: Vrai ou faux Crise énergétique : RTE a-t-il alerté dès 2019 sur les risques de coupures d'électricité à l'hiver 2022-2023 ?
Les tensions sur le réseau électrique cet hiver étaient-elles prévisibles, et ce depuis plusieurs années ? Anne Bringault, coordinatrice pour le regroupement associatif Réseau Action Climat, a pointé du doigt, mardi 20 décembre, qu'un rapport du Réseau de transport d'électricité (RTE) annonçait dès 2019 un risque de déficit sur le réseau électrique.
"A ceux qui semblent découvrir ces dernières semaines les tensions sur le système électrique : RTE avait déjà alerté en 2019 : 'Le diagnostic fait apparaître une période de forte vigilance à partir de 2021-2022'", fait-elle remarquer sur Twitter.
Alors, dit-elle vrai ou fake ? Que contient le rapport RTE de 2019 ? Franceinfo s'est branché sur le sujet.
"On savait qu'il allait y avoir plus de maintenance et plus d'arrêts cet hiver"
Dans sa synthèse du bilan 2019 (PDF), le gestionnaire du réseau mentionne effectivement "une période de forte vigilance à partir de la période 2021-2022", à la page 32. En 2019, RTE anticipait donc déjà des tensions sur le réseau électrique, en raison des "fermetures des dernières centrales au charbon" et d'un "retard de mise en service de l'EPR" de Flamanville (Manche), notamment.
De plus, il anticipait que cette période coïnciderait avec une baisse de la production du nucléaire liée à de "nombreuses visites décennales simultanées", nécessaires pour prolonger la durée de vie de plusieurs réacteurs. "Les centrales nucléaires atteignent 40 ans de fonctionnement, donc on savait qu'il allait y avoir plus de maintenance et plus d'arrêts cet hiver", précise RTE, contacté par franceinfo. Autre risque identifié dans le rapport de 2019 : "L'arrêt définitif de la production nucléaire en Allemagne et la fermeture de centrales au charbon dans de nombreux pays européens", ce qui pourrait limiter la possibilité d'importer de l'électricité depuis les pays voisins en cas de besoin.
Des leviers envisagés pour anticiper des coupures
Le Réseau de transport d'électricité alertait ainsi sur un déficit pouvant aller jusqu'à un gigawatt à l'hiver 2022-2023. Un déficit dû à des problèmes sur le parc nucléaire et à un retard dans le développement des énergies renouvelables, mais également aux fermetures des dernières centrales à charbon.
Ces fermetures sont cependant nécessaires pour que la France honore ses engagements en matière de transition écologique et de lutte contre le réchauffement climatique. RTE proposait à l'époque deux possibilités pour ne pas retarder la fermeture des centrales thermiques : accepter "un niveau de risque légèrement plus élevé" pour l'équilibre du réseau, ou alors mettre en place des leviers pour anticiper le problème.
Le premier levier se basait sur la "maîtrise de la consommation", c'est-à-dire le fait d'encourager les entreprises et les ménages à consommer moins d'électricité. Autre mesure proposée, l'"optimisation du positionnement et de la durée des arrêts de réacteurs nucléaires", autrement dit planifier les arrêts de réacteurs aux périodes de l'année où la consommation électrique est plus faible, l'été typiquement. Enfin, dernier levier envisagé par RTE, le "maintien en disponibilité ou conversion à la biomasse des groupes de Cordemais", en Loire-Atlantique, où se trouve une centrale thermique.
Avec la hausse des prix de l'énergie à l'automne 2022, le levier de "maîtrise de la consommation" porte ses fruits au-delà des espérances initiales de RTE. Sur les 30 derniers jours, au 18 décembre, la consommation électrique française est en baisse de 9% par rapport aux années précédentes, selon RTE.
Covid-19, corrosion et retard sur les énergies renouvelables
Tout comme l'explique Anne Bringault dans son fil de messages sur Twitter, le réseau électrique, déjà sous tension, a dû faire face à des difficultés supplémentaires et imprévues. La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a décalé la maintenance du parc nucléaire, déjà chargée, obligeant à mettre à l'arrêt plusieurs réacteurs en même temps. De plus, des problèmes de corrosion ont été découverts sur plus d'une dizaine de réacteurs en mai, entraînant leur fermeture. Autant d'imprévus qui ont empêché l'optimisation des arrêts de réacteurs nucléaires, comme le préconisait RTE.
Pour ce qui est du maintien ou de la reconversion de la centrale de Cordemais, ce levier a bien été activé. La centrale, qui aurait dû fermer en 2022, a finalement repris du service. Mais celle-ci fonctionne encore au charbon, sa reconversion vers la biomasse reste encore à l'étape de projet. Un échec pour la politique de transition écologique de la France car le pays ne passera pas l'hiver sans charbon. D'autant plus qu'une autre centrale à charbon a repris du service : celle de Saint-Avold, en Moselle.
Le ministère de la Transition énergétique, contacté par franceinfo, assure cependant qu'une compensation des émissions de gaz à effet de serre sera effectuée pour "chaque tonne de CO2 émise au-delà des seuils usuels", conformément à la loi pouvoir d'achat adoptée en août 2022. Ces compensations carbone doivent avoir lieu "sur le territoire français", elles peuvent concerner "le renouvellement forestier, le boisement, l'agroforesterie...", énonce la loi pouvoir d'achat.
Ce recours aux énergies carbonées aurait pu être évité par le développement des énergies renouvelables, selon Anne Bringault. Elle critique en effet ce manque d'investissement de la France, qui s'est fixé l'objectif d'atteindre 40% d'énergies renouvelables dans son mix énergétique d'ici à 2030. Problème : en 2021, seulement 22,5% de la production d'électricité étaient issus d'une source d'énergie renouvelable, selon le bilan électrique national de RTE.
De son côté, le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher assure que le gouvernement encourage le développement des énergies renouvelables par tous les moyens possibles. Notamment en soutenant le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables dont le vote est prévu le 10 janvier à l'Assemblée. Ce projet de loi, déjà adopté au Sénat, a pour objectif de se doter d'outils administratifs pour accélérer le développement de l'éolien et du solaire.
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