Système de notes différent, expression orale... Comment l'école peut apprendre la confiance en soi aux élèves
Alors que les jeunes Français sont plus anxieux et croient moins en eux que leurs camarades des pays de l'OCDE, des pédagogues apportent des solutions afin d'instaurer une nouvelle dynamique dans les salles de classe.
Entre deux révisions à Avignon (Vaucluse), Sacha Boumedine, délégué du Mouvement national lycéen, confie ses angoisses. Elles se cristallisent autour de la nouvelle épreuve du bac 2021, le grand oral, qui a débuté lundi 21 juin. Pendant vingt minutes, chaque élève doit répondre à une question choisie par le jury, puis un temps d'échange est consacré au projet d'orientation de l'élève.
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Le coefficient 10 qui accompagne l'épreuve accentue le stress de Sacha Boumedine, mais pas autant que les conditions particulières qui ont prévalu durant son année scolaire, marquée par l'épidémie de Covid-19. "On nous répète que le jury sera bienveillant, mais dans les faits, on n'a pas pu se préparer, surtout avec nos cours en distanciel pendant la crise sanitaire, déplore le représentant lycéen. Alors, au niveau de la confiance en soi, ça n'aide pas du tout d'être jeté dans l'arène de cette manière."
Les élèves "considérés seulement comme des réceptacles"
D'une manière générale, les jeunes Français doutent beaucoup, comme le montre un rapport (PDF) rédigé à l'issue d'un colloque scientifique organisé en décembre 2020 dans le cadre du Grenelle de l'éducation. Les auteurs, spécialistes des sciences cognitives, y soulignent que "les élèves français figurent parmi ceux qui ont le moins confiance en leurs propres capacités, sont les plus anxieux et présentent une forte défiance dans le système scolaire en général". "Moins de la moitié d'entre eux déclarent 'se sentir chez eux à l'école'", relèvent-ils, ajoutant qu'il s'agit là du "plus mauvais résultat de l'OCDE". Dans leur synthèse, les auteurs rappellent à quel point ils jugent urgent de faire évoluer les méthodes d'enseignement.
"Les pratiques actuelles de l'école sont inspirées d'un autre temps", déplore la philosophe Joëlle Proust, membre du Conseil scientifique de l'Education nationale. "Les enfants sont considérés seulement comme des réceptacles. Au final, on ne sait pas ce qu'ils ont appris au sortir du cours", regrette la directrice de recherche émérite au CNRS.
Un système de notation trop "négatif"
Le système de notation apparaît aux yeux des experts comme un obstacle majeur au développement d'une plus grande confiance en soi. "On évalue beaucoup par le négatif, en sanctionnant les erreurs, et on ne met pas du tout en valeur les efforts et les progrès des élèves", observe Joëlle Proust.
Certes, ces dernières années, les notes ont progressivement disparu des cahiers d'écoliers au profit de couleurs : le vert pour féliciter, le rouge pour avertir. "Ça ne change rien et les évaluations négatives demeurent. On relève les erreurs sans en tirer de bénéfice dans l'apprentissage", objecte Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l'enfant à l'université de Nantes. Or "l'épanouissement de l'enfant passe par le sentiment d'efficacité personnelle. Dès qu'il fait des efforts et qu'il est félicité, son estime de soi remonte", fait remarquer la psychologue.
"Il faut que l'on réussisse à tourner la page de ce système épouvantable pour les élèves, où l'intérêt pour la note dépasse celui pour l'apprentissage, et conduit à les terrifier."
Joëlle Proust, philosophe et membre du Conseil scientifique de l'Education nationaleà franceinfo
Les scientifiques, en quête de nouvelles méthodes, s'inspirent en grande partie des pays scandinaves, qui ont pris le tournant de la bienveillance en supprimant les notes. L'un des procédés en gestation pour contrôler les acquis consiste à ce que les élèves évaluent eux-mêmes leurs aptitudes avec un smiley, choisissant un visage souriant, neutre ou triste, expose Joëlle Proust. "En entourant avant et après chaque exercice le smiley qui correspond à leur état d'esprit, ils ne sont plus passifs face à l'évaluation. C'est important, afin qu'ils ne subissent pas le résultat et qu'ils prennent conscience de leurs aptitudes", insiste la philosophe.
Un autre point important consiste à déterminer l'ampleur de l'aide dont chaque élève aura besoin durant les différentes étapes de l'apprentissage. "Ils ne sont pas tous au même niveau, il faut les accompagner lorsqu'ils n'y arrivent pas seuls", souligne Joëlle Proust. Les travaux de groupes entre élèves de différents niveaux semblent apporter une solution, estime-t-elle.
Accorder plus de place à l'oral en cours
La science cognitive plaide surtout en faveur d'une place plus importante de l'expression orale en classe. "Les professeurs parlent pendant 90% du temps, l'idée serait de permettre aux enfants de parler au moins pendant 50% du temps pour qu'ils soient plus impliqués dans le cours, évalue Agnès Florin. S'ils ne s'expriment pas, les jeunes ne peuvent pas vérifier s'ils ont compris ou non."
Au sein de la salle de classe du collège public où elle enseigne, Soline Bourdeverre-Veyssiere applique déjà ces méthodes, notamment auprès des élèves de troisième, qui passent chaque année un oral pour valider l'examen du brevet. "Ça permet de créer un lien de confiance parce qu'ils ne sont plus esseulés face à une copie", explique-t-elle.
"L'oral permet de reconsidérer la place de l'erreur. Quand on échange à voix haute, on peut se corriger facilement et en tant que professeur, on peut poser des questions pour guider l'élève."
Soline Bourdeverre-Veyssiere, enseignanteà franceinfo
A chaque rentrée, Soline Bourdeverre-Veyssiere s'assure également que les moqueries et les commentaires blessants "restent à la porte". "Je veux que tous mes élèves soient libres de s'exprimer et qu'ils n'aient pas peur de prendre la parole devant leurs camarades", explique la professeure d'histoire-géographie, dont la démarche s'inscrit dans le courant de "l'enseignement positif", un mode d'éducation qui met en avant la bienveillance en classe. Par ailleurs, tout au long de l'année, elle propose des exercices de respiration pour mieux gérer l'anxiété. "C'est du temps à prendre à côté des cours, cela bénéficie aux élèves."
Les professeurs veulent être mieux formés
Le nouveau grand oral du bac est présenté comme la réponse apportée par le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, au manque de cours consacrés à l'apprentissage de la prise de parole en public. Le Conseil d’évaluation de l'école estime que cette compétence a trop longtemps été écartée des critères pour évaluer les acquis des élèves. "Il est primordial de l'intégrer de nouveau, car la prise de parole est partout, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans le monde professionnel", signale Laurent Noé, secrétaire général de cette instance qui analyse l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire.
L'intérêt du grand oral se trouve surtout dans "l'introduction de cours de préparation pour la prise de parole au sein des programmes", juge Joëlle Proust. Mais bien que l'apprentissage de l'oral soit largement plébiscité, des professeurs déplorent de ne pas avoir été assez formés pour accompagner les élèves vers cette nouvelle épreuve. "C'était un grand cafouillage, on est d'accord pour introduire plus d'oraux, mais il nous faut des moyens pour s'y préparer", dénonce Maud Istria, professeure dans un lycée à Trappes (Yvelines) et représentante syndicale au Snep-FSU.
Permettre aux jeunes d'être "mieux outillés"
Outre les décisions du ministère, d'autres initiatives ont vu le jour pour redonner une voix et de la confiance aux élèves. Depuis des années, Stéphane de Freitas, coréalisateur du documentaire A voix haute : la force de la parole, sillonne les établissements scolaires pour initier les élèves à l'art oratoire. "Quand j'étais jeune, je n'étais pas à l'aise à l'école et surtout lors des évaluations, c'est en maîtrisant les mots que j'ai pu trouver ma place", souligne-t-il.
De son expérience personnelle, il a tiré une méthode pédagogique, baptisée "prise de parole éducative", qu'il transmet aux enseignants pour permettre aux jeunes d'être "mieux outillés" face au monde. "Cette éducation au savoir-être crée des cercles vertueux, capables d'endiguer l'autocensure et la mauvaise estime de soi de nombreux jeunes, assure Stéphane de Freitas. Les jeunes d'aujourd'hui ont l'habitude de participer sur les réseaux sociaux. On ne peut plus négliger leur point de vue." Il observe que l'oralité à l'école était jusqu'ici consacrée à la récitation de poésies ou de leçons, alors que "c'est avant tout un outil pour penser".
La nouvelle épreuve du grand oral du bac est, selon lui, "l'occasion pour les jeunes de développer un point de vue personnel, de montrer leurs questionnements, de parler de leurs aspirations personnelles". "Mais on doit les préparer en amont pour qu'ils surmontent leurs angoisses", ajoute-t-il.
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