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"Le Consentement" : où en sont les procédures visant Gabriel Matzneff, alors que l'adaptation du livre de Vanessa Springora sort au cinéma ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
L'écrivain Gabriel Matzneff, en 2015, à Paris. (ULF ANDERSEN / AFP)
Malgré la prescription, l'écrivain de 87 ans est toujours visé par une enquête pour viols sur mineur de moins de 15 ans.

Un livre qui a fait changer la loi. L'adaptation du récit de Vanessa Springora, Le Consentement, qui relate sa relation sous emprise à 14 ans avec l'écrivain Gabriel Matzneff, alors cinquantenaire, sort sur les écrans mercredi 11 octobre. Cet ouvrage a permis de renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles, avec l'adoption d'une loi fixant à 15 ans le seuil de consentement. Désormais, en dessous de cet âge, un enfant est considéré comme non consentant pour un acte sexuel avec un adulte.

Mais où en est l'action judiciaire déclenchée par la publication de ce livre, qui met en lumière le goût revendiqué de Gabriel Matzneff pour les mineurs, jeunes adolescentes et garçons ? Franceinfo récapitule.

Des auditions de "potentielles victimes et témoins"

Au lendemain de la parution du livre, en janvier 2020, le parquet de Paris avait ouvert une enquête préliminaire pour viols commis sur mineur de moins de 15 ans. Une initiative prise malgré la prescription, les faits s'étant déroulés dans les années 1980. L'objectif était alors d'"identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l'étranger", précisait Rémy Heitz, à l'époque procureur de Paris. Un appel à témoins avait ainsi été lancé.

Plus de trois ans et demi après, cette enquête est toujours en cours. Selon nos informations, le dossier a été transféré de l'Office de répression des violences faites aux personnes au nouvel Office mineurs, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Comme l'explique le parquet de Paris à franceinfo, les enquêteurs ont été chargés de procéder aux auditions de "potentielles victimes et témoins", ainsi que d'exhumer tout acte pouvant interrompre la prescription. L'ensemble est en cours d'analyse par le parquet des mineurs, "afin de rechercher si certains faits sont susceptibles de poursuites en dépit de leur ancienneté", fait savoir le ministère public.

Vanessa Springora a bien sûr été rapidement auditionnée. " Les faits étant prescrits pour elle, cette audition n'aura pour Vanessa Springora qu'une portée symbolique", avait communiqué son avocate, Léa Forestier. Mais "l'ouverture d'une enquête est un message fort pour les potentielles autres victimes pour lesquelles l'action ne serait pas prescrite", considérait l'autrice. 

Trois mois après la parution du Consentement, une autre femme, Francesca Gee, était sortie du silence dans un entretien au New York Times. Pour elle aussi, les faits sont prescrits. Cette ancienne journaliste avait 15 ans lorsqu'elle a rencontré l'auteur, âgé alors de 37 ans, dans les années 1970. Dans un livre auto-édité, L'Arme la plus meurtrière, elle raconte notamment comment l'écrivain a utilisé, contre son gré, son image et ses lettres dans ses écrits, y compris dans son essai défendant la pédophilie, Les moins de seize ans

Gabriel Matzneff entendu par les policiers en audition libre

Plusieurs autres femmes ont témoigné de faits similaires également prescrits, avait fait savoir fin août 2022 une source proche du dossier à franceinfo. Après l'examen des écrits de Gabriel Matzneff et de nombreuses auditions – dont celle de l'ancienne ministre de la Santé Michèle Barzach, accusée par Francesca Gee d'avoir fermé les yeux sur les agissements de l'écrivain lorsqu'elle était gynécologue –, l'auteur a été confronté, en audition libre, à tous les éléments réunis dans le cadre de l'enquête, en août 2022. 

Depuis le début de l'affaire, le lauréat du prix Renaudot, aujourd'hui âgé de 87 ans, conteste le récit de Vanessa Springora et estime ne pas mériter "l'affreux portrait" que l'éditrice et autrice dresse de lui. Gabriel Matzneff a toutefois affirmé "regretter" ses pratiques pédocriminelles passées en Asie. "Un touriste, un étranger, ne doit pas se comporter comme ça. (…) Naturellement, je regrette", avait-il déclaré, faisant valoir qu' "à l'époque""jamais personne ne parlait de crime". Depuis, il a auto-édité Vanessavirus, un livre écrit en réponse au Consentement.

La procédure pour "apologie" de la pédocriminalité annulée

En parallèle de l'enquête ouverte par le parquet de Paris, Gabriel Matzneff avait été cité à comparaître pour "apologie de la pédocriminalité" par l'association de prévention l'Ange Bleu. Mais la citation a été déclarée nulle, en première instance et en appel, pour des raisons de procédure. Une décision "sans surprise", selon l'avocat de l'écrivain. "On fait du droit, pas de la littérature ni de la morale, d'autant que les poursuites étaient déjà artificielles", s'était félicité Emmanuel Pierrat. 

Son client, qui a définitivement perdu l'allocation du Centre national du livre pour écrivains à faibles revenus qu'il percevait depuis 2002, a été aperçu cet été à une réception organisée dans les jardins de Gallimard, a révélé Mediapart. La maison d'édition, qui a cessé la commercialisation de ses livres, a reconnu auprès du média d'investigation sa venue ce jour-là, tout en démentant l'avoir invité. "Chez Gallimard, je suis chez moi", a de son côté soutenu l'écrivain. "Matzneff a encore beaucoup de complices, il y a beaucoup d'hypocrisie, mais je ne crains rien", souligne auprès de l'AFP Vanessa Filho, la réalisatrice du Consentement. Faute d'éventuelles suites judiciaires données à cette affaire, elle souhaite que son film "puisse faire œuvre de prévention".

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