Vrai ou faux Est-il possible de "baisser la TVA sur l'énergie", comme l'affirme Jordan Bardella ?

S'il est autorisé de baisser la TVA sur le gaz et l'électricité, ce n'est pas le cas pour le carburant. Pour ce faire, le RN compte demander à l'UE une dérogation, impossible à obtenir selon le droit européen actuel.
Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Une station-essence à Auch (Gers), le 4 octobre 2023. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP)

RECTIFICATIF. Nous avions écrit dans une première version de cet article que la Pologne avait obtenu une dérogation pour baisser sa TVA. Contactée, la Commission européenne a démenti et précisé qu'il s'agissait d'une dérogation sur les droits d'accises, un autre impôt indirect. Nous avons mis à jour notre article et présentons nos excuses à nos lecteurs.

C'est l'une des mesures économiques phares du RN pour les législatives. Lors de la présentation de son programme, lundi 24 juin, Jordan Bardella a de nouveau promis de baisser la TVA sur les produits énergétiques (électricité, gaz, fioul et carburants) de 20% à 5,5%, à travers un projet de loi de finances rectificative. "Il est parfaitement possible de baisser la TVA sur l'énergie en Europe. L'Allemagne l'a fait, la Pologne l'a fait", a déclaré le président du Rassemblement national.

Alors que la facture de gaz doit augmenter de près de 12% au 1er juillet, le RN promet ainsi de "protéger le pouvoir d'achat des Français". Cette baisse de la TVA sur l'énergie était déjà portée par Marine Le Pen en 2022 et représente un coût pour les finances publiques estimé à 16,8 milliards d'euros par Bercy, selon Le Parisien. Alors, le RN pourrait-il vraiment tenir sa promesse ?

Interrogé vendredi 21 juin sur RTL, le député RN Jean-Philippe Tanguy a détaillé comment le parti comptait s'y prendre. Il faudra d'abord demander une "dérogation temporaire" de la part de la Commission européenne pour appliquer la mesure "dès cet été". "Il y a eu un changement de directive en 2022 qui permet au gaz et à l'électricité d'être reconnus comme des produits de première nécessité (...) Là où la négociation est plus ardue, c'est sur le carburant", admet le député sortant de la 4e circonscription de la Somme et expert économique du RN. Il a évoqué la nécessité de mettre en place un "rapport de force".

La directive européenne de novembre 2006 (lien PDF) sur la TVA permet à tout Etat membre d'appliquer un taux réduit d'au moins 5% "aux fournitures de gaz naturel, d'électricité et de chauffage urbain". Elle fixe aussi, dans son annexe III, la liste des biens et services pouvant bénéficier de ce taux réduit, comme les denrées alimentaires ou la distribution d'eau. "L'interdiction [d'appliquer une TVA réduite] est générale, et la liste ouvre des permissions. Le carburant ne figure pas dans les permissions", précise Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l'université de Picardie Jules Verne (UPJV) et journaliste de fact-checking juridique aux Surligneurs. Le carburant n'étant pas mentionné dans cette annexe, il est donc illégal d'abaisser sa TVA au-delà du taux "normal" de 15% fixé par cette même directive.

Un droit européen qui s'adapte aux crises

Depuis, cette directive a évolué, notamment pour faire face aux situations de crise. "Elle a été modifiée en 2020, avec l'ajout des masques et des gels hydroalcooliques à la liste de produits pouvant bénéficier d'une TVA réduite, dans le contexte de la pandémie de Covid-19", relève le juriste. Une autre directive d'avril 2022 vient réviser celle de 2006, instaurant la possibilité pour les Etats membres d'exonérer de la TVA certains biens et services "couvrant des besoins fondamentaux", explique la Commission européenne.

La liste des biens et services pouvant bénéficier de taux réduits est mise à jour : elle inclut désormais la "livraison d'électricité, de chauffage urbain et de refroidissement urbain et le biogaz". Selon Guillaume Baticle, la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine est passée par là. Le "gaz naturel et le bois de chauffage" figurent aussi dans la liste, mais jusqu'en 2030. Ainsi, "la proposition du RN [de baisser la TVA] sur l'électricité et le gaz ne pose pas de problème", estime le doctorant en droit.

Toutefois, les réductions et exonérations ne s'appliqueront plus pour les produits jugés "préjudiciables à l'environnement" d'ici à 2030 pour les combustibles fossiles et d'ici à 2032 pour les pesticides et engrais chimiques, précise la nouvelle directive. L'Europe s'est donné comme objectif, avec le Pacte vert, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'UE de 55% d'ici à 2030 et à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

"Pas de dérogation possible sur la TVA"

Pourtant, le RN a bon espoir d'obtenir gain de cause sur le carburant, en s'inspirant de l'exemple polonais. "Comme la Pologne, on aura une dérogation temporaire. Ce qui est difficile, c'est [d'obtenir] une dérogation définitive", a admis Jean-Philippe Tanguy sur RTL. En 2022, Varsovie a décidé d'abaisser sa TVA sur les carburants de 23% à 8%, dans le cadre d'un plan anti-inflation, rapporte l'Agence internationale de l'énergie. Interrogé par franceinfo, un fonctionnaire européen dément que l'UE ait accepté une baisse de la TVA sur les carburants polonais.

La Pologne a cependant obtenu une dérogation pour appliquer un taux réduit sur les droits d'accises (un autre impôt indirect sur la consommation) "au fioul lourd, au gaz naturel, au charbon et au coke utilisés comme combustibles de chauffage" sur toute l'année 2023, a annoncé Bruxelles sur son site, sur fond de crise énergétique et d'inflation galopante. En effet, l'article 19 de la directive de 2003 sur la taxation de l'énergie dans l'UE dispose que "le Conseil, statuant à l'unanimité (...), peut autoriser un Etat membre à introduire des exonérations ou des réductions supplémentaires pour des raisons de politique spécifiques".

"Pour la TVA sur les carburants, c'est le taux normal qui s'applique, à savoir 15% minimum", précise le fonctionnaire européen, soulignant qu'"il n'y a pas de dérogation possible sur la TVA". Selon cette source, les seuls produits pouvant bénéficier d'une TVA réduite sont ceux mentionnés à "l'annexe III de la directive sur la TVA, qui a été approuvée à l'unanimité par les Etats membres et qui est en vigueur depuis avril 2022".

Par ailleurs, une dérogation définitive sur les carburants est incompatible avec la directive de 2022, qui prévoit une échéance à 2030 pour la taxation réduite des énergies fossiles. Il faudrait, dans ce cas, mettre en place une nouvelle directive. "Si l'UE définit le fait de se déplacer comme une première nécessité, alors on peut négocier sur les carburants. Mais là encore, il faut que les 26 autres Etats membres soient d'accord", prévient Guillaume Baticle. En clair, seule une partie de la promesse du RN peut s'appliquer en vertu du droit européen actuel : une TVA réduite sur le gaz et l'électricité.

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