Aéroports de Paris et barrages hydroélectriques : le rôle de l'État en question
Majorité et opposition s'opposent sur la pertinence de céder au privé des infrastructures telles que les aéroports et les barrages hydroélectriques.
Le vote définitif sur la privatisation d'Aéroports de Paris aura lieu jeudi 11 avril. 248 parlementaires veulent empêcher cette privatisation en utilisant un référendum d'initiative partagée. Dans le même temps, un autre dossier de concession privée va être examiné : celui des barrages hydroélectriques. La Commission européenne demande l'ouverture à la concurrence de certaines concessions, mais une centaine de députés s'y opposent.
Ces projets de privatisation portent-ils atteinte à la souveraineté nationale ?
"On retrouve le sujet de la souveraineté sur les deux sujets", a expliqué sur franceinfo Julien Aubert, député LR de la 5e circonscription de Vaucluse. "Aéroports de Paris est une frontière, on peut se demander si privatiser une frontière est quelque chose de véritablement logique. Sur les barrages hydroélectriques, on est sur un sujet de souveraineté énergétique de stockage. Dans les deux cas, on a un climat plus ou moins orienté au plan européen."
Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, présidente de Génération Écologie, met en avant le danger de privatiser les barrages. "Il s'agit d'un patrimoine national, stratégique. L'hydroélectricité est la première source d'électricité renouvelable de France. Si elle est privatisée, cela veut dire une hausse des tarifs. On est sur un enjeu de souveraineté nationale absolument majeur. En cela, il y a un point commun avec l'enjeu des aéroports."
Un avis que ne partage pas Laurent Saint-Martin, député LREM du Val-de-Marne, vice-président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale. "On ne parle pas des mêmes choses. Sur l'histoire des barrages, c'est une mise en concurrence à l'issue d'une directive européenne, ça n'est absolument pas la même chose que le sujet d'Aéroports de Paris qui est issu d'un projet de loi qui propose la sortie au capital de l'État français. Ce n'est pas la même logique. Dans le cas d'Aéroports de Paris, la vraie question, c'est 'quelle est la bonne place de l'État dans des entreprises'. Ce qui n'a rien à voir avec le sujet de la frontière, avec le côté régalien de l'État qui reste très fort dans un aéroport. Qu'on arrête de faire peur aux Français en laissant croire que la frontière de notre pays est remise en cause si l'État sort du capital de la société commerciale Aéroports de Paris. C'est totalement faux et dangereux de dire cela".
Mais pour Julien Aubert, "quand vous arrivez à l'aéroport Charles-de-Gaulle, vous passez la frontière. Et demain, ce sera géré par une société privée."
Cette décision est-elle idéologique ou budgétaire ?
"Il y a un calcul économique derrière", estime Julien Aubert. "Sur ADP vous avez un monopole naturel. Par définition, c'est un cas particulier. Je ne suis pas certain que la théorie économique nous permette d'abaisser quoi que ce soit dans les coûts. Donc, cela nous semble illogique de le faire. Sur les barrages hydroélectriques, on dit que le privé va mieux gérer que le public. Il ne faut pas procéder par idéologie. Dans le cas d'ADP, dire que le privé va mieux gérer, je n'en suis pas certain. C'est un sujet budgétaire."
"Le sujet n'est pas de savoir si le privé fait mieux que le public", a expliqué Laurent Saint-Martin. "Le sujet c'est de savoir si c'est le rôle du contribuable de prendre des participations dans une société commerciale. Nous devons replacer l'État à la bonne place dans l'économie et les entreprises. Reste à savoir ce que nous faisons de cet argent quand nous cédons les parts. C'est de l'argent qui va servir à réinvestir dans l'innovation et les technologies de demain."
L'État doit-il être stratège ou rentier ?
"Dire que cette rente, au lieu d'être réinvestie, soit captée par des actionnaires, c'est l'inverse de ce qu'il faut faire aujourd'hui", estime Delphine Batho à propos de la privatisation des barrages hydroélectriques. "Dire qu'il faut que la puissance publique, au travers de son opérateur historique, perde la main sur ce qui a été construit et financé par tous les Français, c'est l'inverse de ce qu'il faut faire. On parle de rente hydraulique parce que les barrages sont pour la plupart extrêmement profitables. On a besoin d'un État stratège par rapport aux enjeux de la transformation de notre modèle énergétique." Delphine Batho explique que "c'est une religion" de dire que l'État n'est pas là pour être rentier. "On nous raconte depuis les années 80 que l'État, les citoyens, la souveraineté nationale, ne seraient pas apte à gérer un certain nombre d'actifs."
"Nous avons besoin de vendre nos parts dans des entreprises qui ne sont pas des entreprises d'avenir pour investir dans l'innovation de demain", estime pour sa part Laurent Saint-Martin.
Pour Julien Aubert, "l'État stratège doit être à la fois sur des sujets anciens et modernes. Je ne vois pas pourquoi l'État stratège ne serait pas sur des industries très profitables. Le sujet est de savoir si c'est d'intérêt général ou pas. On essaie d'habiller derrière en disant qu'on va investir, mais tout ça, ce sont des promesses. La réalité, c'est qu'il y a un trou budgétaire, donc on vend les bijoux de famille en disant ‘ne vous inquiétez pas, on va déployer l’argent sur de nouveaux investissements’. Mais les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent."
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