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Des utilisateurs de Tik Tok et des fans de K-pop ont-ils "trollé" le meeting de Donald Trump à Tulsa ?

Des utilisateurs du réseau social ont réservé en masse des billets pour le meeting du président américain, afin de donner l'impression d'une très forte affluence attendue. Le candidat comme son équipe se sont réjouis de ces réservations, mais lorsque le républicain a pris la parole, la salle était loin d'être pleine.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le président américain Donald Trump en meeting, le 20 juin 2020, à Tulsa (Oklahoma).  (NICHOLAS KAMM / AFP)

Lorsqu'il rentre dans sa Maison Blanche dimanche 21 juin au soir, sous l'œil de la caméraDonald Trump a les traits tirés et l'air contrarié. Son col de chemise ouvert est taché de fond de teint. Sa sempiternelle cravate rouge défaite pend le long de sa veste. Le président américain revient de Tulsa (Oklahoma), où il a tenu la veille son premier meeting depuis le coup d'arrêt imposé par l'épidémie de coronavirus à la campagne présidentielle américaine.

Le républicain tenait à organiser un grand rassemblement comme il en raffole, en dépit du risque sanitaire, afin de relancer la course à sa réélection, mal engagée en plein mouvement de protestation contre le racisme et les violences policières. Mais la foule escomptée n'a pas été au rendez-vous pour écouter son discours virulent et décousu de près de deux heures.

Le milliardaire aurait-il été victime d'un coup monté ? Des utilisateurs de Tik Tok, le réseau social chinois chéri des adolescents, et des fans de K-pop, cette musique incarnée par des boys bands sud-coréens au succès planétaire, affirment avoir piégé l'occupant du Bureau ovale. Leur revendication est-elle crédible ?

Trump espérait "une foule record" 

Avant d'assister aux meetings de leur champion, les partisans de Donald Trump sont invités à réserver un ticket gratuitement, soit sur le site du candidat*, soit sur son application mobile* par un simple message. Le billet n'est toutefois pas exigé à l'entrée du meeting, où les premiers arrivés sont les premiers servis. Mais ces demandes de billets donnent à l'équipe de campagne une idée du nombre de participants attendus. Cela lui permet aussi d'augmenter sa base de données, explique CNN*.

Une semaine avant le rassemblement de Tulsa, l'équipe de campagne de Donald Trump a battu le rappel des troupes sur Twitter*. Le directeur de campagne, Brad Parscale, s'est enflammé dans un tweet*. Le compteur de réservations était en train de s'emballer. Il est passé de 200 000 à 300 000 puis 800 000 en trois jours à peine. Le candidat s'est lui aussi réjoui dans un tweet* que "près d'un million de personnes" aient déjà demandé leur billet pour l'événement, et il a clamé publiquement s'attendre à "une foule record"

A peine 6 200 personnes selon les pompiers

A Tulsa, le camp Trump n'a cependant réservé que le Bank of Oklahoma Center : une salle omnisports d'une capacité de 19 000 places seulement. Samedi soir, lorsque Donald Trump monte sur scène, les tribunes sont loin d'être pleines. Tim Murtaugh, le directeur de la communication du candidat, assure sur Twitter* que 12 000 personnes sont passées à travers les portiques des détecteurs de métaux à l'entrée du BOK Center. Les pompiers de la ville, cités par le site d'information The Hill*, n'ont, eux, dénombré que 6 200 participants tout au plus.

Le président américain Donald Trump en meeting le 20 juin 2020 à Tulsa.  (NICHOLAS KAMM / AFP)

Le camp Trump pense avoir trouvé les responsables de cet échec. Il affirme que des manifestants hostiles au président ont bloqué les portes, empêchant ses partisans, en particulier les familles avec enfants, d'entrer dans la salle. Une version défendue à l'unisson par l'influente conseillère de l'équipe, Mercedes Schlapp, sur le plateau de Fox News*, par Tim Murtaugh* dans le très conversateur Washington Timesou par Brad Parscale sur Twitter*.

Ce dernier ajoutant* au passage que les protestataires ont été "alimentés par une semaine de couverture médiatique apocalyptique", toute tournée vers le mouvement Black Lives Matter et la pandémie de Covid-19. De quoi, sous-entend-il, refroidir les ardeurs des fans du président. Si les journalistes présents samedi à Tulsa ont bien vu l'imposant dispositif policier et militaire déployé autour du BOK Center, ils n'ont en revanche assisté à aucun blocage majeur aux entrées.

Une action lancée par une Américaine de 51 ans 

Une autre explication est avancée sur les réseaux sociaux. Le meeting de Tulsa aurait fait les frais d'une campagne d'enfumage, lancée une semaine avant l'événement sur Tik Tok par une utilisatrice qui n'a pas vraiment le profil type des tiktokers : Mary Jo Laupp, 51 ans – alias "TikTokGrandma" –, originaire de l'Iowa, et qui a travaillé sur plusieurs rassemblements pour la campagne de Pete Buttigieg pendant la primaire démocrate

Le 11 juin au soir, la quinquagénaire poste une vidéo à l'écho inattendu. Elle dénonce le jour et le lieu choisis pour organiser le meeting de Donald Trump. Le "Juneteenth", le "Jour de l'émancipation" des derniers esclaves afro-américains le 19 juin 1865 au Texas ; et à Tulsa, ville où furent massacrés 300 citoyens noirs par une foule blanche en deux jours à peine en 1921. 

Mary Jo Laupp fait une suggestion : "Je recommande à tous ceux d'entre nous qui veulent voir cet auditorium de 19 000 places à peine rempli ou complètement vide d'aller réserver des billets maintenant, et de le laisser là seul sur la scène." En une nuit, sa vidéo devient virale, totalisant plus de 2 millions de vues. "Quand je me suis réveillée, j'ai été sidérée", confie l'Américaine au site The Daily Dot*

@maryjolaupp

Did you know you can make sure there are empty seats at Trump’s rally? ##BLM.

♬ original sound - maryjolaupp

Dans les dizaines de milliers de commentaires sous la vidéo, beaucoup prennent Mary Jo Laupp au mot et plaisantent. "J'ai accidentellement pris quatre billets mais j'ai oublié que je dois passer l'aspirateur ce jour-là", glisse l'un. "Oh non les gars ! J'ai réservé deux billets et je viens de réaliser que je dois promener mon poisson ce jour-là", ajoute un autre. Le même type de messages circule sur Twitter (ici* ou *). 

De jeunes utilisatrices de Tik Tok se filment devant leur demande de billet dûment complétée (ici, ici ou *). Une autre appelle* dans une vidéo à plus de 100 000 mentions "j'aime" les fans de BTS, l'un des principaux groupes de K-pop, à se mobiliser, comme ils l'ont déjà fait en soutien au mouvement Black Lives Matter, notamment en saturant une application de la police de Dallas pour la rendre inutilisable. Compte tenu des commentaires qu'elle a reçus sur Tik Tok, Mary Jo Laupp estime, citée par le New York Times*, qu'au moins 17 000 demandes de tickets ont été enregistrées à la suite de sa vidéo.

Des sièges vides lors du meeting du président américain Donald Trump à Tulsa (Oklahoma), le 20 juin 2020.  (WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP)

"L'action s'est propagée sur le Tik Tok alternatif"

Pendant que Donald Trump et son équipe se félicitent du nombre prodigieux de billets demandés, des internautes rient sous cape. "Le fait que Brad Parscale se vante d'avoir 800 000 personnes inscrites au meeting de Trump sans se rendre compte que 99% d'entre elles se sont inscrites pour un défi Tik Tok est tout simplement hilarant", s'amuse l'un*. "J'ai tout un groupe de personnes qui commandent des billets en ligne pour gonfler ses chiffres et lui donner une fausse impression de fréquentation. Quand il n'y aura personne, on va bien rigoler", tweete un autre*.

Le youtubeur Elijah Daniel a livré au New York Times quelques détails sur l'organisation de cette opération d'enfumage à laquelle il a pris part. "Cela s'est propagé principalement à travers le Tik Tok alternatif. On a gardé ça du côté discret, là où les gens font des canulars et de l'activisme, raconte-t-il. Le Twitter K-pop et leTik Tok alternatif s'entendent bien et sont capables de partager l'information entre eux très rapidement. La plupart des gens qui ont fait [des posts sur l'action en préparation] les ont supprimés après le premier jour, parce qu'on ne voulait pas que l'équipe de Trump ait vent de ça."

Des supporters du président américain Donald Trump lors d'un meeting le 20 juin 2020 à Tulsa.  (NICHOLAS KAMM / AFP)

"Nous avons sans cesse éliminé les faux numéros"

Le camp Trump se refuse à croire que ce complot sur Tik Tok a eu une incidence sur la participation. Dans un communiqué furieux*, Brad Parscale se défend en soulignant que ses équipes vérifient toujours les numéros de téléphone des demandes de billets et que les entrées au meeting sont attribuées par ordre d'arrivée. "Vous inscrire à un meeting signifie que vous avez réservé avec un numéro de téléphone portable et nous avons sans cesse éliminé les faux numéros, comme nous l'avons fait avec des dizaines de milliers de personnes au meeting de Tulsa, pour calculer notre base de participants possible", argumente-t-il. Brad Parscale se demande aussi si cela vaut bien la peine d'accréditer des journalistes, qu'il accuse de ne pas faire leur travail. 

"Les gauchistes font ça tout le temps, martèle auprès de CNN Erin Perrine, directrice adjointe de la communication du candidat. Ils pensent que s'ils s'inscrivent pour ces billets, ils laisseront des sièges vides. Pas du tout. (…) Tout ce qu'ils font, c'est nous donner accès à leurs informations personnelles." Le directeur de la campagne numérique de Donald Trump, Gary Coby, a, lui, préféré compter les spectateurs qui auraient assisté virtuellement au meeting. Dans son dernier décompte*, il en dénombrait 10,1 millions.

"Leur fournir de fausses informations était un bonus"

Dans les commentaires laissés sous la vidéo de Mary Jo Laupp, des utilisateurs de Tik Tok ont discuté de la meilleure manière de procéder pour que le camp Trump ne puisse pas remonter jusqu'à eux. Certains ont suggéré de se servir d'un numéro Google Voice, d'autres ont proposé de passer par une ligne téléphonique connectée à internet. Une manière là encore d'enfumer leurs opposants. "Nous savons tous que la campagne Trump se nourrit de données, ils exploitent en permanence ces rassemblements pour recueillir des données, accuse Mary Jo Laupp dans le New York Times. Leur fournir de fausses informations était un bonus."

Elle poursuit, enthousiaste : "Il y a des adolescents dans ce pays qui ont participé à cette petite manifestation de non-présentation, qui pensent qu'ils peuvent avoir un impact sur notre système politique même s'ils ne sont pas assez âgés pour voter."  

* Lien en anglais

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