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Mayotte : on vous explique le débat autour du statut de la maternité de Mamoudzou

La maternité de ce département d'outre-mer, complètement saturée, est la première de France avec près de 10 000 naissances enregistrées en 2017. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le personnel de la maternité du centre hospitalier de Mayotte, à Mamoudzou, le 14 mars 2018. (ORNELLA LAMBERTI / AFP)

C'est l'un des volets de la crise à Mayotte. Le statut de la maternité de ce département d'outre-mer fait l'objet d'une vive polémique depuis que le Premier ministre, Edouard Philippe, a "mis sur la table", jeudi 8 mars, la question de l'accès à la nationalité dans cet établissement où viennent accoucher de très nombreuses femmes comoriennes.

Franceinfo vous résume les enjeux autour de cette maternité.

Quel est le problème ?

Composé de l'hôpital central de Mamoudzou et de quatre sites répartis sur l'archipel, le centre hospitalier de Mayotte (CHM) constitue "la plus grande maternité de France, voire d'Europe", explique son personnel à l'AFP. Le nombre d'accouchements y a explosé, jusqu'à atteindre 9 674 nouveau-nés en 2017, après 9 514 naissances en 2016, dont plus de la moitié sur le site de Mamoudzou, la capitale économique. En comparaison, la plus grande maternité de France métropolitaine, celle du CHRU de Lille, a accueilli 5 639 naissances en 2017.

Entre 2013 et 2016, le nombre de naissances sur l'archipel a bondi de 45%, indique une étude de l'Insee, qui souligne qu'"en comparaison, 2 230 naissances de moins ont été enregistrées en 2016 en Guyane, dont le nombre d’habitants est pourtant proche de celui de Mayotte". Avec des conséquences immédiates au sein de la maternité, qui voit les accouchements s'enchaîner. Pour pallier le manque de place, outre le triplement des lits par chambre, on transfère les patientes en bonne santé "trois heures après leur accouchement, vers les maternités périphériques. Il n'y a qu'à Mayotte qu'on fait ça", confie une sage-femme à l'AFP.

Certaines Mahoraises ne cachent pas leur colère face à cette situation. Mariama, 33 ans, raconte ainsi à l'agence de presse qu'on lui a proposé de quitter l'hôpital deux jours après son accouchement car elle bénéficie de la Sécurité sociale et qu'elle pouvait donc être suivie par une sage-femme libérale.

Nous, on se 'démerde', alors que celles qui n'ont pas la Sécu, elles restent. Je me sens défavorisée, alors que je cotise, je paie mes impôts.

Mariama, une jeune mère

à l'AFP

Cette augmentation spectaculaire du nombre de naissances s'explique par le fait que de très nombreuses femmes comoriennes, parfois arrivées sur l'île à bord d'embarcations de fortune (les kwassa-kwassa), viennent accoucher dans l'établissement. Selon l'Insee, les mères nées aux Comores ont ainsi mis au au monde 69% des bébés sur le sol mahorais en 2016.

Pourquoi tant de Comoriennes accouchent-elles à Mayotte ?

Si certaines femmes rejoignent Mayotte en fin de grossesse, notamment depuis l'île d'Anjouan, pour y accoucher dans de bonnes conditions, de nombreuses mères vivent déjà dans ce département français. Dans une autre étude publiée en mars 2017, l'Insee indiquait ainsi qu'"en 2015, plus d'un adulte sur deux vivant à Mayotte n'y est pas né", et que les natifs des Comores "représentent 42% de la population du département".

Mayotte est ainsi le département où la part d'étrangers dans la population est la plus importante, devant la Guyane. Or, la moitié des "étrangers non natifs de Mayotte se trouve en situation administrative irrégulière", ajoute l'étude. Accoucher sur le sol français permet aux enfants de bénéficier de la nationalité française.

Le Code de la nationalité panache en effet droit du sol (si l'enfant est né sur le territoire) et droit du sang (si un de ses parents est français). Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert de plein droit la nationalité à sa majorité, à condition qu'il ait résidé sur le territoire pendant une période "d'au moins cinq ans" et ce "depuis l'âge de 11 ans"

La nationalité peut aussi s'acquérir de façon anticipée, à partir de 13 ans. Mais il faut là aussi remplir une condition de durée de présence sur le territoire : depuis l'âge de 8 ans pour un jeune âgé de 13 à 16 ans, depuis l'âge de 11 ans pour un jeune de 16 ans ou plus. Cette règle vaut sur l'ensemble du territoire.

Que propose le gouvernement ?

Le gouvernement étudie la possibilité de faire de la maternité de Mayotte une sorte de "maternité internationale" au statut d'extraterritorialité, mais "sans remettre en cause le droit du sol", affirme le député LREM Aurélien Taché dans un entretien au quotidien La Croix, publié mardi 12 mars.

Au lieu d’obtenir automatiquement la nationalité française, les enfants de femmes comoriennes qui y naîtraient pourraient être déclarés comme Comoriens au registre de l’état civil.

Aurélien Taché, député LREM

à La Croix

En visite à Mayotte, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, avait annoncé lundi que la création d'un tel statut d'extraterritorialité pour l'hôpital ferait l'objet d'un groupe de travail.

L'idée n'est en tout cas pas nouvelle. En 2005 déjà, François Baroin, alors ministre de l'Outre-mer, évoquait l'idée "de modifier ou de suspendre temporairement certaines règles relatives à l'acquisition de la nationalité française à Mayotte", en s'inquiétant de la situation de la maternité. "Une remise en question du droit du sol ne provoque pas les mêmes réticences outre-mer qu'en métropole", affirmait-il.

Début mars, le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a de son côté appelé à une réforme du droit du sol sur l'archipel, en estimant que ,"quand un enfant naît ici de deux parents clandestins, il ne doit pas pouvoir être français".

Est-il vraiment possible de changer le statut de la maternité ?

L'idée du gouvernement suscite des réticences. Pour Serge Slama, professeur de droit public à Grenoble interrogé par l'AFP, on touche là aux "principes d'égalité devant la loi et d'indivisibilité du territoire" qui sont inscrits dans la Constitution.

Je ne vois pas comment on pourrait déroger à des règles constitutionnelles.

Serge Slama, professeur de droit public

à l'AFP

La Constitution prévoit certes, dans son article 73, que dans les départements d'outre-mer les lois "peuvent faire l'objet d'adaptations" tenant à leurs "caractéristiques et contraintes particulières". Mais ces règles "ne peuvent porter sur la nationalité", ajoute l'article.

"La République, ce n'est pas un gruyère dont on aménage la taille des trous en fonction des urgences politiques", s'indigne un bon connaisseur du dossier contacté par l'AFP. Une piste serait la négociation d'une convention internationale avec les Comores pour prévoir une part d'extraterritorialité, explique Serge Slama, qui se dit "assez sceptique". "Je vois mal comment les Comoriens accepteraient cela et en échange de quoi."

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