Le baccalauréat est-il un examen au rabais ?
Les réseaux sociaux se sont fait l'écho de certaines difficultés rencontrées par les élèves au bac. Faut-il voir dans ces protestations le syndrome d'une baisse du niveau des bacheliers plus inquiétante ?
Pétition sur le web, tweets rageurs, groupes Facebook en désarroi... Les réseaux sociaux se sont fait l'écho de certaines difficultés rencontrées par les élèves lors du baccalauréat 2015. La dernière en date : l'épreuve de physique-chimie de la filière S, jugée trop dure ou inadaptée par des élèves et des professeurs. Deux tiers des questions ont ainsi vu leur nombre de points attribués changer, pour éviter un naufrage.
Faut-il voir dans ces protestations lycéennes et cette modification du barème d'une épreuve le syndrome d'une baisse de niveau des élèves plus inquiétante ? Francetv info a posé la question à Serge Lacassie, président de l'association des professeurs de biologie et géologie, et enseignant dans un lycée d'Annecy (Haute-Savoie).
Francetv info : Plusieurs pétitions d'élèves dénoncent des exercices trop difficiles lors du bac cette année. Est-ce le signe que le niveau général des élèves a baissé ?
Serge Lacassie : Non, je ne pense pas, même s'il reste difficile d'évaluer le niveau général de façon absolue, car les choses ont beaucoup changé. En ce qui concerne ma discipline, les sciences et vie de la Terre (SVT), on étudie des choses très différentes d'il y a dix ou vingt ans. On les enseigne différemment, et les épreuves ne sont plus les mêmes. Les problématiques ont changé. En S, on demande aux élèves de réfléchir davantage qu'auparavant, et c'est souvent plus compliqué qu'une restitution opérationnelle d'exercices qu'ils ont déjà croisés au cours de leur scolarité.
Pour les SVT, on est passé d'une multiplicité de petites questions sur des documents à une question de synthèse, avec une problématique appliquée à plusieurs documents. Il faut que l'élève soit capable d'analyser tout ce qu'il a en main, de rédiger une réponse cohérente. Ce n'est pas facile. On leur demande des choses plus compliquées, notamment depuis la réforme Chatel de 2010.
Comment expliquer ces vagues d'indignation ?
Il y a toujours des couacs au niveau du bac. Parfois, c'est en maths, parfois en anglais, parfois en physique-chimie... A qui incombe cette responsabilité ? Aux concepteurs ? A l'Inspection générale, qui aurait mal relu les sujets ? Ce n'est pas à moi de le dire. Mais je pense que c'est aussi dû à un problème de fond. Les élèves de la France entière ont dans la tête quelque chose de faux, qui est que le bac c'est ultra simple et qu'on le donne à tout le monde. C'est totalement faux. Certes, le bac est un diplôme de fin d'études et non un concours, on n'est pas là pour casser les élèves. Mais les lycéens sont tellement persuadés que c'est simple qu'ils sont surpris quand les questions sont difficiles. Cet examen conserve sa valeur. En un sens, ces vagues de protestation le prouvent.
Les élèves sont-ils plus facilement déstabilisés qu'avant ?
Sauf cas exceptionnel, les élèves sont préparés pour répondre aux questions posées. Mais j'ai le sentiment que depuis quelques années, les élèves font moins de travail de fond, ils se désinvestissent un peu de leurs études. C'est peut-être pour cela que dès qu'un intitulé sort des sentiers battus, et que le questionnement ne correspond pas tout à fait à leurs habitudes, ça les perturbe. Par ailleurs, avec la dernière réforme du lycée, les programmes de mathématiques et de physique-chimie ont connu de profonds changements. Il faut aussi une période d'adaptation, même si les professeurs accompagnent les élèves de leur mieux.
La proportion de bacheliers sur une génération est passée de 25% en 1975 à 77,5% en 2012. Cette ouverture ne conduit-elle pas nécessairement à un nivellement par le bas ?
Ces statistiques sont trompeuses. Dans les années 1970, on ne prenait en compte que le baccalauréat général. Peu de gens passaient le bac, mais presque tous les candidats l'obtenaient. Aujourd'hui, davantage de gens tentent leur chance, puisque l'on prend en compte les bacs technologiques et professionnels, qui passaient d'autres types de diplômes auparavant (CAP, BEP, etc.). Et le taux de réussite globale a baissé, à 85% environ. On ne donne pas le bac à tout le monde : 15% des élèves qui ne l'obtiennent pas, ce n'est pas rien. D'autant que cette moyenne nationale cache des niveaux extrêmement disparates entre établissements au niveau national. J'ai travaillé pendant quinze ans en Seine-Saint-Denis, je peux vous dire que le taux de réussite n'était pas de 85%, mais plutôt de 40 ou 50%.
Le barème de l'épreuve de physique-chimie va être modifié cette année. Cela va-t-il dans le sens de ceux qui pensent que c'est un bac "au rabais"...
J'enseigne depuis 1985, et j'ai vu passer un certain nombre de copies du bac ! Pour ce qui est de la SVT, je n'ai jamais eu à reprendre des copies après une revalorisation de barème au niveau national. Cela se fait parfois dans d'autres disciplines, après des signalements sur certains exercices, mais cela reste rare et ne témoigne pas d'une baisse générale des élèves.
Après, une attention est toujours portée aux premières copies corrigées. Au sein de chaque jury, du moins dans mon académie, des professeurs se réunissent avec un inspecteur pédagogique pour voir si le barème doit être respecté à la lettre, exercice par exercice, en cas d'écarts de notes trop importants par rapport à ce qui est attendu. Le changement se dessine alors à la marge, on ne touche pas à la répartition des points entre exercices. On ne le fait pas par laxisme ou pour coller aux statistiques, mais pour se mettre d'accord sur les exigences incontournables d'une épreuve. Après, chaque enseignant est responsable de sa correction.
L'Education nationale transmet-elle plus ou moins de savoirs qu'avant ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les élèves en savent plus aujourd'hui qu'il y a vingt ans. En SVT, on leur apprend des choses que je n'avais moi-même jamais apprises dans ma jeunesse, y compris à l'université. Avec internet, l'accès à la connaissance s'est encore étendu. Je poserais donc le débat différemment : peut-être faudrait-il revenir à des fondamentaux et des programmes moins ambitieux, plus recentrés, pour remobiliser les élèves. Les contraintes actuelles font que les programmes sont assimilés à une grande vitesse. On passe d'une notion à une autre très rapidement. Ce zapping m'inquiète.
Le niveau des élèves en français est en baisse, notamment chez les collégiens. Le constatez-vous dans les copies que vous corrigez ?
Oui, cette régression est indéniable. Le niveau d'orthographe et de grammaire a chuté ces dernières années, et notre niveau d'exigence avec lui. Des copies du bac sont truffées de fautes. Au cours de l'année, je prends en compte l'expression écrite dans ma notation, parce que, normalement, cela fait partie des compétences. Si besoin, je me permets d'enlever un ou deux points. Les professeurs ne reçoivent pas de consignes de correction concernant l'orthographe, donc je suis moins sévère sur ce point. Le problème se poserait peut-être moins si les exercices demandés comprenaient moins d'analyses de documents et plus d'expériences. Tout au long de la scolarité, on constate que certains élèves qui ont du mal avec l'expression française s'en sortent très bien dans les travaux pratiques. C'est dommage que l'espace réservé aux TP ait été réduit dans nos programmes, car ils permettent pourtant de s'approprier plus directement les connaissances.
A vous entendre, supprimer le bac serait donc une mauvaise idée ?
Je pense, avec l'association que je préside, que le bac est toujours utile. C'est un examen national anonyme : tous les élèves, quels que soient les endroits où ils se trouvent, sont placés dans les mêmes conditions. Ils sont sur un pied d'égalité. Un lycéen qui décroche une mention "très bien" en Seine-Saint-Denis a autant de mérite que celui qui reçoit la même note dans le prestigieux lycée parisien de Louis-le-Grand. Certes, le baccalauréat est une énorme machine, qui mobiliser des millions de copies. C'est un monstre à gérer ! Mais si on le supprimait, il y aurait forcément quelque chose pour le remplacer car il faudrait bien sélectionner les élèves désirant intégrer l'enseignement supérieur. Cette barrière doit être maintenue. Le vrai sujet, c'est ce que représente le bac dans le monde du travail. Le niveau global de recrutement a augmenté, c'est plutôt à la société de s'adapter. Le débat dépasse l'école. Cela ne change rien au fait que ceux qui l'ont obtenu l'ont mérité.
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