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Vrai ou faux "Tapie" : on a vérifié si la série Netflix était fidèle à la réalité

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 12min
Laurent Lafitte incarne Bernard Tapie dans la série "Tapie", disponible sur Netflix depuis le mercredi 13 septembre. (NETFLIX)
Si la série avec Laurent Lafitte dans le rôle de l'homme d'affaires reflète plutôt bien la forte personnalité de l'ancien président de l'OM, elle mélange à plusieurs reprises faits réels et fiction. Franceinfo vous aide à démêler le vrai du faux.

Chanteur, comédien, homme d'affaires, ministre, patron de club de foot... Le destin hors norme de Bernard Tapie a inspiré la mini-série française Tapie, sortie mercredi 13 septembre sur la plateforme de streaming Netflix. Mais leurs auteurs ont fait le choix, dans cette œuvre "librement inspirée de faits réels", de donner la part belle à la fiction. "Sur les sept heures de série, il n'y a qu'une demi-heure de vérité", dénonce un ancien collaborateur de "Nanard" – incarné par Laurent Lafitte à l'écran – auprès de franceinfo. "Il a raison, abonde Laurent Tapie, fils de l'homme d'affaires, mort en 2021. Ce qui m'énerve, c'est que les spectateurs ne sauront jamais si les faits se sont produits ou pas."

Comme tous les proches de Bernard Tapie, il n'a pas été associé à l'écriture de la série. Le réalisateur Tristan Séguéla, fils du publicitaire Jacques Séguéla, a expliqué à franceinfo vouloir "préserver sa liberté" de narration. Olivier Demangel, scénariste de Tapie, a précisé à l'AFP qu'il considérait ces sept épisodes comme une "interprétation du personnage et de sa trajectoire". Face à ce mélange assumé entre réalité et fiction, franceinfo revient sur sept scènes marquantes de la série et évalue leur degré de véracité.

Attention, cet article révèle des éléments de l'intrigue de la série.

Dominique Tapie tirait de nombreuses ficelles : faux

Netflix avertit le spectateur au début de chaque épisode : "On reconnaîtra dans le parcours du héros des faits déjà connus du public. Au-delà, le rôle joué par l'entourage, et notamment par le personnage de Dominique, les situations de vie privée et les dialogues sont fictionnels." Dans la vraie vie, Dominique Tapie, 73 ans aujourd'hui, a cotoyé l'homme d'affaires pendant 52 ans. Mais jusqu'à quel point le personnage incarné par Joséphine Japy est-il fidèle à la réalité ? 

"Il y a un rapport sur le plan physique. Ma mère lui ressemblait et s'habillait de la même façon. Mais elle n'était pas une femme d'affaires. Elle n'organisait rien, ni ne négociait", se souvient Laurent Tapie. Dans la série, Dominique conseille son mari sur ses prises de décision et va jusqu'à mener un audit sur l'état des finances du groupe. "La série donne l'impression que c'est elle qui le dirige", juge un très proche ex-collaborateur de Bernard Tapie.

"C'était une femme remarquable. Mais elle ne participait pas et ne prenait pas la parole aux réunions politiques ou industrielles."

Un ancien proche collaborateur de Bernard Tapie

à franceinfo

La série vise juste, en revanche, lorsqu'elle montre la réticence de Dominique Tapie face aux aspirations politiques de son conjoint : "Ma mère était contre le fait qu'il s'engage. Elle n'était pas contente, car il n'en faisait quand même qu'à sa tête", se remémore Laurent Tapie.

Il a sauvé la vie d'un patient cardiaque : faux

"Certaines histoires ont été racontées différemment. (...) Pour Cœur-Assistance, ils ont été gentils avec lui", juge le journaliste Ian Hamel, auteur de C'était Bernard Tapie et Notre ami Bernard Tapie (éd. L'Archipel). Ce service privé d'urgences pour les patients cardiaques a bien existé, il a même été fondé par Bernard Tapie. Dans la série, un abonné à Cœur-Assistance échappe de peu à la mort lors qu'un urgentiste est indisponible. C'est l'homme d'affaires en personne qui se déplace et prodigue un massage cardiaque. L'homme est finalement conduit à l'hôpital et le médecin assure par la suite qu'"il va s'en sortir".

Là encore, la série de Netflix prend ses libertés avec la réalité, beaucoup moins favorable à l'homme d'affaires. Car un patient qui avait souscrit au service Cœur-Assistance est mort en 1976 sans pouvoir recevoir de soins, remarque Le Monde. Dans sa nécrologie, le quotidien rappelle que Bernard Tapie a été condamné à un an de prison avec sursis en 1981 pour "publicité mensongère" et "infraction aux lois sur les sociétés" dans cette affaire, la société détenant moins d'ambulances qu'elle le prétend. Bernard Tapie bénéficiera d'une amnistie la même année, à la faveur de l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.

Bernard Tapie a tendu un piège à un concurrent : faux

Un ami aristocrate, présenté dans la série comme le mari d'une amie de Dominique Tapie, a-t-il vraiment été doublé par Bernard Tapie pour le rachat de l'entreprise française de piles électriques Wonder ? De la pure fiction. Un piège – dont la mise en scène est plutôt grotesque dans la fiction de Netflix – a-t-il été tendu à ce concurrent avec l'aide d'un faux émir de Dubaï ? Pure fiction, également. Laurent Tapie et l'ex-collaborateur de son père sont catégoriques : ces scènes n'ont jamais existé.

L'homme d'affaires n'a pas eu besoin de s'en remettre à de telles mises en scène pour parvenir à ses fins. "Son seul objectif était de faire en sorte que le tribunal de commerce le choisisse comme repreneur au détriment de tous les autres. Tapie arrivait à vous convaincre en 14 secondes", se souvient son ancien bras droit. Bernard Tapie était en effet connu pour racheter des entreprises en difficulté à bas prix, les remettre à flot et les revendre ensuite. Pour Wonder, il réalise une plus-value de 73 millions d'euros.

Il a négocié avec la CGT dans les coulisses d'une émission de télé : faux 

Dans la série, des militants de la CGT interrompent une répétition d'émission télévisée de Bernard Tapie. Si ce programme, baptisé "Ambitions" dans la vraie vie, a bien existé, elle n'a jamais été marquée par des négociations avec les cégétistes, remontés contre l'homme d'affaires qui était en passe de racheter l'entreprise Wonder.

Mais de son vivant, Bernard Tapie "a été assez malin pour aller voir la CGT" dans le but de bien se faire voir auprès du personnel des entreprises qu'il rachetait, souligne Ian Hamel. "Il a longtemps affirmé qu'il était communiste", à l'instar de son père, ouvrier. "Quand il a parlé aux employés de l'entreprise Terraillon en Haute-Savoie, il s'est présenté comme communiste et cégétiste. Les syndicats sont assez sensibles à ça", illustre le journaliste.

Il a tenté de corrompre le juge dans l'affaire VA-OM : vrai

L'affaire VA-OM, "c'est la plus grosse erreur de sa vie", estime le fils de l'homme d'affaires. En 1993, l'Olympique de Marseille, à travers son directeur délégué Jean-Jacques Bernès, a ainsi tenté d'acheter trois joueurs de Valenciennes pour qu'ils "lèvent le pied" pendant un match, suscitant le plus gros scandale de corruption du foot français. L'objectif est de préserver les joueurs phocéens, six jours avant la finale de la Ligue des champions. Mais le Valenciennois Jacques Glassmann dénonce la manœuvre et une plainte est déposée par la Ligue professionnelle de football. Le procureur Eric de Montgolfier ouvre une information judiciaire.

La scène où le "Boss" tente de soudoyer le magistrat a bien eu lieu. "Bernard Tapie se serait présenté ce jour-là avec une valise pleine de billets, la démarche aurait été la même", témoigne aujourd'hui Eric de Montgolfier dans Marianne"Il a commencé en s'excusant du retard, qu'il était à l'Élysée dans le bureau du président de la République. Il a précisé qu'il était venu jusqu'à Valenciennes en jet privé et qu'une 'connaissance commune' lui avait dit qu'il pouvait me parler", se souvient-il.

Mais pendant cette audition, Bernard Tapie ne s'est montré ni "agressif" ni "menaçant", rectifie le juge. "Il était plutôt dans le registre ami-ami." Le magistrat dément lui avoir révélé des éléments de l'enquête et se défend de lui avoir fait la leçon, comme c'est le cas dans Tapie. "Ce qui me gêne dans la série, c'est le côté narquois de mon personnage", confie le juge à Marianne. Finalement, la stratégie de Bernard Tapie n'a pas été payante. En 1995, il est condamné à deux ans de prison, dont huit mois ferme, par la cour d'appel de Douai, pour complicité de corruption et subornation de témoins.

Il a été acclamé à son arrivée en prison : c'est plus compliqué

Condamné, l'ancien patron de l'OM rejoint la prison de la Santé à Paris en 1997, voyageant dans le coffre de son fils Stéphane pour échapper aux journalistes, selon Laurent Tapie. Dans la série, il arrive acclamé par les prisonniers et ouvre la fenêtre dans une cellule baignée de lumière. Or, dans les faits, "il n'avait aucun contact" avec les autres détenus puisqu'il était incarcéré "dans le quartier de haute sécurité", rectifie son fils.

"Il était dans une cellule sans fenêtre, avec allumage des lumières plusieurs fois par nuit pour vérifier qu'il ne s'était pas suicidé."

Laurent Tapie, fils de Bernard Tapie

à franceinfo

Inquiète des conditions de détention et du moral de son mari, Dominique Tapie a "remué ciel et terre pour qu'il soit transféré", allant jusqu'à interpeller le ministre de l'Intérieur de l'époque. Bernard Tapie est finalement transféré à la prison de Luynes, dans les Bouches-du-Rhone. "Ça n'avait rien à voir, car il était en contact avec les autres. C'est à Luynes que les prisonniers crient 'Tapie ! Tapie !' Les prisonniers du Sud le connaissent", assure son fils.

Il s'est marié avec Dominique après la victoire de l'OM en 1993 : faux

Une des scènes les plus romancées de Tapie est le mariage entre Bernard et Dominique. Dans la série, la cérémonie a lieu juste après la victoire de l'OM en Coupe d'Europe, en 1993, avec pléthore d'invités. En réalité, le mariage a eu lieu à Corfou, en Grèce, d'où est originaire Dominique Mialet-Damianos, en 1987, soit six ans avant le titre européen. La fête, plus intimiste, a lieu sur le Phocéa, le yacht de l'homme d'affaires, en présence d'un prêtre orthodoxe et de "cinq ou six couples", d'après l'ancien collaborateur de Bernard Tapie.

Dans la série de Netflix, en plein mariage, Bernard Tapie demande également son soutien à Robert Vigouroux, le maire de Marseille, afin de lui succéder à la tête de la cité phocéenne. Un mandat qui constituerait la dernière marche avant l'Elysée. Le scénario est totalement exagéré, selon son ex-bras droit.

"Le maire de Marseille n'aurait certainement pas été invité – ils se détestaient ! – et il ne serait pas venu."

Un ancien proche collaborateur de Bernard Tapie

à franceinfo

Et de conclure : "Bernard Tapie n'a jamais voulu être président de la République. Il était mégalo, mais pas à ce point-là." L'homme d'affaires a tout de même été ministre de la Ville par deux fois (entre 1992 et 1993 sous François Mitterrand), député des Bouches-du-Rhône de 1989 à 1996, député européen de 1994 à 1997, et conseiller régional de 1994 à 1995.

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