Réforme du Code du travail : qui est Myriam El Khomri ?
La ministre du Travail et de l'Emploi est en première ligne pour défendre le projet de loi contesté. Jusque-là méconnue du grand public, elle est désormais au centre de l'attention et des critiques.
A la sortie du Conseil des ministres, mercredi 2 mars, Myriam El Khomri tente de faire oublier sa brève hospitalisation de la veille, dans laquelle certains n'ont pas hésité à voir la conséquence des attaques qu'elle subit. Face aux caméras, la ministre du Travail se dit "motivée" et "déterminée" à mener à bien le projet très critiqué de réforme du droit du travail, qui semble pourtant lui échapper.
A 38 ans seulement, cette femme politique, jusqu'à présent peu exposée, se retrouve en pleine tempête. L'occasion pour francetv info de dresser le portrait de cette trentenaire à l'ascension fulgurante.
Les coups de pouce de Bartolone, Vaillant et Delanoë
Myriam El Khomri est encore étudiante lorsqu'elle a le "déclic" politique. En 2001, la jeune femme, qui a abandonné le théâtre et ses "rêves d'être comédienne" en raison d'"un coup de cœur" pour le droit public, fait un stage à la délégation interministérielle à la Ville. Claude Bartolone y est ministre délégué. Il l'introduit en politique. Dans la foulée, elle devient collaboratrice d'Annick Lepetit, la maire du 18e arrondissement de Paris, un fief socialiste.
Lorsque Daniel Vaillant revient aux commandes de sa mairie en 2003 après son passage au gouvernement, elle reste en place. Il a "vu son potentiel", dit-il à francetv info. Pour les élections municipales de 2008, le ténor du PS parisien veut en deuxième place sur sa liste, juste avant le maire de Paris, Bertrand Delanoë, "une femme jeune isue de la diversité", raconte au Point le député PS de Paris Christophe Caresche, dont Myriam El Khomri est suppléante. La jeune collaboratrice a le profil. Elle est née au Maroc d'une mère bretonne, enseignante, et d'un père marocain, commerçant, et a grandi en France. Sa carrière politique est lancée.
Réélu en 2008 à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë la prend comme adjointe dans son équipe. Et en 2014, sa dauphine, Anne Hidalgo, en fait sa porte-parole de campagne pour les municipales. Myriam El Khomri et son mari Loïc, un informaticien qu'elle connaît depuis le lycée et qui garde ses distances avec le monde politique, attendent alors leur deuxième fille. Après l'élection, Myriam El Khomri reste adjointe.
Devenue en six ans une pièce maîtresse du dispositif municipal parisien, elle gravit en parallèle les échelons au Parti socialiste. Elle s'y était encartée après le psychodrame de 2002, l'élimination de Lionel Jospin dès le premier tour de la présidentielle et le duel entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au second. Elle devient membre du conseil du parti en 2008 et du bureau national quatre ans plus tard. Pourtant, elle reste "plus connue à Paris qu'au PS" où elle n'est "identifiée à aucun courant ou aucune chapelle", affirme Libération.
Une élue "bosseuse", "battante" et "humaine"
Son modèle en politique se nomme Anne Hidalgo. "Je lui ai tout pris : son bon sens, sa façon de mettre les mains dans le cambouis et son obstination à bosser, bosser, bosser", déclare la trentenaire.
Pierre-Yves Bournazel, conseiller municipal (Les Républicains) élu dans le 18e arrondissement en même temps qu'elle, vante auprès de francetv info ses qualités : "Consciencieuse, sérieuse, méthodique, travailleuse." L'opposant se souvient de "quelqu'un avec qui on pouvait travailler et qui s'investissait". "Humainement, c’est l’inverse des politiques actuels. Pas une tueuse, pas une roublarde, elle est sincère", renchérit dans Libération un ami, qui travaille dans un cabinet ministériel.
Interrogée par francetv info, Violaine Trajan (PS), adjointe au maire du 18e, ne tarit pas d'éloges sur cette élue qu'elle connaît de longue date. Elle aussi décrit "une grande bosseuse", "une battante", "concrète, humaine, intelligente", "une femme de convictions au service de l'intérêt général" et animée d'"une vision". Une autre élue du 18e, membre de la majorité, loue son "énergie formidable" au service de "la lutte contre les injustices" et lui prête "une capacité à faire des ponts entre les solutions et les dispositifs pour rendre l'action publique plus efficace".
Une caution "diversité" au gouvernement
Au début de l'été 2014, un dîner a peut-être forcé le destin. Daniel Vaillant, désormais ancien maire du 18e, convie François Hollande et plusieurs élus de son ancien bastion au restaurant. Myriam El Khomri est invitée. Le chef de l'Etat "s'est manifestement souvenu d'elle", confie un convive anonyme au Point.
En août, elle reçoit un coup de téléphone de Manuel Valls qui lui passe François Hollande. Elle est en train d'acheter des chaussures en promotion au BHV, raconte Libération. Le président et le Premier ministre la veulent au gouvernement. Elle en sera la benjamine. Anne Hidalgo la laisse partir à contrecœur, selon un proche à la mairie de Paris, cité par Libération.
Myriam El Khomri devient secrétaire d'Etat. Au début, Manuel Valls a visiblement du mal à retenir son nom. Lorsqu'il loue, au JT de 20 heures de France 2, "ces nouveaux visages" qui représentent "la diversité du pays", il la rebaptise "Myriam El Kawi".
Il est vrai que je coche plein de cases : femme, jeune, avec un nom à consonance maghrébine.
La jeune secrétaire d'Etat est chargée de la politique de la Ville dans un gouvernement qui se serre la ceinture. Elle se retrouve à arbitrer les budgets alloués aux municipalités, elle qui, lorsqu'elle était à la mairie de Paris, bataillait pour que des quartiers parisiens soient maintenus dans le dispositif des quartiers sensibles. Après les attentats de janvier 2015, la secrétaire d'Etat multiplie les déplacements, prêchant le "vivre-ensemble", et se forge une image, rapporte Le JDD.
La ministre du Travail qu'on n'attendait pas
En septembre, elle est bombardée ministre du Travail, en remplacement de François Rebsamen, parti administrer Dijon après la mort du maire de la ville. "Tout est allé extrêmement vite", reconnaît-elle. Myriam El Khomri porte sur ses épaules la lutte contre le chômage et la réforme du Code du travail : deux dossiers qui pèsent lourd. Au gouvernement, on déclare, dans Les Echos, que sa nomination est "un pari".
Elle qui, depuis le début de sa carrière politique, est plutôt familière des dossiers de sécurité, de politique de la ville, d'intégration et de protection de l'enfance arrive rue de Grenelle sans réelles références sur les questions liées au travail.
Ça m’arrive souvent, on m’appelle sans que je le demande, je ne sais pas d’où ça me vient.
"On a senti qu'elle débarquait", se souvient un syndicaliste dans La Croix. Mais en six mois au ministère, "elle a fait beaucoup de progrès, elle connaît bien les dossiers" désormais, plaide Jean-Claude Mailly. Le numéro un de FO estime toutefois qu'il "lui manque une chose importante, l'expérience : elle n'a pas l'historique des dossiers, ce qui fait qu'elle ne comprend pas toujours les tenants et aboutissants de certaines réformes".
Au sein de l'exécutif, on défend dans Les Echos son "dynamisme" et son "pragmatisme". "C'est une personnalité qui s'est révélée solide, pugnace, efficace", plaide l'entourage du Premier ministre, cité par Reuters.
En novembre, elle est pourtant devenue la risée des internautes après une interview ratée sur BFMTV. Jean-Jacques Bourdin l'a collée sur le droit applicable aux CDD. "J'ai perdu mon sang-froid, je me suis mise un peu comme une élève face à son professeur, bien évidemment c'était un moment embarrassant", a-t-elle avoué en janvier sur Canal+.
"Entrer dans l'univers ministériel sans avoir été parlementaire, c'est un peu délicat. C'est comme jeter dans le grand bain un enfant qui ne sait pas nager", explique l'un de ses pères en politique, contacté par francetv info. Mais il assure cependant que sa protégée "a l'avenir devant elle". Car, après tout, "cet aléa n'est pas de son fait".
Une ministre qui ne décide plus de rien ?
"La réforme du marché du Travail, ce sera la réforme du Premier ministre", avait glissé dans Les Echos un ministre, dès la nomination de Myriam El Khomri. "Matignon est omniprésent dans l'écriture de la loi", confirme un membre de l'entourage de la ministre, repris par L'Express. Une ancienne "plume" de Myriam El Khomri, partie à cause d'un profond désaccord sur la réforme, regrette d'ailleurs, dans L'Humanité, que les "réelles avancées", fruits des concertations menées par la ministre, soient finalement absentes du "projet de loi final".
"Il y a peut-être quelque chose qui lui échappe", déplore Violaine Trajan. "En politique, on a besoin de temps pour expliquer, emporter l'adhésion. Les échéances peuvent rendre les choses compliquées. Là, on a l'impression que c'est précipité." Lorsque la ministre a brandi la menace du recours au 49-3 pour faire passer la réforme en force à l'Assemblée, cette proche ne l'a "pas reconnue".
Je n’aime pas quand tout va hyper vite, on ne maîtrise rien.
"Je ne suis la marionnette de personne. Ni de Matignon, ni de mon directeur de cabinet", a rétorqué la ministre dans Libération. "Je sais quelles sont mes faiblesses : le manque de poids politique, l’expérience et le fait que je suis une spécialiste des politiques de l’emploi, mais pas du droit du travail", a-t-elle toutefois reconnu dans Le Monde.
Une autre élue du 18e prend la défense de son ancienne collègue : "Quand elle accepte une mission, elle la mène jusqu'au bout." Et elle poursuit son plaidoyer : "Parce qu'elle a un charisme, une personnalité à part, on lui a confié des responsabilités de plus en plus importantes très rapidement, qu'elle a acceptées par fidélité à son engagement. Certains y voient de l'opportunisme, j'y vois de la loyauté."
"Elle se sent visée par les attaques contre son projet de loi et le vit très mal", dit à Reuters un leader syndical, qui l'a "sentie complètement effondrée" lors d'une rencontre récente. "C'est une épreuve pour elle", assure le responsable d'une autre centrale. "On ne lui a pas fait de cadeau en lui proposant ce ministère", résume-t-il. Dans Paris Match, Myriam El Khomri se souvenait de son enfance à Tanger : "La vie était douce." Mais ça, c'était avant.
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