Rugby : ces matchs France-Nouvelle-Zélande que vous avez oubliés
Quart de finale entre Bleus et Blacks oblige, on va vous bassiner avec les exploits de 1999 et 2007. Pourtant, d'autres rencontres moins connues méritent le détour.
"Neuf fois sur dix, ils vont l'emporter. Il reste une fois." Si la statistique de Jean-Claude Skrela, le coach de l'équipe tombeuse des All Blacks en 1999, n'est pas tout à fait juste, le XV de France fait toujours figure de David face au Goliath néo-zélandais. Pour ne pas ressasser la demi-finale magique de 1999 ou le quart de finale héroïque de 2007, coup de projecteur sur ces matchs oubliés avant le quart de finale des hommes de Philippe Saint-André le 17 octobre.
1917, un match au cœur de la guerre
Match amical, le 8 avril 1917, victoire des All Blacks 40-0
La France et la Nouvelle-Zélande entretiennent une relation toute particulière. Le tout premier match international des Bleus s'est déroulé en 1906 face à une sélection kiwi, et non face au voisin anglais. Le manager néo-zélandais de l'époque, George Dixon, estimait que les Tricolores avaient "encore beaucoup à apprendre concernant les phases les plus fines de ce jeu", mais reconnaissait leur "vigueur", rapporte l'article New Zealand Perspectives on French Rugby (lien PDF).
Onze ans plus tard, l'état-major allié organise un match entre la France et la Nouvelle-Zélande pour remonter le moral des troupes et des populations civiles. La rencontre a lieu à distance respectable de la ligne de front, à Vincennes (Val-de-Marne), au printemps. Pour rassembler les joueurs, dispersés dans tout le pays, il faut obtenir l'accord de vingt-trois généraux.
La rencontre se solde par une victoire sans appel des Blacks (40-0), qui ont surtout impressionné le public avec un haka qui paraît un rien ridicule par rapport à ceux d'aujourd'hui. Les joueurs français ont, eux, été acclamés à leur entrée sur le terrain, képi vissé sur le crâne. Malgré l'ampleur du score, la revue Rugby tresse des lauriers à l'arrière tricolore Roger Béchade, "le meilleur joueur français sur le terrain". Quelques jours plus tard, il perd la vie lors de l'offensive du Chemin des Dames, raconte La lettre du Chemin des Dames en avril 2014.
Un autre joueur de cette rencontre a perdu la vie au front. Le capitaine des All Blacks, Dave Gallaher, est mort lors de la bataille de Passchendaele, en Belgique. Comme 95% des rugbymen du pays du long nuage blanc, il s'était porté volontaire pour le premier conflit mondial, qui se déroulait à 20 000 km de chez lui. Il a donné son nom au trophée mis en jeu à chaque match entre les Français et les Néo-Zélandais depuis 2000.
1986, la "bataille de Nantes"
Match amical, le 15 novembre 1986, victoire des Bleus 16-3
Les Français ont remporté leur première victoire en 1954 contre les All Blacks, mais accumulent un lourd passif contre les Néo-Zélandais. Après une défaite à Paris une semaine plus tôt, une rencontre est programmée à Nantes le 15 novembre 1986. Les All Blacks tombent dans un véritable traquenard, contre des Français le couteau entre les dents. Et des amphétamines dans l'organisme, affirme un ex-docteur des Bleus dans le livre de Pierre Ballester Rugby à charges.
Les Blacks de l'époque ne sont pas dupes face à cette équipe française métamorphosée. "Quand je suis sorti du vestiaire, je leur ai fait face, et j'ai remarqué que leurs yeux étaient énormes, comme s'ils étaient sous amphèts depuis plusieurs heures, raconte Wayne "Buck" Shelford à Stuff.co.nz (en anglais). Ils planaient complètement. Je ne peux pas le prouver. Cela dit, ils ont très bien joué, même si c'était le match le plus physique que j'aie jamais joué." Pour sa deuxième sélection, Buck Shelford a droit à un traitement de faveur. Il perd quatre dents sur un premier choc, et se fait déchirer le scrotum par un crampon tricolore. "Mon testicule pendait, dix centimètres en-dessous", raconte-t-il des années plus tard.
Héroïque – ou totalement inconscient, c'est selon –, il se fait recoudre aussitôt sur le terrain (on peut le voir furtivement sur la vidéo ci-dessous), mais ne termine pas la rencontre, victime d'un K.-O. "Je ne me rappelle plus ce match", confie-t-il après la rencontre. Ses coéquipiers, eux, s'en souviendront longtemps.
Les Français, qui effectuent un tour d'honneur à la fin du match, pensent alors avoir pris l'ascendant psychologique sur un autre favori, à six mois de la Coupe du monde. Grossière erreur, comme le montrera la finale du Mondial l'année suivante.
1987, la revanche du "Rainbow Warrior"
Finale de la Coupe du monde, le 20 juin 1987, victoire des Blacks 29-9
C'est peu dire que le contexte est pesant lors de la finale de la toute première Coupe du monde, en 1987. Les Néo-Zélandais ont à reconquérir leur opinion publique qui leur est devenue franchement hostile après la participation de plusieurs joueurs à une tournée en Afrique du Sud, au plus fort de l'apartheid. Politiquement embarrassant et éthiquement répréhensible, alors que le voyage était grassement rémunéré, en ces temps d'amateurisme roi. Le Premier ministre néo-zélandais, le travailliste David Lange, décide ainsi de boycotter tous les matchs de l'équipe nationale. Assez impensable aujourd'hui. "Pour vous donner une idée de l'ambiance de l'époque, les joueurs ne descendaient pas dans la rue avec le survêtement à la fougère argentée des Blacks. Ils avaient peur d'être pris à partie", raconte le sélectionneur Brian Lochore à la BBC.
Heureusement, en finale, c'est le meilleur ennemi français qui se présente. La rivalité n'est pas que sportive. L'affaire du Rainbow Warrior, le navire de Greenpeace coulé par deux agents de la DGSE capturés ensuite, vient de s'achever sur un compromis diplomatique. La Nouvelle-Zélande annule un gros contrat avec la France, qui récupère ses deux agents, raconte le New Zealand Herald. Idéal pour galvaniser les supporters. Les joueurs néo-zélandais n'ont pas besoin d'être motivés. Le journaliste Ian Borthwick écoute à la porte du vestiaire kiwi et retranscrit la causerie d'avant-match : "Vous vous souvenez de Nantes ? Ça vous fait toujours mal ?" éructe le demi de mêlée David Kirk. Après la défaite 29-9, les Français découvriront cette inscription dans le vestiaire des All Blacks : "REMEMBER NANTES".
1995, la grève de Philippe Saint-André
Match amical, le 11 novembre 1995, victoire des Bleus 22-15
Ce 11 novembre 1995, l'ambiance n'est pas vraiment à l'armistice au sein de l'équipe de France. Les joueurs sont entrés en guerre contre le président de la fédération, Bernard Lapasset. Officiellement pour une sombre histoire de prime de match et de places pour les matchs alloués à chaque joueur. Le conflit porte en fait sur une question de fond : ils reprochent à Lapasset d'avoir décidé tout seul que la France refusait la professionnalisation du rugby.
Les meneurs de la grève sont le capitaine Philippe Saint-André et Laurent Bénézech, qui décident de sécher la réception d'avant-match, à la mairie de Toulouse. En ce jour d'actualité creuse, la fronde des Bleus devient un évènement national. Le manager général de l'équipe, André Herrero, démissionne dans les deux heures suivant le communiqué des joueurs, en dénonçant "un groupe de joueurs égoïstes, non représentatifs de l'état d'esprit du rugby français", rapporte Libération.
Mais le front n'est pas uni : si Bénézech est partisan d'une ligne dure, Saint-André craint pour sa place, alors que la fédération menace de "couper la tête des meneurs". Bénézech dénonce cette posture dans son livre, Rugby, où sont tes valeurs ? : "Philippe Saint-André était notre capitaine, mais il était planqué sous le lit à appeler Bernard Lapasset pour sauver sa peau."
Sur le fond, les joueurs l'emporteront, mais, pour l'exemple, Bénézech ne sera plus jamais rappelé chez les Bleus. Philippe Saint-André offre, lui, la victoire de prestige aux Tricolores (22-15) grâce à un essai à huit minutes de la fin face à des All Blacks pas spécialement motivés, et dont la propension à se balader nus dans les couloirs de leur hôtel fait les choux gras de La Dépêche du midi. La campagne menée par certains joueurs néo-zélandais contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, décidés par Jacques Chirac quelques semaines plus tôt, est à peine évoquée.
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