: Vrai ou faux Législatives 2024 : Jordan Bardella peut-il refuser d'être nommé Premier ministre en cas de majorité relative ?
Après avoir temporisé sur plusieurs mesures emblématiques de son parti pour la campagne des élections législatives, Jordan Bardella pose les conditions à son entrée à Matignon : "Si demain, je suis en capacité d'être nommé à Matignon et que je n'ai pas de majorité absolue (...) eh bien, je refuserai d'être nommé", a-t-il déclaré mardi 18 juin sur France 2. "Je ne vais pas vendre aux Français des mesures où des actions que je ne pourrai pas mener, je leur dis la vérité", a justifié le chef de file du Rassemblement national, mardi matin, sur CNews.
Un message avant tout adressé aux électeurs du RN : "Il faut nous donner cette majorité absolue, sinon on se retrouve coincés", a plaidé Sébastien Chenu, vice-président du parti, sur franceinfo. "Il y a de moins en moins de programme et de plus en plus de conditions. Ça commence à ressembler à un refus d'obstacle", a ironisé Gabriel Attal, également sur franceinfo.
En cas de victoire du RN aux élections législatives, le choix du Premier ministre s'annonce complexe. Pour disposer d'une majorité absolue, le parti d'extrême droite doit obtenir 289 sièges à l'Assemblée nationale. Jordan Bardella peut-il renoncer à ce poste s'il n'atteint pas ce seuil ? Franceinfo a interrogé plusieurs professeurs en droit public.
Avec cette déclaration, le RN fait passer le message "qu'il va être empêché de gouverner" en cas de majorité relative, estime Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l'université de Poitiers. "Il devra composer avec l'Assemblée, renoncer à ses réformes les plus clivantes. Emmanuel Macron aura réussi son pari, à savoir montrer aux électeurs que le RN n'apporte rien de spécial, pas de rupture. Le RN ne veut pas être confronté à cette situation. Il veut avoir toutes les manettes pour agir, sinon rien", analyse le chercheur.
Dans les faits, le président de la République peut nommer qui il veut comme Premier ministre, au regard de l'article 8 de la Constitution, mais la coutume veut que le nouveau chef de gouvernement soit une figure du parti majoritaire à l'issue des élections législatives. Si le RN obtient une majorité à l'Assemblée nationale, qu'elle soit relative ou absolue, Jordan Bardella, président du parti, fait bien partie des choix qui s'offrent au chef de l'Etat.
Et si Jordan Bardella refuse d'accéder à Matignon, comme il l'a annoncé ? "D'un strict point de vue juridique, la Constitution n'impose pas à la personne nommée Premier ministre d'accepter le poste", confirme Bertrand-Léo Combrade.
"La réponse est très claire, Jordan Bardella peut refuser d'être Premier ministre."
Bertrand-Léo Combradeprofesseur de droit public
Ce ne serait pas une première, sous la Ve République : en mai 2022, la députée socialiste Valérie Rabault avait affirmé avoir refusé de succéder à Jean Castex. Toutefois, refuser pour le motif invoqué par Jordan Bardella serait "inédit", selon Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maîtresse de conférences en droit public à l'université de Rouen : "C'est une forme de pression sur ses électeurs pour obtenir le plus de voix – un peu comme le faisait De Gaulle avec ses menaces de démission", analyse-t-elle.
Un "casse-tête" en cas de majorité relative
Et même si le chef de file RN acceptait Matignon en disposant d'une majorité relative, il ne tiendrait pas longtemps, relève Bertrand-Léo Combrade : "Il ferait sa déclaration de politique générale et l'Assemblée nationale le renverserait aussitôt [par une motion de censure] avec les voix des macronistes [camp présidentiel] et du Nouveau Front populaire [coalition de gauche]. Bien qu'ils se détestent, ils sont probablement d'accord pour que Jordan Bardella ne soit pas Premier ministre."
Ainsi, quels sont les scénarios possibles, si Jordan Bardella refuse d'être nommé Premier ministre, et par conséquent, de gouverner ? "En cas de majorité très relative", c'est-à-dire si aucune des principales forces politiques présentes à l'Assemblée nationale ne se distingue par son nombre de sièges, il faudra s'orienter vers un choix "plus consensuel" que celui de Jordan Bardella, estime Anne-Charlène Bezzina. Emmanuel Macron va "devoir nommer un autre Premier ministre qui aura la confiance d'un autre parti de l'Assemblée Nationale, ou plutôt, celle d'une coalition de partis", anticipe de son côté Bertrand-Léo Combrade.
Trois combinaisons sont possibles : il peut s'agir d'un Premier ministre ayant la confiance "du RN et du Nouveau Front populaire" (NFP), "du RN et des macronistes", ou "des macronistes et du NFP", l'option la plus probable selon le chercheur. Si aucun accord n'aboutit sur la proposition d'un chef de gouvernement, le Conseil d'Etat prévoit "l'expédition des affaires courantes" : en attendant la nomination d'un nouveau gouvernement, les équipes actuelles des ministères poursuivent leurs missions quotidiennes. "Le gouvernement [en place avant les élections] devra continuer à appliquer les réformes adoptées mais ne pourra plus en adopter de nouvelles. Au bout d'un an, le président devra dissoudre l'Assemblée nationale", détaille Léo-Bertrand Combrade.
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