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Info franceinfo Eric Dupond Moretti propose le conseiller justice de Matignon au poste de procureur de Créteil, au grand dam de plusieurs magistrats

Stéphane Hardouin avait été nommé conseiller auprès de Jean Castex en juillet 2020, puis s'est occupé des dossiers traités par l'actuel garde des Sceaux lorsqu'il était avocat.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, quitte l'Elysée, à Paris, le 3 novembre 2021. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Son nom est en gras et surligné, tout en bas de la liste des prétendants au poste de procureur de Créteil (Val-de-Marne). Stéphane Hardouin est le candidat qui a été proposé par Eric Dupond-Moretti pour remplacer Laure Beccuau, nommée cet été procureure de la République de Paris, a appris franceinfo auprès de sources judiciaires, lundi 15 novembre. Ce document sur les projets de nomination des magistrats du parquet par le garde des Sceaux a été adressé au début du mois à l'ensemble des agents du ministère et au Conseil de la magistrature (CSM).

Cette candidature en particulier fait grincer des dents dans la magistrature. Ce magistrat de 50 ans, nommé auprès de Jean Castex en juillet 2020, est chargé de gérer les dossiers traités par Eric Dupond-Moretti lorsque ce dernier était avocat. Pour temporiser la colère des robes rouges accusant l'ancien pénaliste de conflit d'intérêts, le Premier ministre avait signé un décret permettant de déporter la gestion de certaines affaires de la place Vendôme à Matignon. Stéphane Hardouin a ainsi été entendu par la Cour de justice de la République dans l'enquête sur une éventuelle prise illégale d'intérêts d'Eric Dupond-Moretti, tout comme d'autres personnalités.

Ce lien indirect entre le garde des Sceaux et son candidat fait tiquer en interne. En outre, sur les 17 prétendants au poste de procureur de Créteil, de grade équivalent, Stéphane Hardouin est celui qui a le moins d'ancienneté.

"Entre Compiègne et Créteil, la marche est haute"

Avant de rejoindre la Chancellerie mi-2016 comme sous-directeur de la justice pénale spécialisée, puis comme secrétaire général adjoint − avec un passage éclair comme directeur adjoint du cabinet du ministre François Bayrou entre mai et juin 2017 , Stéphane Hardouin a été procureur de Compiègne (Oise) durant deux ans. "Entre Compiègne et Créteil, la marche est haute. Est-ce qu'on veut récompenser ses bons et loyaux services à Matignon ?" s'interroge un magistrat.

"Cela donne toujours un très gros avantage concurrentiel de passer par les cabinets ministériels."

Un magistrat

à franceinfo

Surtout, Stéphane Hardouin n'est classé "hors hiérarchie" que depuis le 17 août 2020, date à laquelle il a été nommé inspecteur général de la justice, quand d'autres procureurs ou avocats généraux candidats au poste ont plusieurs années au compteur à ce grade. Comme le veut la règle, il lui aurait donc fallu attendre trois ans avant de demander une nouvelle affectation.

Sollicité par franceinfo, il s'est refusé à tout commentaire. "Il travaille pour le Premier ministre et pas pour le ministre de la Justice", martèle une source proche du dossier, fustigeant "cette mise en cause de la probité des gens qui travaillent pour la machine gouvernementale".

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) va-t-il passer outre cette entorse et donner un avis favorable ? Selon nos informations, il devrait se prononcer sur cette candidature fin novembre ou début décembre. Si Emmanuel Macron n'est pas lié par cet avis, il s'est engagé, comme il est d'usage depuis 2012 et la présidence Hollande, à ce que que le président n'aille pas à l'encontre de l'avis du CSM pour les nominations des parquetiers.

"Parfaitement légitime pour ce poste"

Reste que l'institution se prononce rarement en défaveur d'un candidat proposé par l'exécutif. Le CSM, composé de magistrats élus, mais aussi de personnalités extérieures choisies par le président de la République, "n'a pas beaucoup d'audace en la matière", raille une source judiciaire. D'autant qu'un avis défavorable entraînerait la vacance du poste, le temps que le garde des Sceaux propose un autre candidat. Ce qui serait un "camouflet et un sacré boxon", résume la même source.

Dans l'entourage d'Eric Dupond-Moretti, on rétorque que Stéphane Hardouin "est parfaitement légitime à être proposé sur ce poste". "Il a occupé des postes à responsabilité, avec un nombre de personnes à encadrer très important, mais en détachement, ce qui lui a mécaniquement fait perdre en ancienneté dans le grade par rapport à ceux restés dans le corps."

Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, y voit "l'illustration d'une nécessaire réforme institutionnelle" pour garantir l'indépendance des magistrats du parquet, maintes fois repoussée et réclamée de longue date par les syndicats et le CSM lui-même. Elle consisterait en un alignement du mode de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, à savoir une proposition des candidats par le Conseil de la magistrature et non par le pouvoir en place. Cette question devrait être remise sur la table lors des Etats généraux de la justice, qui ont débuté mi-octobre. Mais nécessitant une révision constitutionnelle, elle ne sera pas portée par la mandature actuelle. 

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