Colère des agriculteurs : trois questions sur leurs revenus

Alors que l'une des principales revendications des agriculteurs est de pouvoir vivre de leur métier, des chiffres très différents circulent sur leurs revenus. Franceinfo fait le point en trois questions.
Article rédigé par franceinfo
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Des agriculteurs bloquent l'autoroute A35 avec des tracteurs près de Strasbourg, le 30 janvier 2024 (FREDERICK FLORIN / AFP)

En réponse à la crise agricole, le Premier ministre a présenté jeudi 1er février plusieurs mesures visant à protéger les agriculteurs et renforcer la souveraineté agricole française. Gabriel Attal a notamment annoncé "150 millions d'euros en soutien fiscal et social" pour les éleveurs. Les syndicats agricoles, dont la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont appelé "à suspendre les blocages et à rentrer dans une nouvelle forme de mobilisation".

Derrière la colère des agriculteurs, de multiples revendications sont remontées ces dernières semaines : taxe sur le gazole non routier (GNR), allègement des normes françaises et européennes ou remise en cause de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Mais la principale revendication des agriculteurs reste de pouvoir vivre de leur métier. Franceinfo fait le point en trois questions sur les revenus des agriculteurs.

Comment se compose le revenu d'un agriculteur ?

Il faut tout d'abord différencier, rappelle France Bleu, l'ouvrier agricole, qui est salarié d'une exploitation et touche un salaire fixe, de l'agriculteur non salarié, qui gère une exploitation. Le revenu de ce dernier va être variable d'une année sur l'autre selon le prix des matières premières, des aléas climatiques ou des investissements réalisés. Vincent Chatellier, chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) rappelle dans le journal Libération que "l'année 2022 a été l'une des meilleures pour les revenus des agriculteurs". A contrario, l'année 2023 n'est pas très bonne par exemple pour certaines cultures.

"Les prix des céréales ont connu une chute assez importante sur les derniers mois après le pic lié à la guerre en Ukraine. Il y a un effet ciseau avec des prix de vente qui baissent et des charges qui restent au même niveau", développe Laurent Brun, responsable du service agricole au cabinet Auverco, membre du groupement AgirAgri.

De l'éleveur de bovin au céréalier, le revenu d'un agriculteur va être très différent et va donc se composer de manière différente. Laurent Brun s'occupe principalement des comptes d'éleveurs en Auvergne. "De janvier à décembre, vous allez avoir des rentrées d'argent comme des ventes d'animaux ou des subventions PAC". Dans l'élevage, "plus de 50% des recettes des ventes se font entre août et décembre". Un produit d'exploitation auquel on va déduire les charges de l'exploitation "qui vont se répartir tout au long des douze mois, avec souvent des charges importantes en début d'exercice, notamment avec les engrais, les travaux ou les dépenses de carburant".

Sur 100 euros de produit, l'expert-comptable estime qu'au final il ne restera que 15 euros environ de résultat. L'agriculteur doit ensuite gérer sa trésorerie, de laquelle, il peut déduire un prélèvement privé. Il n'y a donc pas véritablement de salaire, rappelle Laurent Brun : "Vous allez avoir des flux de trésorerie qui vont être importants. L'agriculteur peut avoir une vente de l'ordre de 90 000 euros, il faudra attendre un an après, donc une récolte nouvelle ou avoir un nouveau veau pour qu'il naisse et soit vendu, pour avoir des prochaines rentrées d'argent. Il faut une bonne gestion de la trésorerie." Le gouvernement a annoncé jeudi 150 millions d'euros en soutien fiscal et social aux éleveurs d'ici la fin de l'année.

Combien gagne un agriculteur en moyenne ?

Si on prend les chiffres de l'Insee pour 2021, le revenu d'activité d'un agriculteur non-salarié, qui n'est pas vraiment du brut ni du net, s'élève en moyenne à 1 620 euros. Un chiffre en prenant en compte les agriculteurs réalisant des micro-bénéfices agricoles (micro-BA), ce qui représente en tout plus 420 000 agriculteurs. Mais attention, "il y a tellement d'ambiguïté sur le terme d'agriculteur", souligne l'économiste Lucien Bourgeois.

"Dans les 400 000 agriculteurs on ratisse très large. Par exemple, il suffit d'avoir quelques bêtes pour être comptabilisé". Il y a "des gens qui ont une activité agricole mais qui ne sont pas agriculteurs, poursuit l'économiste. Par exemple, si on prenait dans le domaine de l'hôtellerie la même définition que pour les agriculteurs, on compterait toutes les personnes qui font de la location type AirBnb deux mois par an comme des hôteliers." D'ailleurs, si on enlève ceux qui réalisent des micros-BA, le revenu moyen des agriculteurs se monte à 1 910 euros.

Pour représenter le revenu d'un agriculteur, la statistique publique utilise généralement le Résultat courant avant impôts (RCAI), explique l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Pour résumer, il s'agit de la différence entre les recettes de l'exploitation (vente de la production, aides directes et produits financiers) et les dépenses (intrants, équipements, salaires versés aux employés, charges). D'après les données du Réseau d'information comptable agricole (Rica), le RCAI par unité de travail agricole non salariée (Utans) s'est élevé à 29 500 euros par an en moyenne sur les dix ans de la période 2010-2019.

Le Résultat courant avant impôts moyen par an et par Unité de travail non salariée (UTA) (en euros constants 2019), calculé sur dix ans (2010-2019). (Sources : SSP - Réseau d’Information Comptable Agricole France / Traitement : INRAE, UMR SMART-LERECO)

Mais ce RCAI va être très différent selon le type de culture. Il approche les 50 000 euros en moyenne pour un viticulteur alors qu'il ne va pas dépasser les 20 000 euros pour éleveurs bovins. Au sein même du type de production, les disparités sont souvent importantes selon les régions. "En viticulture : entre le producteur de champagne dans la Marne et le producteur de muscadet dans la Marne, on n'est pas dans le même game", explique à Libération le chercheur à l'Inrae Vincent Chatelier.

Un revenu minimum pour les agriculteurs est-il souhaitable ?

Ce sont ceux qui "travaillent le plus et gagnent le moins dans le pays". Le président des Républicains Éric Ciotti propose la mise en place d'un revenu minimum pour qu'"aucun agriculteur ne gagne moins de 1 500 euros", explique-t-il dans les "Quatre vérités". Le président du parti de droite veut mettre en place cette mesure en économisant sur certaines aides de la politique de la ville et "en sanctionnant fortement les distributeurs qui ne respectent pas la loi qui garantit un prix minimum aux productions agricoles" mais aussi sur l'Aide médicale d'État. Une nécessité alors que la précarité touche le secteur agricole. Une étude de 2021 de l'Insee, qui se base sur des chiffres de 2018, il y a 18% des ménages agricoles qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Mais les agriculteurs contestent un système basé sur les subventions. "Un revenu minimum, c'est encore être assisté", a estimé sur RMC, l'agriculteur céréalier Bruno Cardot, fondateur aussi d'AgriTwittos. "Ce que veulent les paysans, c'est pouvoir vivre de leur travail et pas de survivre avec des aides", résume Marie-Andrée Besson, présidente de Solidarité paysans. Cette association vient en aide aux agriculteurs qui se retrouve en situation de crise. Dans certaines régions, la structure constate une "hausse exceptionnelle" des appels. "Les problèmes financiers sont énormes", poursuit Marie-Andrée Besson avec souvent un surendettement difficilement surmontable.

Pour la présidente de Solidarité paysan, "il y a déjà un certain nombre d'aides qui sont mises en place et qui souvent ne fonctionnent pas". Pour elle, "il faudrait déjà simplifier l'accès au RSA et à la prime d'activité en tenant compte des spécificités des revenus agricoles qui sont annuelles, qui ne sont pas ni mensuelles, ni trimestrielles." L'autre difficulté concerne la possibilité de demander une aide alors qu'on n'a plus les moyens de payer une comptabilité certifiée : "La reconstitution d'une comptabilité devrait être assouplie pour permettre justement cet accès aux aides", avance Marie-Andrée Besson.

La colère des agriculteurs s'est justement cristalisée sur les lois Egalim qui doivent garantir un revenu fixe aux agriculteurs et éleveurs français. Mais la grande distribution est accusée de contourner ces textes ou de mal les appliquer dans le but de faire baisser les prix. Le gouvernement a notamment annoncé une "mission d'évaluation" des lois Egalim. Un rapport à ce sujet sera remis "d'ici au printemps" et devra "ouvrir la voie à une amélioration et un renforcement de la loi", a précisé le ministre de l'Économie.

Mais au-delà des problèmes de revenu, "l'agriculture n'est pas forcément soutenue politiquement, et souvent décriée par rapport à ses produits phytosanitaires", indique Laurent Brun du cabinet Auverco : "Ils sont constamment décriés. Sauf qu'à un moment donné, ils ont besoin de ces produits pour pouvoir produire. Il y a aussi un problème de revenu, mais aussi un problème d'image." Le gouvernement va suspendre le plan Ecophyto, qui doit permettre de réduire l'usage des pesticides, a annoncé le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Mais pas sûr que cela supprime les critiques envers les agriculteurs.

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