: Vrai ou faux Covid-19 : le gouvernement peut-il vraiment rendre le télétravail obligatoire ?
Depuis le début de l'épidémie, le télétravail a déjà été inscrit comme une "règle" dans le protocole sanitaire en entreprise. Mais ce texte gouvernemental n'a pas force de loi. Télétravailler, comme le demande le gouvernement, est une option laissée aux entreprises par le Code du travail, en cas de force majeure, par exemple une épidémie.
Dans sa première version, cet article ne précisait pas que le Conseil d'Etat a considéré en octobre 2020 que le protocole sanitaire en entreprise "constitue un ensemble de recommandations". Cette précision a été ajoutée et l'article modifié.
Aux grands maux, les grands remèdes ? Face à la cinquième vague de l'épidémie de Covid-19 et à l'arrivée du nouveau variant Omicron, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé, lundi 27 décembre, le retour de certaines contraintes sanitaires, parmi lesquelles l'obligation de télétravailler. La mesure sera effective "pour une durée de trois semaines" à partir de la rentrée du 3 janvier, "pour tous les salariés pour lesquels [le télétravail] est possible", y compris dans la fonction publique, à raison de "trois jours minimum par semaine et quatre jours quand cela est possible". "Le recours au télétravail sera obligatoire, je dis bien obligatoire", a insisté le chef du gouvernement. Mais cela est-il vraiment possible ?
"Il y a de multiples possibilités pour rendre le télétravail obligatoire", souligne Caroline Diard, enseignante-chercheuse en droit et en management des ressources humaines à l'Ecole supérieure de commerce (ESC) d'Amiens (Somme). "Cela peut être par la loi, mais cela prendrait du temps de la faire voter par le Parlement, ce qui n'est pas idéal dans le contexte actuel. Ça peut être sous la forme d'un décret", énumère-t-elle. "Le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire permet au gouvernement de prendre des décisions plus rapidement, relève-t-elle. Ce droit d'exception donne au gouvernement le droit de faire des choses qu'il ne ferait pas habituellement."
"On est ballottés depuis le début de la crise sanitaire entre les notions de recommandation et d'obligation."
Caroline Diard, enseignante-chercheuse en droit et en management des ressources humainesà franceinfo
Interrogé par franceinfo, le cabinet de la ministre du Travail l'assure : "L'obligation de télétravailler trois jours par semaine, voire quatre, quand cela est possible, sera inscrite dans le protocole national en entreprise qui sera mis à jour cette semaine, comme cela avait été le cas lors des précédentes périodes concernées par l'obligation de télétravail." Dans le protocole sanitaire en entreprise actuel (PDF), en vigueur depuis le 8 décembre, le télétravail n'est pas imposé mais fortement recommandé. Il est écrit que "la cible doit être de deux à trois jours de télétravail par semaine", "sous réserve des contraintes liées à l'organisation du travail et à la situation des salariés".
Une "règle" inscrite dans le protocole sanitaire en entreprise dès 2020
Mais dans certaines des précédentes versions du protocole sanitaire en entreprise, le recours au télétravail était bien une "règle". Par exemple, dans la mouture applicable au 29 octobre 2020 (PDF) ou son actualisation au 13 novembre 2020 (PDF), alors que débutait la deuxième vague de l'épidémie. On pouvait y lire : "Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l'épidémie, [le télétravail] doit être la règle pour l'ensemble des activités qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l'ensemble de leurs tâches à distance."
Or, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans une ordonnance du 19 octobre 2020, ce protocole "constitue un ensemble de recommandations". Il n'a donc pas la force réglementaire ni le pouvoir contraignant d'une loi. Il ne fait, selon le Conseil d'Etat, que rappeler "les obligations qui existent en vertu du Code du travail". Deux en particulier. "L'employeur a une obligation vis-à vis-de ses salariés en matière de santé et de sécurité au travail", rappelle Caroline Diard.
Une disposition prévue dans le Code du travail
Le recours au télétravail au sein d'une entreprise en cas d'épidémie est d'ailleurs inscrit dans le Code du travail depuis 2017 au moins. Le texte légal stipule qu'"en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail, rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés."
Un employeur qui refuserait le télétravail à ses employés, en dépit des recommandations du gouvernement et des dispositions prévues par le Code du travail, prend donc le risque d'être rappelé à l'ordre par l'Inspection du travail, voire poursuivi en justice par un salarié qui s'estimerait mis en danger par son entreprise.
Les modalités d'organisation laissées aux employeurs
Une fois cette recommandation donnée par l'Etat aux entreprises, il revient aux employeurs de mettre en œuvre cette nouvelle organisation dans leurs établissements. Ils peuvent, pour ce faire, se référer à l'accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 (PDF). "Il est de la responsabilité des employeurs et des partenaires sociaux, dans le cadre de la négociation d'entreprise, de faire la part des choses entre les métiers et les postes pour lesquels le télétravail est possible et ceux pour lesquels il ne l'est pas", précise Caroline Diard.
"Le télétravail est très facile à mettre en œuvre, ajoute l'enseignante-chercheuse. Il peut être mis en place par tout moyen au sein de l'entreprise." Que ce soit par un accord collectif ou une charte, mais aussi via un avenant au contrat de travail, voire un simple accord par e-mail par exemple entre le salarié et son employeur, liste l'ANI. La limitation du télétravail à certaines entreprises ou certains métiers est elle aussi une constante.
"Dans l'histoire du droit du télétravail, il y a toujours eu cette notion de postes ou d'entreprises pour lesquels le télétravail était possible ou non."
Caroline Diardà franceinfo
"Avec la crise sanitaire, on s'est rendu compte que certaines professions pour lesquelles on pensait que le télétravail n'était pas possible ont pu télétravailler, pointe la spécialiste. Mais on sait bien que pour certaines professions, il est toujours nécessaire d'être en présentiel. On se doute bien que pour les infirmières ou les caissières, il n'est pas possible de télétravailler."
Des entreprises peu enclines au télétravail
Se pose cependant la question cruciale du contrôle du télétravail. "Il y aura toujours des employeurs récalcitrants", reconnaît la chercheuse, qui insiste sur la nécessité de "contrôles" de l'application de la mesure tout en déplorant que "l'Inspection du travail n'a[it] pas les effectifs suffisants pour surveiller tout le monde". La CGT-TEFP, premier syndicat des agents de l'Inspection du travail, réclame de longue date un durcissement du cadre légal concernant le télétravail, dénonçant la faiblesse des sanctions encourues et le manque d'effectifs pour contrôler les entreprises. "Les agents de l'Inspection du travail n'ont ni les moyens humains, ni les moyens juridiques d'imposer le télétravail dans les entreprises", déplore sur franceinfo Cécile Clamme, secrétaire générale du syndicat.
La ministre du Travail a d'ailleurs "annoncé aux partenaires sociaux qu'elle souhaitait proposer un amendement au projet de loi [transformant le pass sanitaire en pass vaccinal] pour mettre en place des sanctions plus dissuasives et plus rapides" de nature administrative, a fait savoir le cabinet de la ministre à l'issue de la réunion, mardi, entre Elisabeth Borne et les organisations syndicales.
"S'il n'y a pas de contrôles, ce sera un coup d'épée dans l'eau", prédit Caroline Diard. "Le gouvernement s'est rendu compte que les entreprises traînaient des pieds", estime l'enseignante-chercheuse. Le peu d'enthousiasme pour le télétravail se voit ainsi dans la réaction du président délégué du Medef Patrick Martin à l'annonce de Jean Castex, mardi sur franceinfo. "Trois jours de télétravail, le cas échéant quatre, c'est beaucoup pour un certain nombre d'activités", juge le représentant du patronat, ajoutant que "le télétravail, ce n'est pas la panacée" et estimant que cette obligation "aura de gros effets perturbateurs".
A peine un quart des salariés concernés
Cette annonce d'un retour au télétravail obligatoire ne doit cependant pas occulter une réalité, fait remarquer Cathel Kornig, chercheuse en sociologie du travail à l'Université Aix-Marseille, rattachée au CNRS. "Cela donne l'impression qu'on met tout le monde en télétravail, mais cela ne concerne qu'une minorité de travailleurs : ceux qui travaillent sur un ordinateur et qui peuvent ramener leur outil de travail à la maison." D'après la dernière enquête publiée par la Dares le 23 décembre, seuls "21% des salariés ont été au moins un jour en télétravail au cours du mois de novembre" et "parmi les salariés concernés par le télétravail, ils ne sont plus que 6% à avoir télétravaillé tous les jours de la semaine."
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