autre temps, l'Argentine – comme, du reste, l'Angleterre – a l'horizon dégagé. Leur groupe C, avec des Japonais encore plus marqués par le Covid, des Samoans prometteurs mais sans référence et des Chiliens novices, est à leur portée. Ce petit monde croisera en quarts de finale une poule D encore plus déprimante, entre l'Australie et le pays de Galles, prétendus cadors aux abois, et les Fidji et la Géorgie, prétendants légitimes mais peu expérimentés. L'éventuel vainqueur du soir prendra ainsi une option significative vers des demi-finales aux allures de camouflet.
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